ABC est un homme politique qui, comme Mimi, n’est pas là pour regarder les trains passer. Et comme tout homme politique ambitieux, il veut prendre les manettes de ce train si l’actuel conducteur arrive à destination en 2024
Pour des raisons techniques, ce papier de Serigne Saliou Guèye devait paraître en même temps que celui de notre collaborateur Silèye Mbodj qui a fait la une de notre édition de vendredi dernier. Nous étant parvenu après le bouclage, nous avions décidé de le garder en attendant de pouvoir le publier. L’occasion s’est présentée ce mercredi.
Comme des cheveux dans la soupe étatique, Alioune Badara Cissé, l’actuel médiateur de la République, et Aminata Touré, ex-présidente du Conseil économique, social et environnemental (CESE) n’ont pas fait dans la dentelle pour se prononcer sur le mandat présidentiel et les problèmes d’emplois auxquels sont confrontés les jeunes et les femmes sénégalais. Déjà le 5 janvier 2020, lors d’une émission du Grand Jury de la RFM, Aminata Touré, alors présidente du CESE, avait annoncé la couleur sur le mandat présidentiel.
Après avoir déclaré qu’il faut accompagner le chef de l’Etat pour qu’il fasse un bon mandat, elle avait terminé par cette phrase sibylline qui trahissait son ambition présidentielle : « Néanmoins, en politique, les gens ne sont pas là pour regarder les trains passer ». Ce qui veut dire qu’en politique, les gens ne sont pas astreints éternellement à une posture de spectateurs et qu’ils peuvent à leur tour devenir des acteurs. Traduit dans le langage de Mimi, cela signifie qu’elle ne peut pas se contenter de soutenir toujours des gens sans tenter de réaliser elle aussi ses propres ambitions qui ne sont autres que présidentielles.
Lors d’une conférence virtuelle sur la limitation des mandats, organisée par le NDI (National Democratic Institute du Parti Démocrate américain) le 15 décembre 2020, l’ancienne Première ministre a déclaré sans ambages : « Le président Macky Sall, réélu le 24 février 2019, a affirmé à de nombreuses reprises qu’il effectuerait son second et dernier mandat notamment le 31 décembre 2018. Donc, au Sénégal, la question est derrière nous comme je l’ai déjà dit à diverses occasions. » Elle avait poursuivi en rappelant que « le Sénégal a modifié sa Constitution dans le sens de limiter les mandats présidentiels à deux consécutifs, précisant en son article premier que la durée du mandat du président de la République est de cinq ans et que nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs ».
C’est assez clair pour dire que le président Macky Sall sera en fin de mission présidentielle en 2024. Ce que l’ex présidente du CESE disait en sourdine le 5 janvier 2020, elle l’a confirmé ouvertement lors de cette conférence virtuelle du NDI. Cette sortie a été considérée du côté du palais comme un pied de nez fait au président Macky Sall qui avait formellement interdit aux militants de l’Alliance pour la République (APR) de se prononcer sur la question du 3e mandat. D’ailleurs, ceux qui s’y sont prononcés — du moins, dans le sens de la désapprobation ! — ont subi les foudres de sa Majesté.
Ainsi son ex-chef de cabinet, Moustapha Diakhaté, l’alors directeur des Sénégalais de l’extérieur, Sory Kaba, et l’ex-directeur général de la société de transports Dakar Dem Dikk ont été limogé de leurs postes respectifs et même du parti pour le premier président du groupe parlementaire de Bennoo Bokk Yaakaar. On pensait Mimi Touré allait s’en arrêter là dans ses attaques contre le Macky Sall mais que nenni ! Jouissant enfin de sa liberté d’expression après son limogeage du CESE, Mimi a asséné cette phrase qui sonne comme un avertissement au cas où l’idée viendrait au président de briguer un 3e mandat : « la limitation des mandats s’inscrit dans le renforcement des institutions et des processus démocratiques. Elle assure la stabilité sociale dont le continent a besoin pour consolider son développement. Elle peut assurer une sortie honorable et paisible aux dirigeants en poste tout en favorisant l’arrivée de nouvelles générations et élites au pouvoir. »
Le 22 avril dernier, Macky Sall a organisé un Conseil présidentiel à Diamniadio pour évoquer l’insertion et l’emploi des jeunes. 450 milliards ont été annoncés comme étant la manne financière qui résorbera le problème de l’emploi ces trois années. Certains opposants sont sceptiques sur l’opérationnalisation d’une telle initiative tandis que d’autres sont carrément catégoriques sur l’impossibilité de la mise en œuvre de cette promesse présidentielle. Au sein de la majorité, il va sans dire qu’on apprécie une telle initiative. Mais, de façon inattendue, une voix discordante de cette même majorité s’est élevée pour proposer ses propres solutions au problème de l’emploi des jeunes. Ainsi, 24 heures après ce conseil présidentiel, Mimi Touré a exposé son propre programme d’emploi et d’employabilité des jeunes ou des femmes de ce pays. Elle a publié un texte où elle propose quelques points pour redynamiser les différents secteurs de l’emploi. Pour elle, il faut des mesures d’urgence de création d’emplois en utilisant la commande publique de plus de 1200 milliards. D’où l’impératif de promouvoir le consommer local et de passer à la restructuration de notre économie extravertie, meilleur gage de création d’emplois.
Ainsi dans son texte, Mimi pose ses dix commandements qui doivent résoudre le problème de l’emploi. Mais là où ses piques assenées l’air de rien ont fait mal, c’est quand elle a soutenu, prenant le contrepied du Président, qu’il faut mettre l’accent sur la consolidation des emplois existants menacés plutôt que d’en créer de nouveaux ! Du côté de la majorité, ces sorties de Mimi sont considérées comme une kyrielle de provocations s’inscrivant dans le cadre de sa stratégie politique en direction du Sommet. Certains militants de l’APR soutiennent que l’ancienne patronne du CESE ne jouit d’aucune légitimité populaire ou politique pour multiplier ses attaques contre toute initiative du président Macky Sall.
Pour eux, si aujourd’hui Aminata Touré, présente sur la scène politique depuis longtemps mais de façon confidentielle, s’est fait un nom dans la politique, c’est grâce au président Macky Sall qui l’a propulsée en 2012 au poste de directrice de campagne lors de la présidentielle de 2012 avant de faire d’elle son ministre de la Justice, son PM, son envoyée spéciale et enfin présidente du CESE. Là où les militants de la première heure n’ont pas pu jouir de tous ces privilèges, elle, elle en a joui sans gage de loyauté. Pour plusieurs de ses camarades de parti, elle cherche une opportunité pour pouvoir dérouler son agenda politique qu’elle a concocté depuis le jour où elle a été nommée Première ministre du Sénégal. L’exclure du parti lui procurerait une posture victimaire de laquelle elle pourrait engranger des dividendes politiques. Une chose est sûre : aujourd’hui Mimi est devenue au sein de la majorité la première opposante de Macky Sall. Il se susurre dans certaines officines que Mimi, Mahmoud Saleh et d’autres trotskystes du gouvernement seraient en train de mettre en place une ligue des trotskystes pour ne pas être en rade après Macky Sall.
Me Alioune Badara Cissé, le pendant masculin de Mimi Il faut toutefois remarquer Mimi Touré a son pendant masculin au sein de l’APR. Un pendant qui ne rechigne jamais à dire ce qu’il pense de celui qui fut son patron mais dont la realpolitik l’a éloigné. Il s’agit de Me Alioune Badara Cissé, médiateur de la République. Ce dernier, lors de l’émission « Quartier général » de la TFM en date du vendredi 23 avril dernier, a fait une déclaration aux allures d’une mise en garde contre un 3e éventuel mandat. Aux questions des chroniqueurs de QG sur un éventuel de 3e mandat de Macky Sall, il a répondu sans circonlocutions : « Je l’ai entendu dire que c’est de son gré et de son fait qu’il a fait introduire la limitation du mandat à deux. Nous l’avons tous entendu. Mais jusqu’à présent, aucun de nous ne l’a entendu dire qu’il fera un troisième mandat, même si tout semble s’y prêter. Nous attendons qu’il revienne sur ses propos. A ce moment-là, les Sénégalais feront ce qu’ils avaient fait. »
Ainsi la déclaration d’une troisième participation de Macky à la présidentielle pousserait les Sénégalais à descendre dans la rue comme ils l’ont fait avec Wade. Mais, cette fois-ci, pour freiner la boulimie pouvoiriste du chef de l’APR. Lors des émeutes du mois dernier, les jeunes ont rejeté toute perspective de 3e mandat, une question sur laquelle l’actuel locataire du palais de l’avenue Léopold Sédar Senghor maintient le flou. Alioune Badara Cissé, qui a été le compagnon d’infortune de Macky Sall, qui a souffert des coups de boutoir du résident Abdoulaye Wade, dispose de toute la légitimité politique pour mettre en garde le Président Sall contre toute tentation d’un 3e mandat sous peine de subir les affres de la furie populaire. Et en tant que médiateur de la République, son rôle est d’alerter sur des situations qui pourraient mettre le pays dans le chaos.
Toutefois, la camarilla présidentielle n’a pas apprécié cette sortie du médiateur qu’elle juge inopportune dans un contexte de crise et de violence sur fond de problème aigu de manque d’emplois pour les jeunes. Selon ces supporters du président, les urgences sont ailleurs que de gloser sur un 3e mandat qui n’existe que dans la tête de ceux qui agitent cette question. Mais ABC est un homme politique qui, comme Mimi, n’est pas là pour regarder les trains passer. Et comme tout homme politique ambitieux, il veut prendre les manettes de ce train si l’actuel conducteur arrive à destination en 2024.