SUD QUOTIDIEN – Février 2017, sur un des sentiers qui mène à la brousse sur la Petite côte, une ambiance morose. Pour une période fraiche, le temps est chahuté par une forte chaleur. On est loin pourtant du désert de l’Atacama (1) au Pérou, mais ici, tout est à terre et les espaces de vie, de verdure pour dire, sont quasi existants. Dans ce décor de fou, même la rivière Mballing a vu ses aires d’eau se réduire comme neige au soleil au fil des ans. A partir de Warang, en prenant les voies de l’est qui mènent dans certains villages, à Mboulème, Gagna et Mbourokh, la Petite côte ressemble à une terre de verdure. Mais, paradoxe, à l’intérieur des villages, la misère et la pauvreté n’ont pas de nom.
Au moment où la Commission nationale de réforme foncière attend une décision politique du chef de l’Etat, pour dessiner définitivement l’avenir et les contours de ce que devrait être la vie dans les villes et campagnes sénégalaises, la misère des populations rurales presque livrées à certains endroits à elles-mêmes, ne cesse de s’aggraver. Au-delà des discours et des attentes de certains accords comme celui sur le climat de Paris en 2015, l’on ne sent pas dans les zones rurales, un semblant de changement de vie et de comportement. Dans le nord, comme le centre, l’est, l’ouest et le sud du pays, les attentes sont grandes vis-à-vis des pouvoirs publics.
Le long des pistes impraticables qui mènent vers les villages limitrophes de la ville de Mbour, les véhicules et leur chauffeur souffrent. Ici, rien ne rappelle aux voyageurs infatigables qui circulent et font leur petit commerce à dos d’âne, de cheval ou à bord de charrettes et de vieilles carcasses de véhicules sur lesquelles ne pendent que de la ferraille usée qu’on est en plein ambiance d’émergence et dans un monde fait de quelques éléments de modernité.
Dans le discours, cela peut paraître vraisemblable, mais dans le fond, ces dizaines d’écoliers qui font les aller et retour journaliers entre l’établissement du village voisin et leur maisons, à défaut d’un car de ramassage, de charrettes ou de cheval, bravent le froid matinal et la chaleur de la journée pour aller à la quête de connaissances qu’on leur promet et qui leur coutera quoi qu’il arrive, bien chère.
Ainsi va la vie dans les villages de ce pays, une fois la verdure et la prospérité de l’hivernage passée. Il faut chaud, malgré les vents frais du matin à Mboulème, Gnagna, Mbourokh et encore. Pendant que les charrettes passent avec comme seul chargement, de la paille, quelques pieds de buissons coupés ici et là pour refaire la chaume des maisons en bois, les rares activités des femmes, elles, se limitent après l’heure du marché, à aller à la recherche du bois mort pour cuire les aliments et faire manger la famille. Difficile quête dans un village comme Mboulème où n’existent plus de réserves forestière permettant cette possibilité.
Dans les zones alentours, ne reste aucun morceau de bois pour cette cuisson. A la débrouille, ces pauvres femmes qui passent difficilement dans les vergers voisins sont à la recherche de noix de ditakh ou de figuiers, de rares branchages pour faire leur feu de cuisson. Dure corvée. Dans ces villages que les jeunes ont fuis, il ne reste que des enfants en âge d’aller à l’école, mais encore de vieilles personnes du troisième âge dont certains, en dehors de l’activité agricole n’ont jamais exercé de véritable métier. Assis devant les portails des grandes concessions sans aucun espoir, ils attendent. Ils ne semblent avoir d’autres choix que d’attendre en ce mois de février, un généreux donateur envoyé par Dieu, si ce n’est la pluie du prochain hivernage.
Le long des pistes, l’herbe a fini de se transformer en paille. L’hivernage est bien loin. Cherchez dans ce chaos, des zones ou des poches de verdure, n’est pas aisé. Dans ce village de Mboulème et ses environs, ne subsistent que quelques puits. Deux se trouvant en périphérie du village sans aucun robinet ni forage. La misère. Humide et coupé du reste, de la grande ville anarchique de Mbour pendant l’hivernage, à la moindre pluie, Mboulème comme SinthiouMbadane sont des poches de pauvreté où ce phénomène n’aurait jamais dû voir le jour.
Terre d’agriculture, la zone offre pourtant d’énormes possibilité pour développer des activités de jardinage, de maraîchage, d’élevage et d’agriculture de contre-saison à l’aide de forages et de pompes solaires. Mais, il n’en existe pas ici.
UNE PAUVRETE GRAVE
C’est quand on emprunte les sentiers étroits qui mènent à ces villages qu’on se rend compte que rien depuis la préhistoire et la sortie de l’humain de son état sauvage que bien peu de choses ont été faites. Dans cet océan de misère, peuplé pourtant par des paysans de qualité, il est rare de tomber sur des espaces de vie organisés. Un monde de champs. Oui, c’est l’image qu’on en garde parce qu’un peu partout, il y a de la terre ; mais elle est presque sans culture, pour l’hivernage comme pour la saison sèche.
Autour des villages, rien d’encourageant. Au cours de l’hivernage 2016, l’étonnement du visiteur qui en sait un peu sur les pratiques paysannes est dans le nombre de terres non cultivées. L’explication est simple, selon ce paysan croisé à l’entrée de Mboulème, « Nous n’avons pas de quoi acheter des semences. Nous n’en avons pas les moyens alors comment voulez-vous qu’on mette des graines à terre… »
Comme un refrain, le manque de moyens est soulevé partout. Et pourtant, l’on n’est pas loin de la ville. Joal est à une vingtaine de kilomètres, Mbour à une dizaine et les grandes stations balnéaires, bien proches. Le mal s’est aussi aggravé quand nombre de jeunes de ces villages qui travaillaient dans les stations balnéaires au Domaine de Nianing, au Club Aldiana, ont été contraints sans ressources au chômage à la suite de la fermeture de ces « géants » des vacances touristiques.
Quand on y ajoute le fait que même la mer qui les attirait pour les activités de pêches et de transformation des produits halieutiques ne donne plus toutes les ressources attendues, l’on n’a pas fini de situer et de comprendre la difficulté que vivent ces campagnes. La vie est dure pour les enfants aussi, mais encore pour les personnes malades qui doivent être évacués en cas de situation d’urgence. Récemment, un jeune garçon est décédé d’une simple anémie faute d’un diagnostic sérieux et de moyens pour ses parents de lui faire accéder à des soins plus adaptés. Et il ne s’agit pas d’un cas isolé.
Même avec l’aménagement d’une case de santé, ces villages ont l’illusion de vivre dans un semblant de modernité quand on peut y regarder la télévision grâce à l’électricité. Et pourtant dans les environs proches, sans énergie solaire et la magie de ses panneaux photovoltaïques, on n’y perçoit que de l’ombre. Ainsi, va donc la vie dans ces villages de la Petite côte. Un espace où il existe néanmoins des zones d’espérances remises en vie une partie de l’année par quelques bonnes volontés avec le seul plaisir de montrer la voie.
LA QUETE DESESPEREE D’EAU
Au milieu de son jardin maraicher, Paul Ngom est pourtant heureux de montrer dans cet univers presque poche du chaos, ses beaux plans d’oignon rouge en pleine maturité. L’homme est un connaisseur de son monde. Avec le poivron qui tout à côté qui fleurit et offre au visiteur ses beaux fruits.
Un beau champ en pleine zone de détresse pourtant. La preuve qu’il est possible même dans des conditions presque impossibles de mettre du vert et de la vie au cœur des environnements les plus difficiles. Son oignon presque mur, souffre cependant d’un problème sérieux : le manque d’eau. Parce qu’au milieu de ce bout de terre où ne s’observent que de la paille de sorgho, des buissons entrain de sécher sous les rayons ardus du soleil, ce paysan connaisseur, même nanti de ses deux grands puits à’ l’intérieur de son domaine, est contraint d’aller chercher l’eau à une profondeur supérieur à 20 mètres sous terre.
Il en souffre. « Mon problème, dit ce maraicher convaincu, le voilà. Mes plantes souffrent, mon poivron est attaqué par des vers et le manque d’eau et cela fragilise tout ce que je fais ici. C’est bien le manque d’eau qui nous stresse en ce moment. La terre, poursuit Paul Ngom, est bonne pour le maraîchage dans cette zone qui va de Mboulème jusqu’aux abords des îles, mais, le hic est dans la maîtrise de l’eau pendant la saison sèche. Et pourtant, si la nappe baisse de temps à autres, il y a des zones où il est plus facile de trouver rapidement de l’eau. »
Spécialiste de l’oignon et des légumes verts, Paul parle en connaisseur. Son monde à lui, est là planté comme sur une carte. Il aime relever les défis malgré les faibles moyens. Il aime cet espace où en dépit des contraintes qui en découragerait bien d’autres, il tisse sa petite toile verte au milieu de cet océan de misère où presque aucun arbre en dehors des acacias épargnés pour leur feuilles et leur fruits comme aliments de bétail, n’est débout. Les figuiers rares sont sous la menace des haches des habitants des villages à coté.
Ne cherchez pas une autre espèce. Ici, seul un autre arbre est épargné, le baobab. Espèce vitale et exotique, il l’est aussi pour le mythe qu’il représente pour les populations locales. Son fruit est consommé, ses feuilles aussi, tout les comme les fibres tirés de son écorce. Aux environs, plus aucun arbre d’une autre espèce, en dehors des arbustes comme le quinquéliba, le nger (de la famille des combrétacées). La tisane du pauvre.
Pour faire face à cette mort programmée d’un microclimat où il est facile de faire quelque chose, Paul a, aménagé à l’intérieur de son petit espace de vie, quelques plans d’arbres fruitiers comme ces citronniers en pleine floraison, mais encore des manguiers. La preuve qu’il est possible de faire régénérer ces espaces de vie…
Notes
1- Le désert d’Atacama compte parmi les plus arides du monde. D’immenses étendues rocheuses, une terre craquelée par la chaleur, des volcans aux cimes enneigées, des lagunes minérales irréelles et des déserts de sel habités par de délicats flamants roses. Le désert d’Atacama est un désert hyperaride situé au Chili en Amérique du Sud. C’est un désert d’abri coincé entre la fosse océanique d’Atacama et la cordillère des Andes
Lignes d’horizons
Quand se nourrir correctement devient impossible Un véritable désastre, voilà qui pourrait symboliser la vie aujourd’hui autour des villes et communes rurales au Sénégal. Dans toutes les régions du Sénégal, le malaise est grand autour des dernières réserves de faune et de flore restantes. Et, au fur et à mesure, les espaces verts d’hier sont grignotés au seul besoin de trouver du feu et du bois pour faire de la cuisine. Dans nombre de villages, l’on se demande si la misère et la pauvreté n’ont pas atteint leurs limites. Pour certaines zones enclavées vivant encore dans l’obscurité, le manque de lumière et de vision claire, pour ce qui est de projets régionaux, départementaux ou ruraux, ceux qui se battent comme Paul Ngom, trouvent rarement un interlocuteur. La région, ils ne savent à quoi elle sert, si ce n’est pour aller délivrer, valider ou rejeter un papier administratif. Le département et son nouveau conseil, que du pipo, pour caser ou recaser des alliés. Ce qui intéresse ici, ce ne sont ni les partenariats ou les échanges avec d’autres régions similaires dans le monde, encore moins dans le devenir direct des populations rurales souvent désœuvrées et perdues. L’obsession du politique est encore d’acquérir et de conserver des avantages au niveau électoral et politique dans la localité.
Alors ne lui parlez pas de la détresse de ces femmes de Mbourokh, de Mboulème et plus loin Dougou Dalla qui viennent chercher chaque fois qu’elles le peuvent du bois mort, des noix de figuiers, pour chauffer leur marmite. La conséquence est directe, puisqu’on a sacrifié au nom de ce principe, toutes les richesses forestières sont parties. Ne parlez pas à ces gens, de climat et d’accord, ils n’en savent rien. La révolution solaire dont parle le Président de la république, allez la leur expliquer qu’ils vous diront qu’ils n’ont même pas une seul borne fontaine pour accéder à l’eau, à peine à une dizaine de kilomètres de la ville de Mbour. La misère, vous avez dit, oui, elle existe dans tout le Sénégal au moment où l’on n’arrête pas de gaspiller de l’argent et des ressources ailleurs et sans aucune importance pour l’avenir. Difficile d’accès, sans beaucoup de relations avec le monde moderne, la vie des certains villages sénégalais, dont certains de la Petite côte comme MboublèmeNdiamane, Gagna, Sidi bougou et encore ressemble à un véritable enfer sur terre où chacun se nourrit comme il peut. Après avoir détruit elles-mêmes et avec le concours d’autres acteurs, toutes les réserves de forêts qui leur restaient, le seul moyen de survie en dehors de l’agriculture pluviale, est aujourd’hui dans la débrouille, l’exode rural, la vente du bétail (bœufs, moutons, poules ou chèvres, s’il en reste). L’agriculture de subsistance en souffrance, il semble que dans ces contrées, il ne reste plus pour le grand nombre que très peu d’espoirs.