Ce docteur en chimie né au Sénégal aime la région d’Allemagne orientale où il s’est installé en 1984. Candidat social-démocrate aux législatives du 22 septembre, il a de bonnes chances d’être le premier député du Bundestag originaire d’Afrique noire.
Cet après-midi de septembre, dans une rue piétonne de Halle (Saxe-Anhalt), le racisme ordinaire porte moustache grise, chemisette rayée et cabas en plastique. Le sexagénaire se veut goguenard devant le candidat du Parti social-démocrate (SPD) aux législatives: « Il n’y avait pas assez d’Allemands pour constituer une liste ? » Karamba Diaby, 51 ans, natif du Sénégal, ne se démonte pas: « Je suis le meilleur Allemand du SPD ! » Pédagogue, il explique et argumente. Séducteur, il sourit et plaisante. La xénophobie, il connaît, l’enfant de Casamance, même s’il répugne à évoquer les mauvais souvenirs – une agression ici même, à Halle, en mai 1990, les courriers haineux reçus quelques années plus tard. « L’Allemagne de l’Est a changé », répète-t-il. C’est son mantra. Son pari, aussi.
Comme Martin Luther King, son idole, Karamba Diaby a fait un rêve: qu’on oublie sa couleur de peau, et qu’Allemagne orientale ne rime plus avec droite radicale. Il veut être un candidat normal, dans une ville banale, voilà tout: le docteur en chimie Diaby, spécialiste de l’intégration au sein du gouvernement régional et conseiller municipal de Halle depuis 2009, et non la caution « diversité » du SPD, ni le potentiel « premier député allemand originaire d’Afrique noire ». Autant le dire: cela ne va pas de soi. Son destin à contre-courant a déjà enchanté le New York Times, la chaîne qatarienne Al-Jazira, la radio publique suédoise, et bien d’autres encore.
De Marsassoum à Halle, via Leipzig
Alors il se console comme il peut. En se disant, par exemple, que sa candidature a le mérite de souligner une évidence: les 8 millions d’Allemands nés ailleurs n’occupent qu’une poignée de strapontins dans les cercles du pouvoir. Ils représentent 3,3 % des députés et 4 % des conseillers municipaux dans les villes de plus de 100 000 âmes, deux chiffres que le candidat cite volontiers avant d’en ajouter un autre, réconfortant celui-là: depuis qu’il a obtenu l’investiture du parti, en février dernier, sa section a enregistré quatre adhésions. Et puis son auréole médiatique lui rapportera peut-être de précieux suffrages dans cette ville de 233 000 habitants, meurtrie par les soupçons récurrents de racisme.
Karamba Diaby est ici chez lui. Les gamins lui demandent des autographes, leurs parents, des photos. Tout en poussant son vieux vélo, il serre des mains, tapote des épaules, hèle les uns et les autres dans son allemand teinté d’accent wolof. Voici un camarade d’université. Là, un collègue, une amie, un voisin. Il est si sollicité que son fils de 11 ans et sa fille de 18 ans rechignent désormais à déambuler en ville à ses côtés. Trop de palabres, trop de temps perdu. « Quand j’ai collé des affiches avec Karamba dans mon quartier, c’est lui que les gens saluaient, pas moi ! » insiste Rüdiger Fikentscher, ex-vice-président du Parlement de Saxe-Anhalt et baron régional du SPD.
Comme il paraît loin, ce mois d’octobre 1984 où Karamba Diaby a débarqué du Sénégal dans la grisaille saxonne, alors communiste, sans parler un mot d’allemand. Orphelin à 7 ans, élevé par sa soeur aînée, le gamin de Marsassoum partage son temps entre l’école et les travaux des champs, sur les rives du fleuve Soungrougrou. Au lycée Gaston-Berger de Kaolack, puis à l’université de Dakar, il côtoie Macky Sall, aujourd’hui président de la République sénégalaise. Mais l’étudiant Diaby n’en peut plus de vivre chichement sur la maigre bourse que son frère et lui se partagent. Très investi dans les mouvements de gauche, il jette son dévolu sur l’Europe de l’Est.
Au plus près du pays, de ses racines
Par le biais de l’Union internationale des étudiants, basée à Prague, il se démène pour décrocher une bourse. Peu importent la destination et le domaine, il coche toutes les cases: Bulgarie, RDA, Tchécoslovaquie, électronique, chimie, agronomie… Aux camarades de trancher. En retour, un télégramme scelle son destin: « Accepté université. Stop. Inscription Institut Herder Leipzig 2 octobre. »
Je suis reconnaissant à la RDA des conditions d’études qu’elle m’a offertes
Va pour Leipzig, et neuf mois de cours de langue intensifs. Dans la foulée, il intègre la faculté de chimie de l’université Martin-Luther, de Halle – un hommage, croit-il, à Martin Luther King ! Aujourd’hui encore, il s’amuse de sa confusion. « Je suis reconnaissant à la RDA des conditions d’études qu’elle m’a offertes », glisse-t-il. L’été, pour arrondir son maigre pécule, il trime dans les exploitations agricoles, sur les voies ferrées ou dans les usines chimiques de la région. Après la chute du Mur et la réunification, il choisit de rester pour le doctorat. Son sujet: « La pollution des jardins ouvriers à Halle ». Le voici au plus près du pays, de sa culture, de ses racines. « Grâce à ces lopins de terre, si chers au coeur des Allemands, j’ai découvert la société dans laquelle je vivais sans la connaître. »
Il ne la quittera plus. Marié à Ute, une agronome reconvertie dans le recyclage des déchets, Karamba Diaby est citoyen de ce pays depuis 2001. Tous les deux ans, en octobre, il séjourne pendant trois semaines au Sénégal. Sauf cette année, où il n’a pas pris son billet d’avion. D’ici là, ses électeurs l’auront peut-être envoyé à Berlin.
Moi, Karamba Diaby, premier député noir d’Allemagne
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