Pour reposer les termes du scandale décrits dans notre présente édition, rappelons que le Trésor public a viré pour le compte d’une société privée n’ayant aucun rapport ni lien direct de droit pouvant justifier des paiements, des sommes d’argent d’un montant total de : 2 milliards 963 millions. Cette somme qui a été payée pour le compte de groupements féminins sénégalais a effectivement atterri dans des comptes privés. L’argent a permis l’achat sur le marché financier de bons du Trésor ivoirien au nom de Ndèye Maguette Mboup par l’intermédiaire de la Banque Atlantique. Il a aussi servi pour le remboursement de crédits divers consentis à Ndèye Maguette Mboup. Plusieurs délits, voire des crimes économiques graves se trouvent réunis dans cette affaire : détournements de deniers publics, faux et usages de faux en écriture publique, blanchiment d’argent, concussion et corruption de fonctionnaires. Pourtant, rien ne semble ébranler la quiétude des autorités qui, en dépit des informations accablantes dont elles disposent sur cette affaire font le mort.
Certaines d’entre elles cherchent même à protéger les criminels. Tribunal économique, juridictions de droit commun ordinaire, nous sommes preneurs de toutes les structures dédiées à la tâche de combattre le grave phénomène des crimes économiques. Ce qui importe pour nous citoyens c’est l’efficacité et le sérieux de la lutte. Vivement que les autorités de ce pays daignent enfin comprendre qu’elles ne seront jamais prises au sérieux, encore moins applaudies par les citoyens, quant à leur volonté de lutter contre les crimes économiques commis partout et au niveau le plus élevé de l’Etat, si elles doivent se contenter de proclamer des intentions, en oubliant d’agir. Toutes les informations sont disponibles entre les mains des pouvoirs publics et de la justice pour engager les procédures indispensables contre les malfaiteurs qui ont grugé 3 milliards à l’Etat et aux groupements féminins du pays. Le crime est grave. L’attente des autorités et celle de la justice n’ont que trop durer dans cette affaire qui doit vite être tirée au clair. La responsabilité de la ministre Ndèye Khady Diop est manifestement en cause. Pour l’honneur des fonctions qu’elle occupe, pour sa dignité d’être et pour l’esprit républicain, la ministre d’Etat doit démissionner, en attendant que la justice la disculpe ou retienne définitivement sa culpabilité déjà trop suspecte. Si la ministre n’a pas la grandeur de partir, le chef de l’Etat se doit de le lui imposer, pour l’honneur de la République et pour l’intérêt national. Ce serait cependant étonnant qu’on en arrive à cette conclusion dans l’immédiat, ou même dans le moyen terme.
En réalité, cette fraude qui est ainsi découverte, en dépit de son ampleur, n’est qu’un cas, parmi les milliers qui surviennent dans l’exercice quotidien du pouvoir. Il en est ainsi depuis l’installation du régime de l’alternance en mars 2000. L’enquête réalisée et que nous publions dans cette même édition, dans le cadre de la gestion du Centre des œuvres universitaires de Dakar (Coud), par le sieur Sitor Ndour est également édifiante à cet égard. En effet, la Gouvernance mise en œuvre dans notre pays apparaît aujourd’hui comme un instrument d’extorsion de valeurs et des ressources de l’Etat. Dans ce contexte, tout est organisé au sommet de l’Etat, pour spolier le pays. L‘autorité politique, l’Administration, comme les autres services publics constituent une machine folle anti-population, de désordre plutôt que d’ordre. Cette machine ne se tient pas en dehors du système de prédation institutionnalisée, faite de détournements de deniers publics, des pratiques de corruption, de concussion, de trafic d’influences, d’escroquerie, etc., car elle relève de la philosophie de base du système. Le régime a patiemment et méticuleusement travaillé à installer au Sénégal un vrai système de prédatocratie.
Autrement dit, la spoliation des ressources et des biens publics, le détournement des fonds du Trésor, la corruption dans l’exercice des fonctions publiques, le pillage ne sont pas interdits, sauf quand on se fait parfois prendre. Il a ouvert la boite de pandore, tous les diables et diablotins en sont sortis pour accaparer les rouages. Il est vrai, le système de prédation avait commencé sous les deux règnes précédents de Léopold Sédar Senghor et Abdou Diouf. Les pratiques constatées à ce sujet dans le passé n’ont cependant rien à voir avec ce qui se passe aujourd’hui. La gouvernance actuelle ressemble et dépasse, à tous points de vue, ce que l’opposant Abdoulaye Wade décrivait avec détails, alors qu’il était en campagne électorale dans la ville de Kolda en février 1993. Le candidat le plus emblématique de l’opposition de l’époque interroge une foule de militants en délire, de sympathisants et d’électeurs venus nombreux pour l’acclamer. Avec verve et ironie, il y va avec son couplet favori : « M. forage et Mme moulin sont-ils passés vous voir ? Ils ne tarderont pas à arriver. Il ne faut pas manquer de leur demander où trouvent-ils autant d’argent pour acheter les moulins distribués à gauche et à droite à travers le pays. Je sais comment ils font. Si vous me portez au pouvoir, je vous donne la garantie qu’en mettant fin au vol et au gaspillage de l’argent, je vais assurer à votre ville et à toute la région le développement auquel vous rêvez tous. Le Sénégal n’a pas de problème économique. Ce pays, il faut dire, a simplement mal dans la gouvernance qui lui est imposée depuis son indépendance ». Le pays n’a pas encore fini d’agoniser, dix ans après son installation au pouvoir, sous l’effet du mal hier dénoncé.
Abdou Latif COULIBALY
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