Le risque existe et la perspective lourde de conséquence. Si les autorités politico-judiciaires en arrivaient demain, à constater que les anciens ministres et institutions qui défilent depuis quelques jours à la gendarmerie et /ou chez le procureur ne sont pas aussi fautifs que le laisse supposer toute la charge suspicieuse qui accompagne les auditions –plutôt que les audits – on se trouverait dans une dangereuse impasse.
Clamer partout que quelque 400 milliards de FCfa s’étaient « volatilisés » par la faute des anciens dignitaires du régime sous Wade, pour conclure ensuite que « rien à été trouvé » ne passerait pas dans l’opinion. Il y a donc besoin de communiquer autrement sur la question, pour élucider les affaires visées par les interpellations en cours. S’il est avéré que le procureur ne fait que réactualiser des dossiers d’audits de 2008, dont il avait déjà commencé l’examen avant d’être « freiné » dans son élan, par une correspondance du Président Abdoulaye Wade, il est urgent d’édifier l’opinion en dissociant le ballet en cours, de l’affaire dite des 400 milliards. Notamment si les mouvements de fonds incriminés n’ont effectivement eu lieu que durant les «mois ayant précédé » la présidentielle de 2012. Parce que tenir le pays en haleine pendant des semaines et conclure en fonction des seuls dossiers d’audits d’il y a quatre ans peut être fondé en droit mais politiquement très embarrassant pour le pouvoir. S’il y a concomitance de toutes les affaires, on peut dire que nous nageons en pleine confusion. Difficile dès lors de ne pas laisser un soupçon de règlement de comptes politiques.
Sous ce rapport, rien de nouveau. On ne peut toutefois s’empêcher de relever qu’en allant dans cette direction, le régime de Macky Sall ne fait que réciter la leçon Wade. Les méthodes du « maître en tout » politique (Macky dixit) seraient donc toujours d’actualité. Au grand désarroi de ceux qui espèrent encore des ruptures telles qu’annoncées.
Autre méthode wadiste en cours de réactivation -après l’allongement ininterrompu de la liste des collaborateurs du président de la République toujours prompt à récompenser alliés, parents et amis – le nouveau régime se prend les pieds dans l’improvisation, en cherchant à effacer les traces du prédécesseur.
Eteindre Takkal, et après ?
Du Plan Takkal, le ministre en charge de l’énergie ne voudrait plus. Mais pas d’alternative déjà opérationnelle. « On réfléchit ». Il urge donc de trouver mieux et moins budgétivore. Quitte pour certains techniciens du département, à renier ce qu’ils avaient contribué à mettre en place. Du wadisme pur produit. Le Sénégal avait retrouvé un substantiel mieux, côté disponibilité de l’énergie (sous Takkal) ; cela après que le régime issu de la première alternance avait reversé la Senelec dans le portefeuille de l’Etat. La stratégie mise en place par les socialistes pour revendre à des privés, une entreprise quasiment à genoux, venait de faire les frais de la politique du « tout remettre à plat » pensée par les libéraux. Les Sénégalais n’on pas gardé le meilleur souvenir des années de délestages quotidiens.
Autre idée, autre remise en question. Le dernier gouvernement de Wade avait décidé de créer une Société pour la propreté du Sénégal, mais la Soprosen n’aura pas vraiment connu d’activités que… La voila dissoute. Retour à l’Entente Cadak-car (pour la capitale) question de redonner aux collectivités, quelque chose à se mettre sous la dent. Sur ce point, le pouvoir actuel a le soutien d’un expert qui fait autorité dans la rudologie. Pape Souley Sow estime que « la création de la Soprosen n’avait aucune pertinence, aucune opportunité. En réalité, ce sont les jeux politiques qui ont retardé l’Entente Cadak-Car, alors que cette structure avait un programme validé par tous les partenaires du Sénégal : Banque mondiale, Agence de développement municipal (Adm) etc. On s’est hasardé à retarder toue l’opération ; cela ne sert à rien ».
Pape Souley Sow est d’avis que la Soprosen tant vantée par la ministre Mme Awa Ndiaye « avait été créée sur des bases telles qu’elle n’avait aucune chance de vivre ». La preuve par la mesure entérinée la semaine dernière en Conseil des ministres. Mais s’il faut retirer ses bottes à Awa pour chausser Henriette qui a la même pointure sous un soleil, le même pour toutes, le Sénégal ne fera que retomber sur ses pieds après un saut accompagné de beaucoup de bruit. Et pourtant, il serait dans les intentions des autorités de réinventer la recette de Awa Ndiaye. Des privés seraient en train de « manœuvrer » dans un lobbying serré, pour se faire confier la gestion des ordures. S’ils remporteraient la mise, les collectivités locales seraient de nouveau sur le point de perdre une part substantielle de leur budget, en l’occurrence la Tom (Taxe sur les ordures ménagères). On serait sur le point de remettre en selle la formule agencière. En beaucoup plus cher. (cf le dossier de Ibrahima Diallo).
Enième exemple de la méthode Macky de reconstruire à l’identique ce qu’il détruit sous l’accusation de structures budgétivores, l’ancien ministre Modou Diagne Fada dénombrait récemment, neuf agences «créées par l’actuel pouvoir » et pourtant comptabilisées au nombre de la pléthore recadrée par le gouvernement. On nage en pleine confusion.
Conseil des ministres contre CRD spécial
L’ingénieur Macky et son banquier de Premier ministre entament demain jeudi, par Saint-Louis, une « nouvelle » démarche. Pour « se mettre à l’écoute des populations », voila le Conseil des ministres décentralisé. Carburant, hôtels, frais de mission de certains personnels des cortèges ministériels, restauration et on en laisse… Voila une façon bien originale de « réduire les dépenses publiques » pour un résultat qui mérite qu’on attende de voir. Depuis la présidence de Senghor, le pouvoir avait réglé la question, sous la forme de Crd spécial (Comité régional de Développement).
Ces rencontres présidées par un membre du gouvernement visaient le même objectif d’écoute, dans un cadre d’échanges entre le gouvernement d’une part, les administrations déconcentrées et les collectivités décentralisées, d’autre part. Les associations de femmes et de jeunes étaient aussi conviées à la réflexion. Sous cette version, c’est un ministre qui se déplaçait dans une région, suivant les besoins de communication ou les urgences signalées. Il y avait le temps d’aborder toutes les questions concernant le ministère à l’ordre du jour.
En allant se réunir à Saint-Louis par exemple, le gouvernement se trouvera dans une situation de ne parler que des problèmes du Nord, en mettant en veilleuse le reste du pays pendant cette semaine. Si toute l’armada doit traverser le Pont Faidherbe pour traiter des dossiers comme on le fait à Dakar, c’est-à-dire en brassant large, on se demande où est la pertinence de déplacements aussi onéreux, si les problèmes locaux ne seront que survolés, parce qu’inscrits dans un lot de considérations nationales.
Il n’est pas exclu cependant, que Macky Sall et la coalition Bennoo Bokk Yaakaar (BBY) veuillent folkloriser l’opération. L’objectif politique n’en serait que trop visible. En effet, le Président de la République voudrait-il saisir l’occasion pour se mettre aux côtés des troupes pour les législatives, qu’il reproduirait – encore une fois – les méthodes de Abdoulaye Wade. Interdit de figurer sur le bulletin de la liste Sopi en 2002, il prit le raccourci du « Moom » avec en fond, une image passablement floutée dans laquelle le chef du Sopi était reconnaissable à cent lieues.
Demain à Saint-Louis, le Conseil national de régulation de l’audiovisuel (Cnra) trouvera prématuré qu’une coalition (ou un candidat de liste) démarre sa communication politique en direction des prochaines consultations. Il faudra donc trouver le juste équilibre entre la continuation des activités gouvernementales et la propagande électorale déguisée. On rappelle que les dispositions y relatives ont été inscrites dans le Code de 1992 (article L 63), parce que les socialistes prenaient toujours de l’avance sur les autres candidats, en prétextant de tournées économiques du président de la République, à la veille d’élection(s) majeure(s).
Tout compte fait, le Président Macky Sall est sur les traces de celui auprès de qui il déclara, un jour en France, avoir « tout appris ». Cela se voit jusque dans les manœuvres pour occuper le terrain politique et les esprits, au besoin traquer l’adversaire, en attendant de l’avoir à ses genoux. Une introspection ne lui ferait que du bien, s’il en concluait qu’en politique sénégalaise, il n’existe pas de banni pour toujours.
Par Ibrahima BAKHOUM
Pertinent comme texte. Rare maintenant de voir ces types de textes.
Avec des « si », on mettrait le monde dans une bouteille. C’est vrai que l’intellectuel est par essence un homme inquiet, mais une approche objective de la réalité à coup de si hypothétiques biaise certainement le débat…