J’ai invité le Président Wade à venir à Abidjan parce que dans la sous-région, nous nous parlons tous. Je lui ai donc demandé de parler aux uns et aux autres, à moi-même bien sûr mais aussi aux autres pour que la Côte d’Ivoire sorte de la situation de crise où elle se trouve. Nous avons fait 80% du chemin, il nous reste 20%. Mais vous savez, quand on est à la fin, c’est toujours plus difficile, mais il nous faut appuyer sur l’accélérateur pour relancer la machine». C’est en réponse à cette invitation à lui lancée le dimanche 4 avril 2010, à Dakar, en marge de la célébration du cinquantenaire de l’indépendance du Sénégal par son homologue ivoirien que Me Abdoulaye Wade arrive aujourd’hui en Côte d’Ivoire.
Et ce, pour une «visite d’amitié et de travail» de 48 heures. Et comme le précise le communiqué de la Direction du protocole d’Etat, le Président sénégalais aura des entretiens avec tous les acteurs politiques ivoiriens en vue de décanter la situation socio-politique nationale qui est dans l’impasse depuis janvier à la suite de la crise de la Commission électorale indépendante (Cei). Ainsi, il aura un tête-à-tête avec le Président Gbagbo au Palais de la Présidence, peu après son arrivée à 11h, avec le Premier ministre Guillaume Soro, les leaders de certains partis politiques Fpi, Pdci, Rdr.
Mais aussi avec la Cei, avant le dîner gala à la résidence du Chef de l’Etat. Les audiences se poursuivront demain avec le chef de la mission de l’Onuci, le représentant spécial du Facilitateur. La visite sera sanctionnée par un communiqué final à 14 h avant que Me Wade ne prenne son avion pour Dakar. Au regard de son agenda et de sollicitation du Président Gbagbo, il n’y a pas de doute qu’il s’agit bel et bien d’une médiation comme l’ont toujours fait les médiateurs et le facilitateur de la crise ivoirienne, Blaise Compaoré.
Faut-il y voir la fin de la mission de Blaise Compaoré ? Bien sûr que non, si l’on en croit la déclaration du Président ivoirien. «Nous avons un facilitateur qui fait bien son travail mais chez nous, un adage dit que si vous avez de la viande dans une sauce, et que vous y ajoutez du poisson et des crabes, elle ne se gâte pas ; au contraire, son goût s’améliore. Donc, je souhaite que notre sortie de crise soit une affaire de toute l’Uemoa, de toute l’Afrique de l’Ouest pour qu’on en finisse avec cette palabre, cette plaie, cette balafre qui nous empêche d’évoluer ensemble». En somme, il ne s’agit que d’appuyer la facilitation de son homologue du Burkina Faso, qui est certainement informé de la démarche pour prévenir toute crise diplomatique.
Comme Blaise Compaoré, Me Abdoulaye Wade est un ami de tous les acteurs politiques ivoiriens qu’il connaît en raison des rapports qui existent entre les deux pays mais aussi pour l’implication des autorités sénégalaises dans la résolution de la crise ivoirienne depuis son déclenchement le 19 septembre 2002. Il faut rappeler que c’est lorsque Me Wade était président en exercice de la Cedeao que son ministre des Affaires étrangères, Cheikh Tidiane Gadio, a obtenu la signature d’un cessez-le-feu entre le gouvernement et la rébellion ivoirienne le 17 octobre 2002 soit presque un mois après le début de hostilités.
Il ne s’est pas arrêté-là. Le président sénégalais était également aux côtés de la Côte d’Ivoire lors des sommets d’Accra au Ghana sur la crise ivoirienne et de l’Union africaine. Cependant, entre les autorités ivoiriennes et sénégalaises, ce ne fut pas toujours la lune de miel au regard des divergences de vues notamment lors des négociations de Lomé en 2002 et après la signature de l’Accord de Marcoussis et le sommet des Chefs d’Etat de Kléber en France en janvier 2003. En effet, certaines déclarations du Président sénégalais avaient été mal perçues par Abidjan, et à défaut de créer des incidents diplomatiques, avaient suscité de vives protestations des populations et installé un froid entre les deux dirigeants.
Conséquence, toutes les sollicitations entreprises par le Président Wade pour que son homologue effectue une visite officielle au Sénégal étaient restées lettres mortes. En outre, les conflits de leadership que se livraient certains dirigeants de la Cedeao et du monde pour s’approprier la paternité de la gestion de la crise ivoirienne, en avaient rajouté au scepticisme de Laurent Gbagbo. En le remettant donc en selle, c’est la preuve que la réconciliation est scellée. Ce qui est attendu du Président sénégalais, c’est de trouver le consensus politique entre les partis et forces politiques pour la reprise à la fois du contentieux administratif et judiciaire et la réunification du pays. Réunification au triple plan du redéploiement de l’administration, de l’unicité des caisses de l’Etat et de l’encasernement des ex-combattants et la démobilisation des groupes d’auto-défense.
Paulin N. Zobo
Fraternité Matin