XALIMANEWS : Avocat de profession, Mame Adama Guèye est également un acteur engagé sur les questions de citoyenneté et de politique. Récent démissionnaire de la plateforme « Avenir Sénégal Bi nu Begg » dont il est pourtant membre fondateur, Me Guèye soulève un coin du voile de son départ et de sa future orientation politique. L’ancien candidat à la présidentielle en 2007 met en perspective l’actualité politico-judiciaire sénégalaise tout en appelant à une réforme du dialogue politique.
Quelles sont les raisons de votre départ au sein de la plateforme « Avenir Sénégal Bi nu Begg » ?
Les raisons de mon départ sont liées à des questions de divergences persistantes sur des questions organisationnelles. Cela a abouti à une perte de motivation. J’ai fini par constater que je n’avais plus assez de foi pour poursuivre l’aventure dans ce cadre. C’est la raison pour laquelle j’ai pris mes responsabilités. J’ai estimé qu’à un moment donné, il n’était plus possible de poursuivre l’aventure dans les conditions qui prévalaient. Ce sont les raisons qui m’ont poussé à démissionner de la plateforme. C’est une décision que j’ai prise malgré moi. Nous avons eu une discussion très franche. J’ai expliqué les raisons profondes qui me poussent à arrêter l’aventure. Et je ne pense pas qu’il soit positif d’en faire un débat public. Je tiens à garder les bonnes relations, car nous ne sommes pas dans une perspective de relation conflictuelle. En tant que responsable, j’ai constaté des désaccords profonds et persistants sur des questions essentielles. C’est pour cela que j’ai pris mes responsabilités. Je ne pense pas qu’il soit utile d’entrer dans les détails. Nous avons discuté en interne, je n’ai pas eu les moyens de surmonter les difficultés. J’ai, dès lors, préféré prendre mes responsabilités.
A quel moment s’est-il avéré impossible de continuer la collaboration ?
Avant de prendre une quelconque décision, j’ai attiré l’attention de mes amis sur un certain nombre de questions organisationnelles. Mes appels et mes observations n’ont pas été pris en compte. Le processus électoral durant les législatives a été un élément révélateur supplémentaire des failles organisationnels. C’est pour cela d’ailleurs que j’ai pris la décision de m’écarter de la participation de la plateforme à la coalition « Assemblée Bi nu Begg ».
Quelle sera votre orientation politique, après votre départ de la plateforme « Avenir Sénégal Bi nu Begg » ?
Je suis dans une période de réflexion pour réorienter mon action politique. Je reste toutefois au service de mon pays. J’entends, bien entendu, poursuivre mon action politique. Mais forcément, ce sera dans une autre orientation.
Dans votre nouvelle orientation politique, pourriez-vous vous allier au pouvoir en place ?
Je ne suis pas du tout dans cette logique. Mon départ de la plateforme n’a rien à voir avec une telle perspective. J’ai quitté la plateforme pour des raisons de divergences. Je vous l’ai expliqué. Maintenant, concernant ma réorientation par rapport à ce que je viens de vous dire, vous devez comprendre qu’il n’est absolument pas question d’envisager de retrouver le pouvoir. Je ne suis pas du tout dans cette logique. Ce serait incohérent d’envisager une telle perspective.
Est-ce vous pourriez être candidat à la prochaine élection présidentielle ?
Ce n’est pas à l’ordre du jour ; c’est une question tellement importante que c’est difficile de répondre aujourd’hui. Je répète que je suis dans une période de réflexion pour orienter mon action politique. C’est un processus qui est en cours.
Et c’est le résultat qui va déterminer quelle orientation politique je prendrai. Etre candidat à une élection, je n’en fais pas une histoire d’envie. C’est l’évolution d’un engagement, les circonstances historiques, politiques… Ce sont tous ces paramètres qui peuvent créer les conditions favorables à une candidature. Croyez-moi, j’ai appris de ma candidature à la présidentielle en 2007. Je ne m’étais pas présenté dans les meilleures conditions. Désormais, j’ai un peu d’expérience là-dessus. Donc, je ne me précipiterai pas pour annoncer des choses alors que je suis en pleine réflexion.
Le ministre de l’Intérieur a récemment invité la classe politique à un dialogue. Ce dernier a été décliné par la frange la plus représentative de l’opposition. Comment jugez-vous cette situation ?
Il est nécessaire de repenser cette question de dialogue politique. Depuis plusieurs années, nous nous adonnons au même exercice. C’est une perpétuelle répétition. Nous faisons un dialogue, nous passons quelques accords. Malheureusement, ces derniers se réduisent au processus électoral. Nous allons aux élections et cela ne se passe pas toujours comme prévu. Ensuite, une situation conflictuelle s’installe qui va justifier la convocation d’un nouvel appel au dialogue. Je pense qu’il est nécessaire que nous essayons d’avancer. Il faut, pour cela, repenser le concept de dialogue. Dans le cadre d’une démocratie, il est quand même regrettable que l’on réduise le dialogue politique à un tête-à-tête entre pouvoir et opposition. Les problèmes d’un pays dépassent largement les questions politiques. Il y a d’autres questions. Il faudrait que l’on évolue positivement. Il faut arriver à normaliser les relations, dans le cadre d’un contexte où le dialogue politique se déroule bien avant les élections. Je ne vois pas comment on peut réussir un dialogue, si on n’arrive pas dans un cadre normal de relations entre pouvoir et opposition. Il est nécessaire que ceux qui dirigent et ceux qui aspirent à le faire partagent des relations normales. Etre au pouvoir n’autorise pas à faire tout ce que l’on veut ; être dans l’opposition ne revient pas aussi à exclusivement critiquer. Si, bien entendu, ce sont les intérêts du Sénégal qui préoccupent tout le monde, il est nécessaire de revoir les conduites. Nous pouvons ne pas partager les mêmes points de vue. Mais, nous devons échanger dans le respect mutuel. Il est temps que l’on s’inscrive dans une perspective de gouvernance ouverte. Dans cette situation, le président de la République sera en mesure de trouver, à chaque fois que les questions d’intérêts nationaux se posent, des interlocuteurs avec lesquels il peut discuter. Il peut recueillir auprès de ces personnes des idées en termes de réflexions, d’avis et même de critiques. Sur des questions de nature que ce soit, il y a des sommités dans ce pays qui sont en mesure d’orienter l’action du président de la République. C’est dans ce cadre qu’il faut inscrire la gouvernance du pays. Je croit que les approches sont à repenser. Il est nécessaire aussi bien pour le pouvoir que l’opposition de s’inscrire dans une logique de bonne foi. Ce, afin de restaurer la confiance.
Avez-vous été sollicité à prendre part au dialogue politique prévu ce 21 novembre ?
Je n’ai pas été sollicité. Mais, je vais quand même y prendre part. Voilà encore une erreur. Quand le ministre de l’Intérieur parle, il fait allusion à des invitations aux partis politiques. Pourquoi seulement les partis politiques ? La loi permet à d’autres entités que les partis politiques de prendre part aux élections. La présence d’autres entités, à mon avis, est utile pour ouvrir le cadre de dialogue et casser ce tête-à-tête qui n’est pas productif. C’est pour cela que j’envisage de participer à ces discussions sous l’étiquette d’un indépendant et ancien candidat à une élection présidentielle.
Quelle est votre position sur la procédure de levée de l’immunité parlementaire de Khalifa Sall ?
Les faits sont très clairs et très simples. On ne peut vouloir une chose et son contraire. Dans cette affaire, il y a un déni flagrant de justice. On ne peut pas, dans un premier temps, dire que Monsieur Khalifa Sall n’a pas l’immunité parlementaire pour refuser de le libérer et, quelque temps après, demander à lever son immunité parlementaire. C’est totalement incohérent. Cela conforte l’idée qu’il y a une orientation politique dans cette affaire. Je le dis depuis longtemps d’ailleurs et cela ne fait que me confirmer. Il n’est pas trop tard pour s’inscrire dans la logique imposée par l’Etat de droit. Aujourd’hui, il faut se rendre à l’évidence sur ces incohérences évidentes dans cette affaire. Et il faut les corriger.
Et comment…
Je ne veux pas en parler sous l’angle juridique, car il s’agit d’une affaire en cours. En tant que citoyen, j’estime que nous ne sommes pas loin de l’attentat à l’Etat de droit où il doit y avoir la primauté de la loi qui s’impose à tout le monde. Ce n’est pas quelque chose de flexible ni d’élastique qu’on utilise selon ce qu’on veut. J’en appelle aux différentes parties, que sont l’Etat – qui a un rôle à jouer – et la justice, pour rétablir Khalifa Sall dans ses droits. Nous sommes actuellement face à un véritable déni de justice dans un pays qui se targue de privilégier l’Etat de droit.
Quel regard portez-vous sur la situation politico-économique depuis mars 2012 ?
C’est difficile de faire un jugement global dans une interview, mais il y a des chiffres qui sont donnés et difficilement contestables sur le taux de croissance. Ils sont jugés positifs par les économistes. C’est très bien. Maintenant il faut analyser le profil de la croissance. Est-elle portée par des secteurs essentiellement contrôlés par des intérêts étrangers ? C’est une croissance extravertie, car ses flux ne restent pas au Sénégal. Une croissance n’a de sens que si elle est constante, en s’inscrivant sur une certaine période significative. Il faudrait travailler pour qu’elle soit moins extravertie et donc, portée par des secteurs dont l’impact est plus endogène. Le quotidien des Sénégalais est extrêmement difficile et je ne crois pas que cette croissance joue dans la résolution des difficultés. Le Plan Sénégal émergent (Pse), mis en place par le président de la République, a le mérite d’exister. Pour une fois, nous avons une feuille de route sur le moyen et long terme. Selon les économistes, l’investissement dans le Pse est essentiellement porté par le public dans le cadre des infrastructures. Il est inquiétant que ne voyons pas le secteur privé national relayé cet investissement. Ce qui entraine forcément des difficultés. Une question se pose : pourquoi le secteur privé a cette attitude ? Cela voudrait-il dire que les conditions ne seraient pas réunies pour faciliter l’investissement du secteur privé dans le cadre du Pse ? Ce sont les conclusions récentes du Fmi. L’autre élément important est une conviction sur le fait que le gouvernement ne fait pas assez pour favoriser le développement du secteur privé national.
Votre commentaire sur la situation de la justice depuis l’avènement de la deuxième alternance ?
La situation de la justice ne s’est pas du tout améliorée depuis 2012. C’est assez inquiétant. Car pour moi, la justice est le secteur le plus important dans un pays. Elle régule le fonctionnement de la société, de l’économie, de la politique, des droits de l’Homme. Aujourd’hui, l’état de la justice n’est pas satisfaisant au point que le ministre de tutelle avait annoncé que le président de la République allait convoquer des Assises de la justice. L’annonce a été faite en avril. Six mois après, nous attendons toujours, alors que c’était une excellente décision. C’est essentiel de tenir ces assises de la justice. La bonne nouvelle dans tout cela est l’élection du nouveau bureau de l’Ums. Le nouveau président est un très bon magistrat engagé sur les questions d’indépendance de la justice. J’espère que son engagement, en relation avec la contribution des autres acteurs de la justice et de l’Etat, va peut-être permettre d’améliorer la situation. Mais, pour l’instant, le président Macky Sall n’a pas apporté des améliorations sensibles à la justice.
Vous faites partie de ceux-là qui s’étaient beaucoup impliqués, en son temps, pour le départ de Me Abdoulaye Wade du pouvoir. Cinq années après, est-ce qu’il vous arrive de nourrir des regrets ?
Je ne nourris aucun regret. C’était un combat de principes. J’ai été fier de participer à ce combat, dans le cadre du M23 et aussi dans le prolongement des Assises nationales. Ce sont des principes auxquels je reste absolument fidèles. Je n’ai aucun regret de ce point de vue. Cette alternance était vraiment nécessaire. En compréhension de cette cause, nous nous étions fortement impliqués, sans regret aucun. Maintenant, il faut oser le dire, nous avons fait cette alternance pour combattre un certain nombre d’irrégularités. Est-ce qu’au moment où nous parlons l’alternance intervenue en 2012 répond à nos attentes ? Personnellement, c’est la question que je me pose. De ce point de vue, je le dis et le répète, l’alternance n’a pas répondu à toutes les attentes. Nous avions engagé un combat de principes contre le régime de Me Wade dans le cadre du M23 et des Assises nationales. Nous voulions une meilleure gouvernance, des Institutions fortes, un équilibre des pouvoirs, autant de principes consacrés dans les Assises nationales. Mais, force est de constater que les principes souscrits dans le cadre des Assises nationales et tous les engagements n’ont pas été respectés. Nous retrouvons dans la situation actuelle beaucoup de choses qui avaient auparavant cours. Sur ce plan, nous avons forcément des regrets. Nous avons d’autant plus des regrets que nous avions accompagné l’opposition d’alors pour qu’une fois au pouvoir, elle s’attèle à apporter les ruptures espérées. Nous l’avions fait de bonne foi. Les attentes n’ont malheureusement pas toutes été prises en compte.
Comment trouvez-vous Me Wade dans l’opposition ?
Il est dans son rôle. Nous n’attendons pas autre chose d’une opposition. Maintenant chacun a sa conception de l’opposition. Pour certains, il faut systématiquement s’opposer. C’est une manière de voir. Ce n’est pas mon approche. Je pense qu’on peut s’opposer sans s’inscrire dans une logique stricto personnelle. Mais, je note également que le contexte joue beaucoup dans la manière de s’opposer. Si les conditions sont favorables et que le pouvoir est attentif, cela facilite un type d’opposition qui peut donner un avis. Il y a des gens qui considèrent que quand ils sont au pouvoir, ils peuvent se permettre de faire tout ce qu’ils veulent, sans être attentifs aux observations des autres. Cela ne facilite pas le dialogue utile aux intérêts du pays.
Quels sont les failles et les points d’avancée de l’opposition sénégalaise ?
Je ne suis pas dans une logique d’opposition telle qu’on la conçoit. Donc, je ne vais pas juger pour éviter toute prétention mal placée. Je ne suis pas dans les cadres organisationnels de cette opposition. Je ne peux pas avoir la prétention de juger ce qu’ils font. Ce sont des responsables ; ils adoptent la démarche qu’ils considèrent la meilleure pour atteindre leurs objectifs. Je ne peux pas me permettre de porter un jugement sur leurs actions.
Source Le Soleil