Hommage à El Hadji Mansour Mbaye : icone incontestable du paysage politique sénégalais de ces 50 dernières années. Le patriarche des communicateurs traditionnels est aujourd’hui une référence pour toute la classe politique sénégalaise. Fidèle jusqu’aux ongles, il n’a jamais renié son choix socialiste malgré l’hystérie collective des années 2000, la saignée et la traitrise dont son parti a été victime. Cet homme mérite une journée nationale, car en plus d’être une leçon de fidélité politique, il incarne une courtoisie et une forme de tolérance exceptionnelle.
Il sait forcément beaucoup de choses, mais il ne dit que ce qui est moralement utile à la communauté. Il n’a été ni ministre ni premier ministre, mais il est plus respecté que beaucoup d’hommes d’État sénégalais. La dignité ! Ça ne s’improvise pas, ça ne s’hérite pas, et ça n’a s’achète guère ! Khalifa Sall est en prison, El Hadji Mansour est avec Tanor, mais Khalifa sortirait aujourd’hui de prison, il n’hésiterait pas un seul instant à l’embrasser. Personne ne peut haïr El Hadji Mansour Mbaye, parce qu’il incarne quelque chose que tout homme normal souhaiterait avoir. Les petites choses appartiennent aux petites gens, les petites querelles sont un symptôme de déficience morale et intellectuelle. Car il y a tellement de grandes luttes à mener, tellement de grandes œuvres à bâtir et ce, aussi bien à l’intérieur de son propre moi que dans l’espace social. Chaque homme est une œuvre, un chantier dont l’accomplissement dépend grandement de ses propres efforts. Nous avons chacun tellement de gravats en nous à déblayer que nous ne devrions jamais nous occuper de futilités
Ainsi donc la transhumance s’est humanisée : les hommes ont appris des animaux que le ventre est le plus grand siège du génie politique dans notre pays. Ô quel gâchis ! Nous continuons à nous interroger sur l’état de végétation économique de notre pays depuis les indépendances, mais nous ne faisons rien pour relever la tête. Nous perdons tellement d’énergie dans des querelles inutiles que nous épuisons notre génie dans la délation, l’invective et l’insulte dans le jeu politique. Ce qui est surtout inquiétant, c’est que les mêmes personnes qu’une certaine presse diabolisait, il n’y a guère longtemps, sont aujourd’hui béatisées dans cette même presse. En parcourant les coupures de presse (entre 2009 et 2012) relatives à Farba Senghor, Serigne Mabcké Ndiaye, et Pape Samba Mboup, on se demande comment ces personnes, naguère vouées aux gémonies, sont-elles devenues aujourd’hui « storytellers » préférés de la presse.
Il y a des noms qui ne sont pas seulement des noms, ce sont aussi et surtout des actes. Que peut bien apporter Serigne Mbacké Ndiaye à Macky Sall ? Le seul génie de ce monsieur est dans le fait de pérorer des tautologies du genre : « le bleu du ciel est bleu, je vous l’avais dit ! », « le parti d’Abdoulaye Wade est le PDS, je vous l’avais dit ! », « le crépuscule est synonyme de coucher du soleil, je vous le garantis ! », « le Président de la république Macky Sall est élu en 2012, je vous en fais le serment ! ». C’est ce qu’on appelle le radotage puéril. Si Macky Compte sur de pareils « génies » pour faire office de storytellers, c’est qu’il est vraiment mal en point.
On entend par storytelling (communication narrative) le fait de raconter une histoire à des fins de communication politique, de propagande. Le storytellers sont recrutés pour deux choses opposées : les sales besognes (invectiver, dénoncer, diaboliser l’adversaire par des histoires fabriquées ou réelles) et créer des mythes (déifier un médiocre, mythifier un homme ordinaire, etc.). Le storytelling est une forme de propagande, or dans la propagande dire la vérité c’est comme faire un blasphème en religion. Les Sénégalais s’interrogent sur l’impossibilité matérielle de la véracité des révélations de Souleymane Ndéné Ndiaye, mais le plus intriguant est à notre vais ailleurs.
D’abord de telles révélations s’adressent à qui et servent qui ? Karim Wade ne peut pas être visé par de telles révélations, car à part le désaccord politique qui l’oppose à son ancien avocat, on ne lui connait pas une inimitié particulière à son égard. Macky Sall non plus ne saurait tirer profit de telles révélations car ce qui l’oppose aux citoyens n’a absolument rien à voir avec Karim : il s’agit de principes, de valeurs. Ensuite le fait pour un avocat, ami du Président Macky Sall et, de surcroit, ancien Premier ministre accepte d’aller voir Youssou Ndour pour qu’il intercède en faveur de son client auprès de Macky : c’est vraiment grave. Youssou Ndour serait donc un courtier de la république ! Il faudra forcément faire des investigations pour comprendre la nature des relations entre Youssou et les différents pouvoirs qui se sont succédé. Mais j’aurais été à la place de Monsieur le premier ministre, j’aurais répondu à Karim que ni mon statut ni ma dignité ne permettent de faire une telle demande. C’est forcément affligeant pour les gens qui apprécient l’ancien Premier ministre de le voir s’embourber dans les eaux boueuses de cette politique de la délation.
Le combat politique doit avoir comme un phare qui éclaire la conduite la hauteur et la noblesse. C’est facile de manœuvrer, de tricher, pour réussir, mais quand on atteint son but par de si minables moyens, on ne devient jamais artiste de son art : on en est un artisan ou plutôt bricoleur ! Si la politique est un art, elle a une noblesse qui exclut d’office la malveillance, les sales complots. En revanche, si elle se résume à de l’artisanat ou à du bricolage, alors l’intérêt et l’utilitarisme en sont les seules normes. Ô quel gâchis ! Mobotu a plusieurs fois remporté des élections, Blaise Compaoré aussi, mais sont-ils pour cela de grands hommes? Ils sont enfouis dans les poubelles de l’histoire pour l’éternité. Nous devons toujours garder à l’esprit qu’il y a trois dimensions de l’histoire. Le passé, le présent et l’avenir : mais le passé est dans le présent et celui-ci est dans l’avenir. Gare à ceux qui résument la vie au présent. Le champ politique sénégalais est malheureusement un univers où il n’y a qu’un seul verbe qui ne se conjugue d’ailleurs qu’au présent de l’indicatif : le verbe AVOIR. Les autres temps et les autres verbes n’existent pas dans la conscience politique de beaucoup de sénégalais.
A Souleymane Ndéné Ndiaye, j’aurais simplement suggéré de bien vouloir choisir ses compagnons et ce, même en politique. Au-delà de la politique, il y a la noblesse dans l’être, dans le verbe et dans l’action : vous n’êtes pas n’importe qui, vous ne pouvez pas vous alliez avec n’importe qui et vous ne pouvez pas non plus dire n’importe quoi. Avant la politique, il y a la grandeur, après la politique, il y a la grandeur, mais entre l’avant et l’après, il y a la mesquinerie : ceux qui n’ont aucune grandeur ont le droit d’occuper cet espace entre l’avant et l’après politique, pas vous. J’aurais été à la place de l’ancien Premier ministre, j’aurais comme unique et simple argument : je préfère le candidat Macky Sall au candidat Karim Wade, point barre ! L’histoire du 20e siècle nous a appris que des membres de l’entourage et des généraux de Hitler ont préféré se suicider plutôt que de se rendre aux vainqueurs ou de renier leur engagement fasciste. S’ils sont capables d’une telle fidélité à Hitler et à eux-mêmes, les anciens collaborateurs de Wade devraient au moins être capables d’un peu de retenue.
Alassane K. KITANE
Professeur au Lycée Serigne Ahmadou Ndack Seck de Thiès
Président du Mouvement citoyen LABEL-Sénégal
Membre de la commission Stratégies et Programmes de l’IPC/FIPPU