Mor Dieng est le président du parti «Weddi». Instituteur de formation, ce membre de l’Alliance «Sopi» pour toujours (Ast), braque son «mitrailleur» sur Iba Der Thiam et Mbaye Jacques Diop qu’il accuse d’avoir détourné l’Ast de son objectif. Sidy Lamine Niasse, le patron du Groupe de presse Walfadjri a en aussi pris pour son grade. Malgré son appartenance au camp du pouvoir, M. Dieng considère que «l’Alternance est un échec lamentable».
Dans le contexte politico-social effervescent que connaît le pays, comment expliquez-vous la léthargie dans laquelle est plongée l’Ast ?
Il faut d’abord dire qu’il y a deux Ast. Il y a l’Ast première managée par Mamadou Diop Decroix qui, en trois mois déjà, a mis en place une structure fonctionnelle, opérationnelle qui, si on l’avait laissée, on ne serait même pas là en train de parler de comités électoraux et de directoire de campagne. Le mouvement était si bien lancé qu’on n’aurait pas connu tous ces problèmes aujourd’hui. Malheureusement, pour des raisons crypto-personnelles, cet élan a été brisé par jalousie, par un duo d’abord puis par un triumvirat. Et c’est ce qui a donné naissance à ce que j’appelle l’Ast triumvirat, composée de Iba Der Thiam, de Mbaye Jacques Diop et de Aliou Dia. Voilà six mois que ces gens sont installés, mais ils ne peuvent se prévaloir d’aucune activité, d’aucune initiative, rien qu’en montant des commissions. En faisant un bref calcul, ils ne peuvent se prévaloir que de 50 commissions. 50 commissions, c’est 100 réunions par mois. Donc, 600 réunions, 1 800 heures de réunion et un rapport de 3 000 mille pages en six mois. Et le tout se fait à Dakar, dans une permanence louée à coût de millions. Pendant ce temps, la question qui devait se poser est : «Où se trouve Bennoo » Que fait Bennoo pendant que ces gens-là se réunissent en commission Aujourd’hui, on est en droit de se demander si ces gens sont réellement des politiques.
Comme Abdoulaye Wade à l’habitude de le dire «sathie ndeunde yombna, foko teugué diafé» («il est facile de voler un tam-tam ; mais il est difficile de se cacher pour le battre»). L’Ast est une idée géniale du Président ; c’est un instrument de promotion. Ce n’est pas un outil de conservation de rentes auprès du Président, mais de travail pour la Nation ; c’est un creuset où les gens font des prospections, articulent les activités en n’ayant pour objectif que la réélection du Président. A partir de ce moment, ses animateurs auront à cœur de prendre les attaches de tout le monde. Ils ne feront pas d’exclusion en croyant qu’ils sont les meilleurs. Dans un pays qui se dit laïc, en particulier dans un parti qui se dit démocratique comme le Pds, tous les courants doivent s’ingénier à être démocratiques. Nous sommes libres, des leaders politiques indépendants. Nous ne sommes ni des affidés ni des soumis à Abdoulaye Wade. Comme on le dit en wolof, il n’est ni notre géniteur ni notre propriétaire. Il n’est ni le Bon Dieu, ni un Prophète, ni rien. C’est un simple leader politique. Il a une vision. Et pour tricher l’expression de Mamadou Diop Decroix, nous ne le soutenons même pas ; nous sommes dans la même tranchée. Nous combattons le même adversaire. A partir de ce moment, personne ne dépend de l’autre ; toutes nos vies sont liées. On ne peut pas dire que nous soutenons Abdoulaye Wade. Compte tenu de cet état de fait, il faut que nous exigions du président de l’Ast que le coordonnateur nous mette dans des conditions de lutte, de combat et non qu’il nous délègue, par l’intermédiaire de quelques bois morts avec lesquels on veut régénérer la forêt. Et ces gens viennent nous dire : «Abdoulaye Wade est content de vous.» Ce n’est pas un problème d’être content de nous. Donc, la léthargie dans laquelle se trouve l’Ast est due à un manque d’initiatives. Cette carence de prospection, ce manque d’esprit d’actions et d’activités font que des gens deviennent des administratifs.
Voulez-vous dire par là que ce trio est un obstacle entre Wade et l’Ast ?
C’est plus qu’un obstacle, c’est un blocage. Il bloque le système. D’abord à commencer par le Pr Iba Der Thiam. Il a commencé à manager la Cap 21 il y a dix ans, sans qu’il soit bougé d’un pouce. Il n’a jamais été remplacé. Même quand il est absent, la Cap 21 ne se réunit pas. Et maintenant, c’est cet homme-là qui, toutes griffes dehors, s’est acharné sur Mamadou Diop Decroix pour parler de rotation ! Un intellectuel de cet acabit, à l’heure où les gens l’imaginent comme étant le représentant du Sénégal auprès des Nations unies, ou alors représentant personnel de Abdoulaye Wade auprès de Ban Ki-Moon, aurait pu être à l’Unesco ou dans les autres institutions. Et c’est lui qu’on voit en train de s’agiter, de parler de rotation, alors qu’il n’a jamais bougé de son fauteuil ! Et quand il est arrivé dans l’Ast, c’est la même chose. Il a managé avec Mbaye Jacques Diop. Ce qu’ils n’avaient pas réussi avec Mamadou Diop Decroix, ils l’ont réussi avec Aliou Dia. Ils l’obligent à regarder là où ils veulent, à faire ce qu’ils veulent et comme ils le veulent. Et personne n’ose prendre des initiatives ! Je défie quiconque de dire que depuis ces six mois, ces gens-là ont pris une initiative quelconque, si ce n’est le fait de se réunir avec des opérateurs économiques. Quel est le rapport entre l’Ast et les opérateurs économiques, si ce n’est que le coordonnateur de l’Ast est le président de Forces paysannes Mais, l’Ast est une structure politique, composée de leaders politiques qui sont là pour initier des actions en vue de réélire le Président Wade. Or, ces gens-là ne font rien pour cela. D’ailleurs, ils ne savent même pas où aller. Et qu’on ne vienne pas nous dire qu’ils n’ont pas de moyens, parce que parmi eux il n’y a pas un seul qui n’a pas mille litres d’essence. Ils ont des millions, des voitures et personne d’entre eux ne peut dire qu’il a organisé un meeting quelque part ou invité des amis autour d’un thé-débat. Donc si des chefs à qui Abdoulaye Wade a tout donné ne peuvent pas prendre sur eux d’organiser quoi que ce soit, alors qu’ils dépendent entièrement de lui, ce n’est pas responsable.
Parlant de Aliou Dia, coordonnateur de l’Ast, qu’est-ce qui vous fait croire qu’il est sous la coupe de Mbaye Jacques Diop et Iba Der Thiam?
D’abord, il faut dire que Aliou Dia ne connaît pas l’Ast. Deuxièmement, il n’a jamais milité à la Cap 21. Il n’est pas membre du groupe parlementaire du Pds. Et autant que je sache, il n’a jamais milité à l’Ast ; en tout cas, pas lorsque nous étions à la première Ast. Donc, d’où est-ce qu’il nous vient, celui-là De deux choses l’une. Soit, c’est Abdoulaye qui l’a tiré du dehors pour nous l’imposer ; dans ce cas, j’accuse nos délégués. Etre avec Abdoulaye Wade ne signifie pas lui permettre de faire ce qu’il veut. Donc, s’ils le laissent faire ce qu’il veut, je n’accuse pas Wade ; je les accuse. Soit alors ce sont eux qui sont allés le chercher. Et dans ce cas-là, ce n’est pas Aliou Dia lui-même qui est fautif.
(…) L’Ast a un président, Abdoulaye Wade ; un coordonnateur, Aliou Dia, un rapporteur, un secrétaire administratif et même un porte-parole, mais on entend que Mbaye Jacques et Iba Der. Au nom de qui et de quoi Or, dans l’organigramme de l’Ast, ils ne sont nulle part. Président chargé de la gestion des conflits, cela ne donne pas le droit de parler au nom de tout le monde.
Dans des circonstances pareilles, comment l’Ast compte-t-elle fêter le 19 mars ?
N’étant pas le coordonnateur, il ne m’appartient pas de dire comment l’Ast va fêter le 19 mars. Mais Abdoulaye Wade a intérêt à changer l’Ast. Ce n’est pas pour rien que les voitures ont des boîtes à vitesse pour s’adapter aux conditions de la route. On ne peut pas rouler tout le temps en premier ou en deuxième. Il faut tourner, s’arrêter, faire marche-arrière ou même dévier, selon l’état de la route. Déjà, nous avons fait des propositions. Que le premier Comité électoral dirigé par Souleymane Ndéné Ndiaye soit allégé, qu’on lui adjoigne un Comité exécutif qui lui permette de coordonner les activités, au-lieu qu’il coordonne le tout, tout en étant Premier ministre. Etre Premier ministre et coordonner le Comité électoral est une chose difficile. Nous avons fait des propositions sur la base de ce que nous avons vécu.
Ce qui veut dire qu’à l’Ast, le 19 mars devait servir de moment de réflexion sur les orientations, en lieu et place de verser dans le festin et le folklore ?
L’heure n’est plus à des tintamarres ou à des folklores. Après ce qui s’est passé en mars 2009, le parti devrait avoir d’autres préoccupations que de fêter le 19 mars. Les bastions les plus importants ont été perdus. Ceux qui disent à Abdoulaye Wade qu’ils vont le réélire au premier tour, ce sont ceux-là qui ont perdu leur base. Si Moussa Sy, Woré Sarr et Souleymane Ndéné Ndiaye le disent, je les approuve parce qu’ils ont gagné leur base. Mais la plupart de ceux qui crient et menacent, ont perdu. Ceux qui ont gagné ne disent rien et travaillent. Ce que nous entendons, de plus en plus, ressemble à un cri du cœur mais, en réalité, c’est un cri de peur. Ils ont perdu leur base, alors que Wade leur a tout donné : le nécessaire, le luxe et même le superflu. Il a même prolongé le mandat de certains qui réussissent la prouesse de se faire laminer à la base contre des ennemis qui se battaient à mains nues. Ils savent que si Abdoulaye Wade ne les amène pas de par son aura, de par son charisme, ils vont mourir politiquement. Si Wade est de la viande de mouton, eux, ils sont de la viande de rat. Maintenant, ils veulent enrouler la viande de rat à celle de mouton pour la vendre au peuple qui n’est pas dupe. S’il ne fait pas payer ceux qui ont perdu leur défaite et faire une alternance générationnelle, il risque d’avoir des surprises. Wade a intérêt à faire l’alternance générationnelle, non pas du point de vue de l’âge. Il ne s’agit pas de remplacer Mamadou Diop de 70 ans par un Babacar Diagne de 25 ans. Non ! Quand on a choisi Pape Diop, des gens aussi engagés que lui étaient là. Ils ont accepté et cela n’a en rien entamé leur engagement. Quand Pape Diop montre ses limites, ce sont ceux-là qu’on doit prendre. On ne peut pas prendre des jeunes de 20 ans pour dire qu’on fait la promotion des jeunes. On ne peut pas promouvoir des gens qui, dans leur propre quartier, ne savent même pas le nom de leur imam. Il faudrait que Wade revienne sur terre. Ceux qui ont montré leurs limites dans les dernières élections doivent avoir le courage de céder la place. Abdoulaye Wade a intérêt à lire le message du peuple. A lui seul, s’il fait campagne, il aura plus de chance de gagner qu’avec certains de son entourage.
Mais Wade a un gros obstacle devant lui : le monde rural. Pensez-vous qu’il ait réussi sur ce point-là ?
Il a connu un grand échec sur cette question. Je suis paysan, fils de paysan. Je suis certes un allier de Wade, mais je dis ici de façon nette et claire que le monde rural est un échec. Je suis certes enseignant de formation, mais je connais bien le monde rural. Cela fait dix longues années, comme je le dis à mes amis, que les paysans ne connaissent pas la saveur de la traite arachidière. Et cela, ce n’est pas un problème de technique.
Comment l’expliquer alors ?
On l’explique par l’entêtement puéril à changer coûte que coûte les choses, alors qu’on n’est pas passé par le bon chemin. Le bon chemin, ce n’est pas le fait de dire qu’on va faire du carreau-usine. Si on teste un système et qu’au bout d’un ou de deux ans ce système-là ne réussit pasn, on doit s’arrêter. On doit convoquer les états généraux et les acteurs du monde rural. On ne peut pas maintenir le système en disant qu’on va changer tel ou tel aspect. C’est une faute ; ce n’est pas une erreur. Parce qu’une erreur, on la commet une deux fois, et on rectifie. Mais dix ans, c’est une faute. L’Alternance a lamentablement échoué.
A suivre
lequotidien.s
