Il doit être bien heureux, notre président de la République ! Recevoir chez lui une vingtaine de chefs d’Etat et de gouvernement pour inaugurer le plus gigantesque projet architectural jamais œuvré dans notre pays, il fallait le faire. Il s’en est donné les moyens, il l’a fait. Mais à un prix : celui qui justifie la fin par tous les moyens. Oui, chez Me Wade, la fin justifie tous les moyens, quels qu’ils soient. Et les discours n’y changent rien !
On ne tombera pas dans l’outrance de dénier au président de la République les bons points d’une politique volontariste dans d’autres secteurs, ceux qu’il revendique et qu’on lui concède objectivement. Mais pour le reste, de qui se moque-t-on ? Le monument dit de la Renaissance, monstre agresseur régnant au-dessus de nos têtes pour un contrat à durée indéterminée, hydre tricéphale refoulée des entrailles d’un volcan déclaré mort, apparaît aujourd’hui, après les fastes du weekend de confirmation de notre dépendance nationale, comme la résultante morbide d’une gouvernance scandaleuse. Œuvre condamnée par l’écrasante majorité des oulémas du Sénégal, elle traîne des handicaps insurmontables liés aux conditions même de sa réalisation. Entre le bazardage des terres de l’aéroport au profit d’un clan du régime, la magouille financière inventée pour désintéresser les Nord-Coréens, et le titre d’actionnaire majoritaire amassé par le chef de l’Etat lui-même, c’est une vaste escroquerie au sommet de l’Etat qui a rendu possible la construction de l’édifice en question.
Ces éléments n’intéressent sans doute pas les thuriféraires du pouvoir, aveuglés par l’«aura» du grand chef au plan continental et par l’impératif de leur propre besoin de reproduction à l’intérieur du système, mais la dimension objective du scandale suffit pour diaboliser éternellement cette œuvre-là. Comment accepter que le Premier magistrat de notre pays, gardien des beaux principes qui lambrissent la République, fasse du business d’Etat avec des terres qui ne lui appartiennent pas, les fasse vendre dans une opacité digne des dictatures non éclairées, et espère un consensus national sur ce thème-là ? En réalité, c’est l’absence de transparence qui a permis d’achever aux forceps un projet si inutile et attentatoire aux intérêts des Sénégalais. En vrai, Wade a plutôt ouvert dans notre pays les vannes d’un obscurantisme sans foi ni loi, vecteur d’une notoriété personnelle derrière laquelle il n’arrêtera jamais de courir.
Et c’est là le drame du peuple sénégalais. Anéanti par des conditions de vie économiques et sociales insupportables, mais condamné à devoir composer avec les égoïsmes ravageurs de ses dirigeants, il constate aujourd’hui toute l’impuissance qui caractérise Me Wade. Ce truc des Mamelles est en effet l’expression d’une fuite en avant qui renvoie aux calendes… wadiennes la satisfaction naturelle des besoins légitimes exprimés par les Sénégalais en santé, emploi, éducation, sécurité… Il symbolise la démission de l’action politique transparente au bénéfice d’une culture païenne traduite avec éloquence par les sacrifices de sang effectués sur les lieux du délit.
Comme Abdou Diouf hier, le Président Abdoulaye Wade est dans une bulle, livré à lui-même et à sa passion des grandes idées, souvent nobles et généreuses. Mais en attendant, son peuple souffre ! On ne lui fera pas l’injure de transposer à son niveau ce jugement du Général De Gaulle : «J’étais trop faible pour ne pas être intransigeant.» Mais il est temps qu’il ouvre les yeux contre sa propre gouvernance et contre des profiteurs capables de faire leur cet élément tiré de La Nouvelle Héloïse de Rousseau : «Vous êtes pour tout le pays un dépôt cher et sacré que chacun voudrait défendre et conserver au prix de son sang ; et vous vivez plus sûrement, plus honorablement au milieu d’un peuple entier qui vous aime, que les rois entourés de tous leurs soldats.» Réveillez-vous, monsieur le Président !
Par Momar DIENG – lequotidien.sn
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