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Marie NDiaye ou l’éloge de la circonvolution

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Le prix Goncourt 2009 attribué à Marie NDiaye couronne une œuvre dont la singularité fut très tôt remarquée par les Editions de Minuit. L’auteur avait alors dix-sept ans. Avec Trois femmes puissantes jamais NDiaye n’avait eu autant de réception médiatique dépassant cette fois-ci le cercle du succès d’estime pour atteindre le grand public même avant l’annonce du Goncourt. Dès le mois d’août tous les observateurs prédisaient l’attribution de ce prix à la romancière. Ce qui, en novembre, se concrétisa en « deux minutes trente » selon les propos d’un des membres du jury, Bernard Pivot. Pourtant ce roman continue à susciter des réactions très inattendues, certains lecteurs se sentant « floués » par la campagne médiatique et le couronnement d’une œuvre « rébarbative » à leur goût. Il suffit en effet de faire le tour des sites de ventes de livres sur la toile pour s’en rendre compte.
Au milieu de plusieurs commentaires du même ton, un internaute écrit ceci dans Amazon.fr :
« Comment peut-on attribuer un prix à ce livre ? Phrases trop longues pouvant atteindre 27 lignes… »
Un autre rajoute :
« Aussi prétentieux qu’ennuyeux. Presque toujours mal écrit (…) Aurait mérité au mieux le Goncourt de l’imparfait du subjonctif. »
Même son de cloche sur Fnac.com :
« Tout ce tapage médiatique pour un livre obséquieux et illisible. Trop de métaphores et de phrases à rallonge ! Le récit est totalement noyé dans ces figures de style. Décevant ! »
S’il est vrai que tout lauréat d’un prix d’automne est forcément « discuté », il reste que « le cas NDiaye » interpelle, en ce sens qu’il pose avec acuité la question de la littérature, de sa forme et du fossé qui existe entre le regard des critiques et celui du grand public. Or Trois femmes puissantes est un roman qui tient justement sur la circonvolution stylistique, et pourtant c’est elle qui est au cœur d’un certain « désamour ». Faut-il rappeler qu’il est trop tard de feindre la surprise et l’étonnement à ce sujet ? Nous ne découvrons pas en effet ces « phrases à rallonge » chez Marie NDiaye. Il suffit de relire ses livres précédents pour se rafraîchir la mémoire. Savourons par exemple ce passage du deuxième roman de l’auteur paru il y a maintenant vingt-deux ans, Comédie classique :
elle avait ouvert la porte avant même que je fusse arrivé afin que je montasse le plus vite possible et la rejoignisse au salon
Dans la plume de Houellebecq cela aurait paru ridicule. NDiaye en a fait sa marque de fabrique. A cette époque personne n’avait alors boudé Comédie classique, roman écrit d’une seule phrase d’une centaine de pages. La prouesse fut ovationnée, et NDiaye entrait désormais de façon durable dans l’arène littéraire française. Cette inclination à la circonvolution sied à son projet esthétique. Qui a dit que la littérature devrait suivre la mode, changer d’accoutrement à chaque collection ? NDiaye n’est pas un écrivain de saisons. En hiver elle habille ses phrases en tenue d’été, et en été elle leur fait porter des manteaux et des gants. C’est cette touche qui, de manière subreptice, bouscule les codes de la narration tout en rendant hommage au roman du XIXe siècle. Alors ces phrases kilométriques, ces subjonctifs imparfaits, ces mots recherchés et cet univers à la fois vertigineux, frénétique et épileptique deviennent une sorte de mélange de Proust et de Faulkner.
Assurément NDiaye est l’un des plus grands écrivains français de ces temps. Une candidate de premier plan s’il arrivait que l’Académie Nobel songe à couronner un auteur d’expression française dans la décennie à venir. Lui manquerait-il une dimension « politique » pour arriver jusqu’à cette apothéose ? Sa posture « d’exilée en Allemagne » renforcée par une polémique oiseuse alimentée par un député français la conduit peu à peu du statut de l’écrivain « silencieux » à celui d’auteur engagé, j’allais dire « engageant », celui qui ne se contente pas d’écrire mais qui trace une vision du monde à la fois dans ses livres et dans sa vie quotidienne. Une posture qui me fait presque penser à celle de mon mentor J-M G Le Clézio, prix Nobel 2008…

Alain Mabanckou

blackbazar.blogspot.com

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