Ancienne journaliste, Marie-Angélique Savané, l’épouse du leader politique Landing Savané, est l’ une des féministes les plus distinguées au Sénégal pour son engagement et sa longévité dans le combat pour l’amélioration des conditions d’existence des femmes. Militante également dans le parti And-jëf / Parti africain pour la démocratie et le socialisme (Aj/Pads) dont l’époux Landing Savané est le secrétaire général, cette femme considérée comme une grande féministe se livre entièrement à « La Sentinelle » sur les questions de genre. « La politique, c’est pour un autre numéro » promet –elle.
La Sentinelle : Qu’est – ce que le féminisme aujourd’hui ?
M.A.S : Le féminisme existe toujours et existera. Je crois que c’est son expression qui a beaucoup été dévaluée. J’avoue que pour une féministe, j’ai été déçue d’apprendre d’hier qu’on fêtait les 100 ans de la journée internationale de la femme et que les autorités, les grandes associations de femmes n’ont pas organisé à la hauteur de l’évènement. Pour moi, c’est le suivi qu’au cours des années, les nouvelles générations ont eu à bénéficier d’un certain nombre d’avantages pour lesquelles on s’était battus et qui font que maintenant les femmes ont presque l’impression que leur situation n’a pas à être améliorée. Je vois aussi, dans le même temps, qu’il y a une espèce d’exception, de léthargie, et qui est liée au fait que beaucoup de femmes jeunes se disent que de toute les façons ça ne change pas beaucoup. Je crois qu’il est important de redéfinir le féminisme d’aujourd’hui, mais comme je le dis toujours, c’est la tâche des femmes jeunes. Il y a tellement de choses qui se passent, que nous qui avons 50 ans et plus, nous ne pouvons plus articuler. Il faut que chaque génération couvre les problèmes aux quelles elle corresponde. Je peux parler des problèmes des femmes de mon âge, il y en a beaucoup. Les femmes souffrent en silence. Le féminisme c’est à la fois, une manière d’analyser la situation des femmes, de la théoriser, mais aussi d’agir pour la transformer.
L.S : Yewwu – yewwi était un des rares mouvements féministes. Que devient –il aujourd’hui ? Serait –t-il mort ?
M.A.S : Il a vieilli et est mort de sa belle mort. Il est mort de facto. Je pense que les femmes qui ont porté yewwu –yewwi sont de l’autre côté. Elles n’ont plus ces problèmes quotidiens de se battre pour être femmes et exister. Le reproche qu’on peut – être nous faire, c’est qu’on n’a pas su préparer la relève, on n’a pas su intéresser les femmes qui étaient plus jeunes, même si c’est vrai qu’on a essayé. Il faut dire aussi, que c’était beaucoup plus compliqué, parce qu’au moment où yewwu – yewwi avait atteint sa phase de plateau, l’essentiel des grandes revendications qui consistait à revisiter le code de la famille, à permettre aux femmes de choisir quand même leur lieu de travail, à ne pas nécessairement suivre leur mari dans les lieux d’affectation, l’intégration des femmes dans la politique etc., toutes ces questions étaient prises en charge petit –à – petit. Il ya aussi le fait que le monde a changé. Le monde d’aujourd’hui n’est plus un monde de mouvement de générosité, d’engagement, où on s’engage, pour une cause parce qu’on croit qu’il est important que cette situation, ce problème soit réglé. Aujourd’hui, les gens sont plus dans une démarche individualiste, où on règle ces problèmes à l’intérieur de son ménage, de son foyer, mais où on ne songe pas tellement à la marque, au bien commun. Le féminisme à l’époque se posait comme un évènement social, de transformation sociale. Les jeunes sont pris aujourd’hui par la précarité de leur situation, ce qui fait que la politique les rebute. Les jeunes n’ont plus le sens de l’engagement politique. On a tous vu ce qui s’est passé avec le méga concert pour Haïti et qui n’a pas drainé de monde. Du temps de notre génération, le stade aurait été archi plein, parce que, non seulement, on avait le sens de l’engagement politique, mais aussi de ce qu’on appelait « l’internationalisation ». C’est regrettable qu’une situation comme Haïti soit politisée et en soit pâtie parce que le Président en a fait un enjeu. Il appartient aux leaders politiques de faire ces analyses.
L.S : Aujourd’hui, on parle plus de projets pour les femmes, cela veut –t-il dire féminisme ?
M.A.S : Oui et non ! Vous savez les projets, on en parle depuis toujours. Je me souviens au moment de l’année internationale de la femme en 1997, on a commencé vraiment les grands projets de développement des femmes. J’ai eu à écrire des papiers en ce montrant l’évolution entre les actions dites humanitaires, bonne gouvernant où on aidait les femmes à s’en sortir. On a posé la question de la position ou de l’intégration même dans le développement. Et ça été toute la décennie de la femme qui a permis pendant 10 ans, de multiplier les actions, les programmes, les actions en direction des femmes. Malheureusement, au Sénégal, dans ce domaine, on a créé du « taf nyeuguel » (ndlr : solution de faciliter). Je me rends compte que de 1981 à nos jours, on a continué à faire la même chose, parce qu’il n’ya pas d’imagination. La plupart des personnes qui ont eu à s’occuper du ministère de la femme, ne sont pas fondamentalement des féministes. Elles ne comprennent pas que la condition des femmes est à la fois économique, culturelle et politique. Il ne s’agit pas seulement de donner aux femmes des moyens matériels, mais de changer les mentalités d’une société qui opprime les femmes. Dans ce pays, il ya tellement de problèmes qui bafoue sa dignité de la femme. Je me demande même parfois, est- ce – qu’il ya un ministère qui s’occupe de la femme dans ce pays ? Il y a suffisamment de raisons pour que les femmes se battent et obtiennent des privilèges. Celles qui sont professionnelles se rendent compte que malgré tout, il ya quelques performances, il ya quelques promotions, mais dans la masse critique, il n’y a en pas. Même si le gouvernement, avec l’alternance a augmenté le nombre de femmes dans le gouvernement, aucune d’elles n’a une attitude de féminisme. Elles ne parlent même pas de dame. Elles sont là pour leur propre carrière. Aucune d’elles ne profite de l’occasion, de sa position, alors que nous, à notre époque, on mobilisait et on demandait plus de femmes ministre. Moi, je suis persuadée que si on avait des femmes féministes engagées, les questions sociales, les questions mêmes de l’énergie qui durent depuis 10 ans trouveront des solutions. La précarité aujourd’hui de la vie est une précarité féminine, pourquoi pas alors ne pas intégrer les femmes. Et pourtant, le Président l’a compris plus que n’importe qui, même s’il en a fait une masse électorale. Ce n’est pas pour rien qu’on a cette histoire de vice – Présidente, femme. Tout ça, c’est une manière de tromper les femmes.
L.S : Sur la parité, ne pensez- vous pas qu’il serait plus équitable de mettre en avant les compétences que d’exiger 50%, 50% ? Parité fixe ?
M.A.S : Vous savez, quand on lutte, on trouve toujours des choses qui donnent des coups de pouce. La parité ne sera jamais quelque chose de permanent. Parce que, c’est évident, les femmes ont souffert tellement de handicaps. Elles ont eu du mépris de telle sorte que si on doit attendre que les choses se passent, on est parti pour un siècle. Et dans le mouvement historique, chaque fois on a créé les conditions. C’est vrai qu’aujourd’hui un pays comme le Sénégal, comme n’importe quel pays pourrait prétendre à la parité. C’est un objectif, quand est –ce qu’on va l’atteindre, c’est un autre problème. Il faut que les gens acceptent qu’il y a des structures où il faut une parité. Maintenant, si on regarde dans la vie politique, bien sûr que beaucoup de femmes ont profité des luttes que nous avons menées pour atteindre telle ou telle chose, malheureusement, elles n’ont pas renvoyé l’ascenseur. Mais, c’est vrai que les femmes n’ont pas été formées à la vie politique. Et poser la parité comme on le fait aujourd’hui, c’est évident que ça pose problème. Parce qu’on le veuille ou non il y a quelques femmes qui ont bénéficié de soutien et qui se sont lancées dans la politique. Mais la grande majorité des femmes n’a pas atteint le niveau de responsabilité politique. C’est dur, il y a des conditions objectives qui font que ce n’est pas souvent facile. Si vous regardez bien, les rares femmes qui y arrivent, sont divorcées, ou veuves. Pour les quelques unes qui sont mariées, leur mari est aussi dans la politique. En dehors de ça, la grande masse des femmes ne fait pas la politique. Je pense qu’il faut tendre à créer des conditions où une masse critique de femmes, beaucoup plus grande soit au niveau des assemblées élues ou au niveau local, parce qu’on le veuille ou non les hommes luttent pour surtout le superflu et l’artificiel et ce sont des choses dont on peut vraiment se passer. Si dans les Communes, on avait plus de femmes, je vous assure qu’on va régler plus de questions simples, ordinaires, des questions de survie telles que l’hygiène, l’organisation de la vie des quartiers, la prise en charge de la santé des enfants etc. Alors que les hommes dès qu’ils sont élus, la première chose qu’ils font c’est d’acheter un véhicule. Un pays qui veut nécessairement avancer doit poser le problème en ces termes.
L.S : N’est –ce- pas une discrimination positive ?
M.A.S : Oui, c’est une discrimination positive comme je le dis souvent. Il y a des moments où il faut aider les hommes à sortir de leurs difficultés. Il y a des obstacles majeurs et réels. L’analphabétisme est quand même grave au niveau des femmes surtout dans l’arène politique. Ce n’est pas qu’on n’a rien à faire qu’il faut entrer dans la politique. Et malheureusement, les femmes ne sont pas suffisamment formées. Je dois dire que nous avons tenté, et nous avons échoué à ce niveau. Le Sénégal est un pays très difficile, parce qu’on se complait dans les aspects superficiel de la vie. On ne va pas beaucoup au fond des choses.
L.S : Nous voyons jusqu’à présent dans les faits divers les infanticides, est –ce -à –dire qu’il n’y a pas de bataille pour la contraception. Si oui, où en êtes vous dans cette lutte ?
M.A.S : On ne parle même plus de bataille dans ce sens. Il ya a eu en quelque sorte depuis quelques années progressivement un certain conservatisme religieux. Tous les gens ont peur maintenant d’en parler. Dans les années 70, 80, on parlait de contraception, on parlait de la sexualité des jeunes, de la nécessité de les éduquer sexuellement pour qu’ils se prennent en charge etc. On n’en parle plus. C’est vrai qu’entre temps la contraception a été acceptée mais je ne suis pas sûre que les femmes l’utilisent autant qu’il le faut. Je ne suis pas sûre que l’ignorance soit aussi grande. Alors qu’on en parle tous les jours, on n’a jamais entendu une autorité femme poser ce problème et le dire concrètement. Ce n’est pas normal. Il faut que les jeunes femmes soient conscientes de leur avenir. On a laissé ce pays, dominé par des religieux qui ne sont pas nécessairement des références et qui décident. Il faut que l’Etat se dégage des réalités religieuses. On est un Etat laïc, un Etat, c’est un Etat. On ne peut pas se laisser dominer par des vieux, dont le poids ne représente même pas 10% de la population. Il faut aussi que les jeunes s’engagent.
L.s : Parlons maintenant un peu de politique. Où en est Aj/ Pads, surtout avec le départ de Decroix et Madièye Mbodji ?
M.A.S : Non, je ne préfère pas en parler. Consacrons cette interview uniquement aux femmes. C’est notre fête, profitons- en. Les gens ne perçoivent pas toujours les différences. Un autre jour, même dans la semaine si tu veux, on parlera de politique et d’Aj, de tous ce que tu voudras.
L.S : Comme vous voulez Mme Savané. Auriez-vous quelque chose à ajouter alors par rapport à la cause des femmes ?
M.A.S : Je pense que plus que jamais, la cause des femmes est vraiment un enjeu. Et on ne peut pas bâtir ce pays qui commémore le 50e anniversaire de son accession à la souveraineté internationale sans poser le débat sur le rôle de la femme. C’est qu’on ne peut pas négliger plus de 50% de la population. Et c’est sûr que l’implication de femmes dans les prises de décisions peut changer la face du pays. Je demeure persuadée que les femmes sont en mesure de trouver les solutions aux problèmes, elles ont des capacités d’organisation, le sens du partage, le sens de l’initiative et du renoncement. Elles s’adaptent très rapidement aux réalités de la vie, ce qu’un homme à des difficultés de faire. Aujourd’hui, l’enjeu majeur, c’est que les femmes doivent se battre pour que leur représentation soit réelle.