A voir l’homme, svelte, drapé dans des haillons qui couvrent mal son corps voûté, les mains et pieds amputés des doigts, assis sur une natte rapiécée à côté des flaques d’eau d’une odeur nauséabonde, on n’aurait jamais pensé qu’il croque la vie à belles dents.
Pourtant, c’est le cas et il ne le cache pas. Bien au contraire, il se laisse aller à des confidences qui traduisent le parfait bonheur d’un vieux de 70 ans que les turpitudes de la vie ont amené à faire la manche dans les rues de Dakar depuis plus de 20 ans, puisque la mort n’a pas voulu l’emporter après tant d’années de souffrances dues à la lèpre. Interrogé sur son identité réelle, le septuagénaire verse dans un mysticisme radical et exige de nous la discrétion si l’on veut que ses confidences continuent. Cette « maladie des pauvres » comme il le dit, a gangrené son corps pendant de longues années durant lesquelles, laissé seul dans sa chambre en paille de son lointain village du Sine, il a vu ses doigts disparaître un à un. Le corps viril d’un homme de 40 ans qui avait en charge toute une famille a cédé la place à un corps déchiqueté.
Un gueux s’est substitué au beau Modiane Diouf qui faisait fantasmer bien des filles du fait aussi de ses prouesses en lutte simple dans son village. Les parents de ses épouses lui en ont fait voir de toutes les couleurs pour exiger le divorce, lui reprochant d’être victime d’un sort mauvais qui risque de se répercuter sur son entourage. Seules, deux épouses sont restées pour le soutenir dans sa souffrance. Les stéréotypes faisant le lit des mentalités africaines, surtout rurales, le vieux Modiane Diouf n’a dû son salut qu’à l’intervention rapide d’un infirmier nouvellement affecté au village voisin du sien qui abrite l’unique dispensaire. Celui-ci, informé par un des cousins du lépreux va le prendre en charge et le mettre en rapport avec un ami médecin qui officie à Kaolack. Les traitements vont prendre du temps, mais une fois guéri, il n’a pas regagné son village, mais plutôt bifurqué sur Dakar où il ne connaissait personne.
Il ne tardera pas à s’adapter, et faire la manche va être sa seule et unique activité lucrative. Il remercie, aujourd’hui, le Ciel car, avec la mendicité, il a réussi à reconquérir ses deux autres épouses. Il a pu construire une « belle maison au village » et ses enfants s’occupent des travaux champêtres qui sont d’ailleurs leurs seules occupations.
Yathé. N.NDOYE
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