Depuis la proclamation des résultats provisoires des élections législatives du 31 juillet 2022, ceux de certains départements du nord du Sénégal, notamment Podor, Matam, Kanel et Ranerou, suscitent des interrogations. Ces dernières découlent de l’ampleur des suffrages obtenus par la coalition politique au pouvoir dans les bureaux de vote. Ces victoires électorales génèrent des suspicions sur l’existence de faux électeurs qui ont voté. Autrement dit, des électeurs domiciliés à des adresses prétextes, c’est à dire, qui n’existent pas, ou bien ils y sont inconnus. En somme, des électeurs avec de fausses domiciliations.
Aussi, il nous semble que l’analyse de l’évolution du corps électoral de ces quatre départements est nécessaire pour être édifié sur ces allégations. A cet effet, nous avons choisis d’étudier les cas de Podor et Matam, en comparaison avec deux autres départements du centre du Sénégal : Dakar et Mbacké. La recherche se fera en prenant comme situation de référence la carte électorale de l’élection législative de 2012. Le choix du scrutin de 2012, se justifie parce que l’actuel président de la coalition politique au pouvoir n’avait aucun contrôle sur le processus électoral d’alors, encore moins sur le fichier électoral. Donc, la carte électorale de 2012 peut être qualifiée de pertinente par rapport à l’étude des élections législatives de 2022. La population de l’année n-1 du scrutin est considéré comme année de référence du corps électoral des zones étudiées.
Les suspicions sur l’existence d’électeurs fantômes dans certains départements du nord du Sénégal, en particulier, Podor et Matam, sont fondées sur le fait qu’étant d’origine du nord du Sénégal, le président de la coalition politique au pouvoir, par ailleurs, président du Sénégal, est assuré d’avance d’y gagner le scrutin. Donc, il a un intérêt à augmenter leurs nombres d’électeurs. Aussi, pour mieux apprécier l’évolution du corps électoral de ces zones, elle se fera en comparaison avec deux départements ou la coalition au pouvoir est certain de perdre les élections législatives, au regard des suffrages qu’il y a obtenu lors de scrutins antérieurs : Dakar de Mbacké. Les résultats permettront, ainsi, d’avoir des indices de l’existence électeurs avec de fausses domiciliations à Podor et Matam.
Aux élections législatives de 2012, Podor avait 142 517 électeurs pour une population en 2011 de 396 426 habitants. Depuis lors, le nombre d’électeurs dans ce département de Podor est passée à 222 765 en 2022. Soit une augmentation de 80 248 électeurs alors que la population a augmenté de 60 653 habitants. La population de Podor en 2021, est de 457 079. Il y a eu donc à Podor en 10 ans une augmentation de 56,30 % du nombre d’électeurs pour une croissance de 15,29 % de la population.
Le département de Matam est passé de 100 931 électeurs en 2012 à 152 229 électeurs en 2022 pour une population de 283 976 habitants en 2011 et de 368 601 habitants en 2021. En 10 ans, il y a eu une variation positive du nombre d’électeurs de Matam de 51 298 au moment où la population a augmenté de 84 625. Soit respectivement en valeur relative de 50,82% et 29,80%. Enfin, il est à noter que la coalition politique au pouvoir a gagné le département de Matam aux élections législatives de 2017 par 65 650 suffrages. Cinq ans plus tard, à la publication des résultats provisoires de l’élection législative de 2022, elle gagne encore une fois, Matam avec presque le même nombre de suffrages à savoir 65 798.
Le taux d’inscription au fichier électoral des populations de Podor (48,73%) et de Matam (41,29%) en 2022, révèle que pratiquement tous les habitants en âge de voter (de 18 ans à 80+) sont des électeurs. En considérant, la population électorale du Sénégal en 2021, qui est de 8 960 157 pour une population de 17 197 482 habitants et le nombre de 6 727 759 électeurs en 2022, ce scenario relative à l’inscription au fichier électoral de la quasi-totalité de la population électorale de ces départements semble peu probable. En effet, une telle situation exceptionnelle, quel que soit le département considéré, correspondrait difficilement à la réalité dans un pays ou le vote n’est pas obligatoire. Par conséquent, nous estimons qu’il existe des électeurs fantômes dans les départements de Podor et Matam.
Cette hypothèse sera renforcée par l’évolution du nombre d’électeurs dans deux des trois départements les plus peuplés du Sénégal : Dakar et Mbacké. D’abord, il est à rappeler que la coalition politique au pouvoir, au vu des résultats de précédents scrutins, n’a aucune chance de les gagner.
Le nombre d’électeurs dans le département de Dakar a augmenté en 10 ans de 5 042 électeurs alors que la population a augmenté de 382 716 habitants. En effet, aux élections législatives de 2012, le nombre d’électeurs de Dakar était de 681 001 pour une population de 1 056 009 en 2011. Pour le scrutin de 2022, le nombre d’électeurs de Dakar est de 686 043 pour une population 1 438 725 en 2021. Ainsi donc en 10 ans, le corps élection de Dakar a augmenté de 0,74% au moment où la croissance de sa population a été de 36,24%. Pire encore, il est à noter que lors des élections locales de janvier 2022, le nombre d’électeurs de Dakar était de 679 177. Tandis qu’aux élections législatives de 2017, le nombre d’électeurs de Dakar était à 637 948. Une diminution constante du poids électoral du département de Dakar par rapport à la carte électorale de 2012.
La situation est identique dans le département de Mbacké, ou en 10 ans le nombre d’électeurs a augmenté de 85 985 tandis que celle de la population a été de 396 920 habitants. Aux élections législatives de 2012, Mbacké avait 284 549 électeurs pour une population de 794 636 habitants en 2011 alors qu’en 2021, elle est de 1 191 556 habitants pour un nombre d’électeurs de 370 534 en 2022. Une augmentation de 49,94% de la population pendant que celle du nombre d’électeurs est de 30,21%.
A la lumière de ce qui précède, il apparaît que le poids électoral des départements favorables à la coalition politique au pouvoir, estaugmenté tandis que ceux ne l’étant pas est réduit. Ainsi en 10 ans, Podor, a connu une augmentation de 80 248 électeurs alors que la population a augmenté de 60 653 habitants. Pendant la même période, Dakar, avec une augmentation de sa population de 382 716 habitants, n’a obtenu que 5 042 électeurs. Dakar, avec 5 042 électeurs en 10 ans a été le département le plus affecté par ces manipulations du fichier électoral.
Le vote des électeurs fantômes dans les départements du nord du Sénégal peut aussi être étayé, d’une part, par un examen minutieux de tous les procès-verbaux des élections législatives du 31 juillet 2022, et d’autre part, par une enquête de terrain pour vérifier l’existence réelle de ces électeurs.
A cet effet, il est à remarquer que ce travail d’investigation demande la mobilisation de ressources humaines, matérielles et financières importantes. Quant au traitement des observations sur les procès-verbaux, il est titanesque en peu de temps. En effet, les procès-verbaux ne sont pas traitées au niveau départemental mais national. En conséquence, le comité national de recensement des votes, ainsi que les représentants des candidats, vu le temps imparti pour publier les résultats, n’ont pas le temps pour considérer toutes les observations sur tous les procès-verbaux des bureaux de vote des départements du nord du Sénégal. Un tel travail ne peut être réalisé qu’en faisant de preuve de détermination pour une élection législative honnête. A défaut, des résultats probablement frauduleux, seront ainsi validés, comme ce fut le cas lors de l’élection présidentielle de 2019 car le comité national de recensement des votes n’a pas pu traiter les procès-verbaux de 15.397 bureaux de vote en peu de temps.
Par Ndiaga Gueye
Doctorant en Sciences de l’Information et de la Communication
Chercheur en marketing politique à l’ère du big data
Laboratoire: LARSIC,
École Doctorale: ED-ETHOS