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MANSOUR KAMA, PRESIDENT DE LA CNES « La compétivité de nos entreprises ne peut s’accommoder de contrats de travail en béton »

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Dans cette deuxième partie de l’interview que le président de la Confédération nationale des employeurs du Sénégal a accordée à La Gazette, il s’est prononcé sur l’octroi de licence de pêche à des navires étrangers et c’est pour regretter que table rase soit faite de tout le travail de reconstitution des ressources halieutiques et d’accompagnement du secteur de la pêche. S’agissant de la dette intérieure, M. Kama s’est félicité des efforts faits par le ministre de l’Economie et des Finances pour l’épurer après moult conciliabules, même s’il n’a pas manqué d’exprimer quant à sa reconstitution vu la constante augmentation des dépenses de prestige de l’Etat. N’en déplaise aux syndicats de travailleurs, la conviction de Mansour Kama est faite : si le secteur privé sénégalais veut être compétitif, il faut rendre flexible la législation du travail. Il n’y voit aucune corrélation avec le faible accès au marché du travail. Par contre il prescrit des solutions pour endiguer le chômage. Parmi celles-ci le développement de pôles économiques régionaux avec comme piliers l’agro-industrie pour sortir l’agriculture sénégalaise de son marasme endémique.

En 2009 vous aviez rué sur les brancards pour exiger l’épuration de la dette intérieure. Est-ce qu’elle a été finalement réglée ?

Elle l’a été pour une grande partie. On s’est entendus avec le ministre de l’Economie et des Finances sur le règlement des dossiers dits clairs. En clair nous avions demandé aux services de Abdoulaye Diop de ne pas payer si la contre valeur de la dette d’une entreprise n’était pas trouvée. Car le ministre des Finances avait avancé que les entrepreneurs n’auraient jamais dû accepter certains marchés parce qu’ils n’avaient pas respecté le code des marchés. Mais de fil en aiguille on s’est accordés sur le fait qu’il fallait payer lorsque la réalité de la prestation du marché était établie.

D’ailleurs ils ont même accepté une décote. Il est vrai que ce chapitre n’a pas fait trop de bruit mais il est traité dossier par dossier. Evidemment, la dette de l’Etat n’est pas figée car compte tenu de la place de l’Etat dans l’économie comme grand acheteur il est normal qu’il continue à s’endetter. Mais nous sommes d’accord avec le Fonds monétaire international (Fmi) qu’il ne faut plus qu’on n’accepte que la dette dépasse le délai normal. C’est pourquoi nous sommes en contact avec le Fmi pour alerter lorsque nous pensons que l’Etat exagère en ce qui concerne la dette, car le Sénégal est signataire de l’Ispe (Instrument de soutien à la politique économique) par lequel les Etats s’engagent à ne pas fragiliser le cadre macroéconomique par un endettement pernicieux, c’est-à-dire qui dépasse certains ratios. Il est vrai que nous avons traversé une période où ce sont les entreprises qui ont supporté les errements de l’Etat en termes de dépenses publiques et dépenses de prestige, mais après toutes les batailles qu’il y a eues, on peut penser que la dette intérieure est réglée. Toutefois, ma seule crainte c’est sa reconstitution. C’est pourquoi nous pensons que les dépenses publiques devraient faire l’objet de prudence. Quand le train de vie de l’Etat est élevé, il faut que quelqu’un paye. Généralement c’est nous qui payons ensuite les citoyens ou les consommateurs.

Nous avons traversé une période où ce sont les entreprises qui ont supporté les errements de l’Etat en termes de dépenses publiques et de prestige.

Les entreprises sénégalaises sont-elles en mesure de résorber le chômage ?

Le chômage est un véritable problème qui convoque tout un ensemble de responsabilités : bien sûr celle des entreprises mais également celle de l’Etat au sens où c’est un acteur qui doit assurer des emplois à sa population. Tout cela fait dire qu’on ne peut pas traiter la question de l’emploi en disant que ce sont les entreprises qui doivent créer des emplois. J’ai déclaré précédemment qu’en cas de crise on procède à un ajustement des ressources humaines. Cela veut dire que nous sommes aussi bien prêts à mettre des gens au chômage qu’à en employer. Mais dans quelles limites ? Seuls de nouveaux investissements peuvent conditionner une absorption plus importante des demandeurs d’emplois. Une entreprise dont l’activité progresse de 10% chaque année peut créer de nouveaux emplois mais pas de la même manière que le ferait celle qui est dans une activité qui peut être un secteur à haute intensité de main d’œuvre. C’est la raison pour laquelle je voudrais souligner notre souhait de créer des pôles économiques régionaux car nous nous sommes rendu compte que Dakar, grâce à sa macrocéphalie, attire beaucoup de chômeurs. Or il y a dans les régions de l’intérieur un potentiel qui n’a jamais été exploité comme il faut à cause des retards au plan des infrastructures. Mais notre démarche est de dire qu’il faut absolument qu’on prenne conscience qu’à l’intérieur du Sénégal on devrait opérer des transferts d’investissements parce qu’il y a là un cadre approprié pour attirer des entreprises et retenir les gens. Ça c’est une des réponses que nous pensons devoir donner. L’autre réponse c’est l’accroissement des activités pour faire remonter le taux de croissance.

Mais un taux de croissance qui remonte doit être accompagné par un taux d’investissement important. Seulement, avec les atermoiements constatés dans l’environnement économique, les investissements sont actuellement beaucoup plus concentrés dans le domaine de la spéculation immobilière que dans le domaine industriel. Mais fort heureusement pour le Sénégal, nous avons une agriculture qui peut représenter un secteur important de création d’emplois si nous développons l’agro-industrie. Encore une fois, nous pensons que nous avons raison d’insister sur le transfert d’investissements vers les régions. L’agriculture et l’élevage sont des secteurs qui peuvent apporter une réponse importante à la question de l’emploi. Dans une zone comme Dakar les entreprises ont atteint leur limite en matière d’investissements car les terrains industriels sont devenus rares et leurs coûts très élevés érodent la compétitivité des entreprises et inhibent les volontés d’investir. Car on n’est pas sûr de s’en sortir en répercutant les coûts d’investissements sur la production.

Avec les atermoiements constatés dans l’environnement économique, les investissements sont actuellement beaucoup plus concentrés dans le domaine de la spéculation immobilière que dans le domaine industriel.

L’Etat du Sénégal a créé des structures comme l’Agence nationale pour l’emploi des jeunes (Anej) et le Fonds national de promotion de la jeunesse (Fnpj) pour résorber le chômage. Que pensez- vous de ces initiatives ?

Nous pensons que la politique de l’emploi doit être au cœur de la politique de l’Etat car c’est la politique de l’emploi qui traduit la bonne santé ou la maladie d’une économie. Il faut faire de la promotion de l’emploi une priorité mais l’Etat ne doit pas se contenter de créer des structures qui injectent des milliards au niveau des populations jeunes. Mais s’assurer qu’il y aura une activité économique avec des résultats pour rembourser. Egalement sur le plan de l’éducation, ce qui se passe à l’Université de Dakar me persuade que c’est une machine à fabriquer des chômeurs. Tant qu’on n’aura pas le courage de mettre sur la voie de l’université des barrières qui permettent d’orienter les élèves vers des activités qui demandent beaucoup plus de capacités manuelles on ne s’en sortira pas.

Car si vous regardez la structure de l’emploi dans une entreprise industrielle, la superstructure, c’est-à-dire les cadres, grands managers est très bien pourvue, les ouvriers aussi mais pour ceux qui déterminent les chaînes de production c’est-à-dire les techniciens, il a fallu qu’on crée des centres de métiers pour répondre aux demandes dans les secteurs comme les Btp parce que les gens ne savaient même plus conduire des engins de travaux publics. Aussi pensons-nous qu’il faut repenser la politique d’éducation, la place et la promotion de l’entreprise et de l’entreprenariat auprès des jeunes et enseigner l’esprit d’entreprise dans les écoles pour que les jeunes ne pensent pas qu’il faut dépendre de l’Etat pour travailler.

Si le Sénégal n’a pas su profiter de l’« African Growth and Opportunity Act » (Agoa) c’est parce que les entreprises qui sont dans le textile ne sont pas assez productive et notre législation du travail pas très flexible.

Vous l’avez constaté avec nous, l’emploi se fait rare. Est-ce la raison pour laquelle vous préconisez la flexibilité de la réglementation du travail avec la possibilité de renouveler de manière indéfinie les contrats à durée indéterminée ?

Je ne pense pas qu’il faut faire une corrélation entre la modification du code du travail et la difficulté de créer des emplois. Il faut considérer que la flexibilité ne sera pas appliquée dans tous les secteurs mais seulement dans ceux où la compétition internationale nous impose des réformes pour que nous soyons compétitifs. Si le Sénégal n’a pas su profiter de l’« African Growth and Opportunity Act » (Agoa) c’est parce que les entreprises qui sont dans le textile ne sont pas assez productives et notre législation du travail pas très flexible. Mais les syndicats de travailleurs continuent de clamer qu’ils veulent la sécurité de l’emploi. Nous leur répondons que la sécurité à un prix. Dans une économie globalisée si on n’est pas au même niveau que nos concurrents on ne vendra rien du tout. Comment peut-on être dans le cadre d’emplois stabilisés, de contrats en béton avec des salaires relevés et espérer être compétitifs avec une productivité qui n’est pas toujours au rendez-vous ? C’est pourquoi je dis aux syndicalistes qu’il faut savoir raison garder afin qu’on trouve ensemble comment travailler à augmenter la productivité et décomplexer la question de l’emploi et sa précarité. Car une entreprise qui marche a forcément besoin de main d’œuvre. Mais autant on peut accepter que lorsque la demande est forte qu’on embauche beaucoup de gens, autant lorsque la demande plonge, on doit accepter qu’on puisse procéder à des licenciements. Ce serait illusoire de penser que le Sénégal est un îlot qui peut se mettre en marge de la compétition et penser vendre. Dans le secteur de la pêche par exemple, la main d’œuvre reste un facteur très important.

Mais avant que la crise n’éclate dans ce secteur on avait réussi avec les syndicats de travailleurs à asseoir des relations qui faisaient que la productivité est un élément important dans la gestion de l’entreprise et en échange on distribuait des primes. Dans les négociations on a même demandé que les journaliers puissent accéder aux prestations sociales. On est pour ce genre d’arrangement mais si on doit réclamer des contrats à durée indéterminée pour tout le monde, je vous garantis que le Sénégal aura beaucoup de soucis à se faire dans beaucoup de secteurs.

si on doit réclamer des contrats à durée indéterminée pour tout le monde je vous garantis que le Sénégal aura beaucoup de soucis à se faire dans beaucoup de secteurs.

Récemment le Gaipes s’est opposé de manière vigoureuse à l’octroi de licence de pêche à des armateurs étrangers par le ministre de l’économie maritime. Quelle est votre position sur ce sujet ?

Nous avons été saisis de la manière la plus officielle par le Groupement des armateurs et industriels de la Pêche au Sénégal (Gaipes) qui est membre de la Confédération nationale des employeurs du Sénégal (Cnes). Le secteur de la pêche sort à peine d’une longue période de crise car nous avons traversé une période durant laquelle la pêche ne rapportait plus beaucoup de devises à l’économie du Sénégal. Nos exportations ont considérablement baissé et beaucoup d’usines ont fermé. Pour regonfler les ressources halieutiques, des mesures comme le repos biologique ont été préconisées. C’est par la suite que les armements ont recommencé à repartir en mer. Lorsque tout ça est mis en place et qu’on découvre un beau jour que le ministre de l’Economie maritime a octroyé des licences à des armateurs ukrainiens ou russes qui pêchent même dans la zone des 6 miles, zone de reproduction et de refuge des poissons, cela veut dire que c’est tout le travail de reconstitution et d’accompagnement du secteur qui a été fait qui risque d’être plombé.

Fin

La Rédaction

lagazette.sn

 

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