L’HISTORIEN MAMADOU DIOUF DIAGNOSTIQUE LES MAUX DE L’AFRIQUE, 50 ANS APRÈS LES INDÉPENDANCES
Prenant prétexte d’une conférence sur le cinquantenaire des indépendances africaines, le professeur Mamadou Diouf a estimé que le retard du continent noir est imputable aux Africains eux-mêmes. Prenant l’exemple spécifique du Sénégal, il indique : « on ne gouverne pas les gens, on les commande ». En référence au système de gouvernance coloniale. Toutefois, il a suggéré de miser sur l’Enseignement supérieur pour former une élite capable de tirer l’Afrique d’affaires.
Le professeur Mamadou Diouf de l’université de Columbia est formel : le bilan des cinquante dernières années du continent noir est loin d’être positif. Et la faute incombe entièrement aux Africains, qui n’ont pas été à la hauteur à juste titre. Selon lui, si le bateau tangue toujours, c’est que certains Africains ont infligé à leurs propres peuples des souffrances insurmontables. « L’Afrique a beaucoup souffert pendant ces dernières 50 années, au moment où elle était censée se libérer. Et cette souffrance des Africains leur a été infligée par des Africains », a-t-il regretté. Poursuivant son propos, Mamadou Diouf s’est ému de la culture africaine qui est presque devenue un dépotoir de la culture occidentale. Parce que les principaux agents chargés de sa promotion ont capitulé devant l’agression étrangère.
Mais ce qui déprime le plus l’historien, c’est le mode de management sous l’empire colonial qui n’a jusque là pas évolué. On reproduit toujours les mêmes schèmes, a-t-il déploré. « Notre conception de la gouvernance est très criante, au Sénégal. On ne gouverne pas les gens, on les commande. C’est le commandement, la gouvernance coloniale », tempête-t-il. Pour lui, on commande des choses, mais on gouverne des citoyens.
A titre d’exemple, il a cité l’ancien président du Conseil, Mamadou Dia qui voulait inverser l’ordre établi des choses, mais sa volonté n’avait pas prospéré. « Mamadou Dia disait qu’on ne peut pas construire un Etat sur une géographie coloniale. Il nous faut une géographie indigène », a-t-il rappelé. Et cette façon de gouverner a finalement contaminé la plupart des pays africains. Et la conséquence a été fatale. Car des agences sont créées pêle-mêle, échappant à tout contrôle.
Dans la plupart des pays africains, a-t-il souligné, le rapport entre l’Exécutif et le Législatif est tel que le premier a assujetti le second. Pour sortir de l’impasse et se projeter vers les cinquante années à venir, il a préconisé aux Etats africains d’investir dans l’Enseignement supérieur pour former de potentiels cadres, capables de hisser l’Afrique vers les sommets. « Même la Banque mondiale qui avait recommandé aux pays africains de ne pas investir dans l’Enseignement supérieur a reconnu son erreur », a-t-il souligné.
Avant d’inviter les Africains à faire preuve de clairvoyance et de prospective dans la gestion quotidienne des affaires. Et de sortir du train train infernal auquel on semble être condamné. « Nous sommes dans un monde de compétition, et c’est ceux qui anticipent sur l’avenir qui s’en sortent », analyse-t-il. Le professeur Mamadou Diouf, historien, est directeur de l’Institut d’études africaines à l’Ecole des affaires internationales et publiques de l’Université de Columbia, à New York. Ancien enseignant-chercheur à l’Université de Dakar, où il a dirigé le département de recherche et de documentation du Conseil pour le développement de la recherche en sciences sociales en Afrique, communément appelé (Codesria) de 1991 à 1999, il est l’auteur de plusieurs ouvrages dont : Le Kajoor au xixe siècle ; Le Sénégal sous Abdou Diouf, Paris, Karthala, 1990 ; Une histoire du Sénégal : le modèle islamo-wolof et ses périphéries, entre autres.
Papa Ismaila KEITA
lasquotidien.info