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Mots croisés avec… Nafissatou Dia Diouf, écrivaine : « J’ai un pincement au cœur à voir des filles aveuglées par le bling bling »

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Sur les traces de Aminata Sow Fall, de Mariama Bâ, Ken Bougoul, Nafissatou Dia Diouf écrit depuis son adolescence et publie depuis environ dix ans. L’auteure de ‘Cirque de Missira et autres nouvelles’, Présence africaine, 2010, est nantie d’une bibliographie assez éclectique qui va des nouvelles à la littérature de jeunesse en passant par la poésie ou les chroniques journalistiques. L’écriture romanesque fait aussi partie de son champ d’expérimentation même si, à ce jour, ses romans ne sont pas encore publiés. Nafissatou Dia Diouf a, à son actif, une dizaine de publications très variées et surtout des expériences très intenses en matière d’écriture et de partage avec ses lecteurs ou ses confrères. 

Wal Fadjri : Dans votre dernier livre ‘Cirque de Missira’, vous parlez des déchirures de l’amour, de la violence faite aux femmes, du show business à la sénégalaise. La femme africaine est elle encore une reine, comme le chante Ismaël Lô ?

Nafissatou Dia DIOUF : En tant que femme, j’écris beaucoup sur les femmes et pourtant, je suis tout sauf féministe. Je crois à une discrimination, celle de la compétence, à chances égales. Mais en toute honnêteté, je trouve les femmes africaines braves et pleines de ressources. Surtout nos grand-mères et nos mamans. J’ai par contre un pincement au cœur à voir de plus en plus de jeunes filles frivoles, sans grands repères, attirées par la vie et l’argent faciles, aveuglées par le bling bling. Ce sont malheureusement des anti-héroines qu’on valorise dans les magazines people qui foisonnent et elles deviennent désormais les modèles de générations de petites filles. La femme africaine a toujours été belle et désirable, soignée et raffinée, séductrice et charmeuse sans se départir de son mystère et de sa dignité et surtout sans tomber dans le vulgaire. La jeunesse n’a qu’un temps, mais la respectabilité est l’affaire de toute une vie !

Nafissatou, ce nom est devenu familier, ces derniers jours au monde entier, depuis l’affaire Dominique Strauss Khan-Nafissatou Diallo, en avez-vous souffert personnellement ?

Ceux qui connaissent l’Afrique et/ou le monde arabe savent que Nafissatou ou Nafissa est un prénom assez courant. Ça veut dire ‘cher’ ou ‘précieux’ et je préfère garder cette image. Le fait que mon prénom soit associé à une histoire de mœurs ne va pas pour autant me faire regretter ce joli prénom que m’ont donné mes parents (rires). Plus sérieusement, malgré les procès, tout le déballage, les plaidoyers des deux parties, on ne saura jamais ce qui s’est réellement passé dans la Suite 2806 du Sofitel ce fameux 14 mai 2011. Cela semble anecdotique mais ce feuilleton a tenu en haleine la planète pendant de nombreux mois ; alors qu’au même moment le Maghreb naissait à la démocratie et une nouvelle famine décimait la Corne de l’Afrique. Il faut savoir raison garder…

En Afrique, on dit souvent qu’’un vieillard qui meure est une bibliothèque qui brûle’, adage popularisé par Amadou Hampâté Bâ. N’y a-t-il pas, aujourd’hui, un travers avec ce dicton africain ?

Il est vrai qu’il y a comme un phénomène de rupture dans la transmission du savoir et de la culture. L’inconscient collectif lui-même est en mutation. Parce que la majorité des Africains sont dans une logique de survie et/ou, ont adopté un mode de vie urbain voire occidental et sont sous l’influence médiatique d’autres cultures. Ceci a pour conséquence des repères qui s’estompent ou qui évoluent. Dès lors, comment transmettre ce qu’on a plus en nous ou ce qui nous semble pas vital de transmettre ? Nous allons faire des générations sacrifiées, si on n’y prend pas garde.

Dans votre livre Mame Soukèye joue un rôle éminent dans l’éducation d’une fille, vous, peut-être, vous employez un ‘Je’, n’importe qu’elle autre fille, qui sait, pensez-vous que le rôle des anciens est encore prépondérant dans l’Afrique moderne ?

Dans cette nouvelle, il s’agit purement d’un ‘je’ de narration. Je n’ai malheureusement pas eu la chance de partager ces moments de transmission avec une quelconque grand-mère. Je pense en tout cas, et c’est mon plaidoyer dans cette nouvelle, qu’on doit s’efforcer de préserver le rôle de nos anciens dans l’éducation des jeunes, car n’oublions pas que les jeunes que nous éduquons ou formons aujourd’hui seront les ‘anciens’ de demain. Nous avons bâti notre savoir et notre inconscient collectif sur l’oralité et même si aujourd’hui la plupart des jeunes sont alphabétisés voire instruits, il n’est pas dans ‘nos gènes’ de découvrir notre histoire, notre culture et notre patrimoine à travers les livres.

Pire, les contenus historiques sont relativement rares et pauvres, même si un grand travail de recherche et préservation a été fait par des icônes tels que Cheikh Anta Diop, Djibril Tamsir Niane ou Birago Diop, chacun dans son domaine. Ces travaux et publications nous relient nous Africains du 21ème siècle à une Afrique millénaire, complexe, multi civilisationnelle, belle et riche. Elle nous redonne des raisons d’en être fiers et surtout de la préserver et de continuer de faire fructifier ce legs de nos anciens.

Beaucoup de valeurs sont transmises aux jeunes sénégalais, le Kersa, le Soutoura, le Masla, etc. Comment une société en progrès devrait-elle faire pour bien assimiler ces valeurs ?

C’est fondamental. Les valeurs sont le ciment d’une société et leurs garde-fous en même temps. Elles doivent épouser notre culture et même si elles évoluent naturellement, cette mutation doit se faire dans la douceur. On peut s’ouvrir et s’enrichir au contact des autres mais oublier sa culture pour assimiler celle de l’autre, fut-elle dominante (économiquement, médiatiquement, souvent les deux) est une grave erreur dont on ne sortira pas indemne. Ceci pose à nouveau la question et l’importance de la transmission des rites, notamment d’initiation. Vivre avec notre temps ne doit pas signifier forcément tirer un trait sur le passé. Ce passé, ces valeurs, cette culture sont le terreau qui fera de nos jeunes pousses de belles plantes puis de grands et forts baobabs.

‘Cirque de Missira’, aborde la société africaine sous différents aspects. Quel regard portez-vous sur le Continent premier ?

Un sentiment très contrasté. Je l’aime et j’ai choisi d’y vivre. J’espère que mes enfants en seront fiers et voudront aussi y rester. Mais en même temps, il y a tellement de raisons de désespérer au quotidien : la situation politique et les relations de pouvoir, les travers sociaux sous prétexte de tradition, les dérives religieuses, la perte de valeurs, etc. En même temps, l’Afrique est riche de ses ressources, de ses hommes, de sa jeunesse et de l’élan qu’elle porte. Mes textes sont souvent assez critiques mais il y a toujours une part et une grande part à l’espoir. L’Afrique est une formidable mosaïque qui ne demande qu’à briller !

L’écrivain Boris Diop vous présente autant que Felwine Sarr comme des valeurs sûres de la nouvelle littérature sénégalaise. Comment accueillez-vous ce jugement d’un des plus grands romanciers modernes de notre pays ?

Avec beaucoup d’humilité. C’est un monsieur que je respecte beaucoup, pour ses livres mais aussi pour sa personnalité sans concession et sa très grande exigence. Je suis fière de ce jugement qu’il porte sur mon travail et surtout sur mon potentiel. Mais en même temps, c’est une responsabilité énorme : celle de ne pas décevoir quelqu’un qui vous estime et ce, publiquement. Honnêtement, je pense que Felwine Sarr mérite plus que moi ce titre de valeur sûre.

Pensez-vous continuer à écrire des livres ?

Oui, je pense qu’écrire est inscrit dans mon Adn. En tout cas, c’est vital pour moi, presqu’autant que l’oxygène. Les contingences de la vie professionnelle et familiale font que je ne peux pas m’y adonner autant que je le souhaite. Mais en même temps, c’est un filet invisible qui me tient prisonnière…volontaire.

Propos recueillis par El Hadji Gorgui Wade NDOYE (ContinentPremier.Com)

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