La perspective des élections locales du 23 janvier 2022 pose, à nouveau, l’importante et cruciale question du cumul des mandats électifs ; question sur laquelle la classe politique a du mal à s’accorder. Il est à rappeler que la problématique du cumul des mandats avait interpellé le Président Abdou Diouf qui, par une réforme de la loi sur la décentralisation en 1996, avait essayé de limiter à deux le nombre de mandats locaux cumulatifs. Aussi, des limitations avaient été fixées par exemple pour interdire à un ministre de pouvoir occuper en même temps les fonctions de président de Conseil régional. Le Président Wade s’y était lui aussi essayé avec une loi de janvier 2012. D’ailleurs, c’est au regard de ces différentes dispositions que Mme Aïssatou Mbodji avait été démise de ses fonctions de présidente du Conseil départemental de Bambey, en 2016, pour ne pouvoir cumuler de telles fonctions avec celles de député et de membre du Conseil municipal de la ville de Bambey. Cet épisode avait fait débat et le Président Macky Sall affirmait qu’il ne saurait être question de limiter la «sanction» à Aïda Mbodji seule et que des responsables de son propre parti, l’Alliance pour la république (Apr), devraient être concernés.
Ainsi, le Président Macky Sall, à l’occasion, avait réitéré sa volonté de mettre un terme au cumul de mandats électifs. C’était aussi en droite ligne des recommandations de la Commission nationale de réforme des institutions (Cnri) que dirigeait le Pr Amadou Makhtar Mbow. C’était aussi, une des résolutions des Assises nationales, un forum organisé du 1er juin 2008 au 24 mai 2009 par l’opposition au Président Abdoulaye Wade avec des organisations de la Société civile, pour procéder à un diagnostic exhaustif de la situation institutionnelle, politique, économique et sociale du Sénégal. La Charte de bonne gouvernance produite par les Assises nationales indiquait de mettre un terme au cumul de mandats électifs.
Après sa réélection en février 2019, le Président Sall semblait vouloir remettre au goût du jour sa volonté de limiter le cumul de charges ou de fonctions publiques. Il disait notamment qu’il ne saurait être accepté que des mêmes personnes arrivent à gérer plusieurs budgets à la fois. En effet, ils sont légion les responsables politiques qui continuent d’occuper des fonctions de directeur d’entreprise publique et qui sont cumulativement maires de commune ou des ministres qui cumulent leurs fonctions gouvernementales avec celles de maire.
Toutefois, le Président Sall n’a pas encore su ou pu faire prospérer son idée. La complexité des investitures pour les élections locales de janvier 2022 et des élections législatives de juillet 2022 pourrait être un bon prétexte pour faire adopter définitivement la loi sur le cumul des mandats.
Les interêts de mettre fin aux cumuls
En effet, si par exemple la décision est prise de limiter strictement à un seul mandat ou une seule fonction élective ou nominative par personne, la palette des investitures aux différents scrutins serait plus élargie et les batailles de positionnement et autres querelles fratricides pourraient s’en trouver calmées. Ainsi, un même responsable politique ne pourrait pas prétendre être député et maire ou qu’un responsable politique nommé au gouvernement ou à la tête d’une institution ou d’une entreprise publique ne pourrait plus prétendre à une autre fonction publique. On ne le dira jamais assez, le cumul des mandats a pour conséquence de circonscrire les responsabilités entre les mains de certains, parfois les mêmes gens. Parce que plus on va interdire le cumul, plus de militants d’un même parti pourront avoir des responsabilités.
Un autre intérêt de l’interdiction du cumul des mandats publics serait de permettre plus d’efficience ou d’efficacité dans la gestion des affaires publiques. On voit bien que des responsables qui peuvent être partagés entre de multiples fonctions dans l’appareil d’Etat et des fonctions au niveau des collectivités locales, manqueraient fatalement de donner, au niveau de chaque «station», la plénitude de leurs compétences ou de leur temps. Quel temps un ministre pourrait-il trouver pour diriger son cabinet et faire fonctionner de manière efficace une commune située à des centaines de kilomètres de la capitale ? Seydou Diouf, député et spécialiste des questions de décentralisation, soulignait dans les colonnes du journal Sud Quotidien que «le cumul des mandats est un facteur bloquant au processus de décentralisation. Parce qu’aujourd’hui, on est dans un pays où, de plus en plus, les collectivités locales sont des axes majeurs du développement, de plus en plus ceux qui entrent en compétition pour assumer des fonctions locales sont des personnes qui doivent aussi avoir la disponibilité par rapport à leur collectivité locale. Mais élire un conseiller municipal qui, par le fait qu’il a plusieurs mandats, n’assume pas la totalité de ses responsabilités, ce n’est pas une bonne chose.»
Il se pose en outre un gros risque de conflit d’intérêts car le maire qui dirige une entreprise publique ou un département ministériel peut avoir tendance à orienter des ressources publiques dont il décide de l’affectation, au profit de son patelin et cela au détriment des autres localités, départements ou régions du pays. D’ailleurs, une telle pratique semble courante quand on apprécie la répartition des investissements publics à travers le pays. C’est sans doute ce qui justifie que le Président Sall ne cesse d’exiger plus d’équité territoriale dans les actions de développement.
La nouvelle procédure d’élection des maires au suffrage universel direct peut également participer à justifier l’interdiction des cumuls des mandats électifs. Les électeurs éliront comme maire, la personne qui dirige la liste victorieuse aux élections. On se demande quelle serait la logique qu’une personne dirige une liste au niveau d’une mairie d’arrondissement et en même temps conduise une autre liste pour la mairie de la ville ; étant entendu que si cette personne arrivait à se faire élire à la tête de la mairie de la ville, elle devrait certainement avoir du scrupule pour exercer cumulativement à une mairie d’arrondissement au risque de laisser l’impression d’un déséquilibre entre les arrondissements de sa Ville. Dans une pareille situation, les électeurs qui auraient voté pour le maire d’arrondissement devraient certainement se sentir floués pour avoir, en dernière analyse, voté pour faire élire une personne autre que celle pour qui leurs votes avaient été effectivement exprimés.
Les risques de vote sanction
Assurément, ce serait assez bénéfique pour un parti politique de pouvoir procéder à une distribution, la plus large possible, des cartouches de mandats afin que chaque responsable puisse mobiliser ses troupes pour faire gagner. Mais un tel schéma ne serait jouable que dans une situation où des élections seraient regroupées. Par exemple si les élections de maires, de députés et des conseillers départementaux se tenaient en même temps, les responsables investis aux différents scrutins se feraient le devoir de travailler en synergie pour une dynamique victorieuse de leur camp. Par contre, si les élections sont organisées à des dates différentes, un candidat investi au détriment d’autres responsables politiques pourrait se sentir esseulé, manquant de soutiens francs et massifs. Pire, certains responsables politiques ont tendance à faire perdre leurs camarades de parti investis à leur place, dans le but de révéler les limites de ce dernier. C’est le phénomène du vote sanction qui hante le sommeil des responsables des grandes formations politiques au sein desquelles la compétition peut être âpre.
La coalition Benno bokk yaakaar qui soutient le Président Macky Sall pourrait voir ses investitures aux prochaines élections locales et législatives plus commodes, au cas où une règle stricte de limitation du nombre des mandats ou des fonctions publiques devenait effective. N’empêche qu’il faudrait aussi s’assurer de l’autorité suffisante pour imposer la discipline et l’obéissance dans les rangs pour éviter tout mauvais tour.
Post scriptum: La dictature du Droit et de la Justice
La nécessité de remettre de l’ordre dans les différents rangs des forces de défense et de sécurité se pose. Tout le monde a pu constater les assauts répétés contre l’ordre républicain et toutes les institutions qui font que ce pays tient debout. La défiance envers les institutions et l’irrévérence ont atteint des seuils inédits de mémoire de Sénégalais. Les plus hautes autorités du pays, qui voudraient rétablir vaille que vaille la loi et l’ordre, sont à encourager. Les changements au niveau des commandements de la police, en mars dernier, et à la Gendarmerie nationale, la semaine dernière, sont à voir à travers ce prisme.
Les différents changements ont pu être commentés ça et là avec différents arguments pour leur grande majorité très éloignés de la réalité des faits. Le président de la République, commandant en chef, instigateur des différentes décisions, s’est sûrement résigné à la morale d’un roi qui disait que toute place vacante donnée faisait sa centaine de mécontents.
Dans une sous-région en proie à de sérieuses menaces et avec une montée grandissante de l’insécurité au sein de notre pays, il est impératif que l’Etat soit fort dans la mesure où il ne plie pas et que ses institutions soient sauves. Le message du Général Moussa Fall, lors de sa prise de fonctions à la tête de la Gendarmerie nationale, allant dans le sens de rétablir la confiance dans les rangs, de respecter la hiérarchie et le commandement, d’assurer du mieux la sécurité des personnes et des biens, est à saluer. Cette entreprise qui sera difficile au vu des nombreux dégâts et coups portés sur bien des corps républicains invite à la participation de tous. Du citoyen lambda aux hommes publics et acteurs politiques ! Un retour à une lucidité et à une sérénité est essentiel pour éviter d’exposer la sécurité du pays et celle de tous au gré des humeurs et intérêts de groupes quelconques. Il est impératif que de façon responsable, les médias ne se fassent plus les relais et caisses de résonance de propos rétrogrades, attentatoires aux libertés et facteurs de troubles. La pondération doit être de mise, car le jeu de se faire peur mutuellement n’a que trop duré. «Les champs de bataille ne pardonnent pas l’erreur», aime à le répéter l’ancien Secrétaire d’Etat à la Défense des Etats-Unis, le Général Jim «Mad Dog» Mattis. Il faudrait ajouter à cela que l’ordre public, qui se joue dans un champ de bataille permanent qu’est l’espace public, s’accommode mal, en temps de paix comme de troubles, aux errements, tâtonnements et surenchère dans la menace et l’invective.
La sécurité de tous est une priorité absolue, tout effort pour l’assurer de façon durable est à appuyer. Il est souvent dit que le prix de la paix est l’effort de guerre. Le prix de la sécurité, de l’ordre public et de la sauvegarde républicaine sera sans nul doute une dévotion au service bien fait, légal et légitime dans les rangs des forces de défense et de sécurité. Il en va d’une responsabilité historique et cela, toute la hiérarchie sécuritaire et la grande famille de la défense de notre pays devraient en avoir conscience. Vivement que soit instaurée une dictature du droit et de la Justice pour reprendre le mot du Premier ministre arménien Nikol Pashinyan !
Madiambal Diagne
La propagande est en marche !