L’endroit est peut-être le dernier où l’on penserait rencontrer un constitutionnaliste, mais pour Mounirou Sy, c’est une évidence : c’est le président du jury 523 du lycée Kennedy, pour la session 2011 du baccalauréat, et c’est là qu’il veut être interviewé, au milieu de la paperasse. « Les Sénégalais ont hérité des Français ce qu’il y a de pire : la paperasse », soupire- t-il. A l’étroit dans ce bureau minuscule où il reçoit, il peine à se mouvoir, un supplice pour ce petit format (1,75 pour 78kg) pour qui de grands gestes accompagnent la parole. Il vibrionne intérieurement. Petits yeux noirs, crâne chauve subtilement virilisé par une cicatrice au dessus du fronton, il est prêt à conter sa vie comme une fabuleuse légende. Comme si son avenir se jouait dans ce portrait de La Gazette. Enthousiasme tournant à l’ivresse, il est, à 42 ans, un constitutionnaliste atypique.
Ancien professeur de l’université de Toulouse, il s’est forgé, seul, une posture de penseur cathodique autour d’interrogations grand public : Ticket président /vice-président, recevabilité de la candidature de Wade… Son sens de la formule comme son physique avenant ont fait le reste. Sans maître, ni école, il est autant aimé que détesté. Classé parmi les jeunes intellectuels de demain par les télés, radios et canards de la place pour sa pensée iconoclaste et dynamique, Mounirou se gratte le crâne pour sortir sa réflexion sur l’irrecevabilité de la candidature de Wade en 2012. Il dit : « l’article 27 de la constitution limite le mandat présidentiel à deux. Donc Wade est hors de course. Maintenant à écouter son discours du 14 juillet dans son groupe, il dit « seul Dieu peut m’empêcher d’être candidat ». Là, il (Wade) écarte le verdict du conseil constitutionnel. Wade veut se présenter de gré ou de force. »
« Le Conseil constitutionnel doit se prononcer 29 jours avant la présidentielle. S’il annule la candidature de Wade, ce sera inédit qu’un Etat organise les élections sans y participer. Cela peut installer le chaos. »
Un instant, on a cru sa phrase terminée et songé qu’on allait pouvoir en placer une. Non ! Mounirou Sy a toujours un argument de plus, des digressions truculentes, souvent à mourir de rire. Et une connaissance pointilleuse du moindre alinéa de la constitution. Il dit : « le Parti démocratique sénégalais n’a qu’un seul candidat potentiel qui s’est déclaré. Le Conseil constitutionnel doit se prononcer 29 jours avant les élections. S’il annule la candidature de Wade ce sera inédit qu’un Etat organise les élections sans que le président y participe. Cela peut installer le chaos ». On croit entendre Wade qui dit dans un journal français, La croix : « si je ne suis pas candidat, le pays va sombrer dans le chaos. » Bras croisés, dans ce bureau minuscule, Mounirou change de ton et paraît brusquement plus serein. Il répond posément aux questions, soucieux de l’exactitude des mots employés. Un sourire nerveux vient accompagner ces paroles du défunt Mame Abdou Aziz Sy. Il raconte une anecdote du saint homme sur deux lézards qui se battent dans la case d’une vielle dame. La chèvre va voir la vache et le cheval pour qu’ils mettent fin à cette bagarre, ces derniers disent que ce n’est pas leur problème. Conclusion : les deux lézards tombent sur le feu qui brûle la case et tue la mamie en même temps. Le cheval revenu éreinté par la course folle qu’il a dû effectuer pour répandre la nouvelle dans le village meurt. La chèvre égorgée pour satisfaire les premières affluences de la cérémonie mortuaire et la vache tuée pour rassasier les convives. Une anecdote qui dit en substance que le malheur ne vient jamais seul. « Le dédit est un parjure lorsque vous êtes une autorité de rang étatique. Il faudrait invoquer la haute trahison pour traduire Wade à la haute Cour de justice… »
Ecureuil intellectuel à l’agilité avérée, acrobate montant et descendant avec la même vivacité l’échelle des arguments, Mounirou prône la haute cour de justice pour le « Wax Waxeet » du président Abdoulaye Wade. Argument Numéro 1 : « le dédit est un parjure lorsque vous êtes une autorité de rang étatique, cela favorise l’insécurité. » Argument n°2 : « il faudrait invoquer la haute trahison qui l’amènerait à la haute cour de justice d’où sa révocation et sa destitution immédiate à la tête de ce pays. Et c’est à ce niveau que l’on pourra parler d’élection anticipée. » Ce dernier terme doit amuser l’esprit délié et malicieux qui se tient sagement assis derrière cette table en bois qui lui sert de pupitre. Sa voix se durcit et il sert les dents rien qu’à l’idée de se voir traité « d’imbécile. » Sur ce, il cite les propos de Wade qui lui auraient conféré ce statut. Il peste : « quand Wade déclare en public que les promesses n’engagent que ceux qui y croient et que seuls les imbéciles ne changent pas, il nous prend pour des imbéciles car le peuple est resté constant par rapport aux principes de base qui régissent la Constitution. » Il ajoute sur un fond de comparaison : « en droit civil, un imbécile est un majeur qui a l’âge d’un enfant. Pour Wade celui qui est constant est un imbécile. » Il pose la question de savoir si Luis Ignacio Lula (ex-président du Brésil) et Nelson Mandela (Afrique du Sud) sont des imbéciles ? Il répond par la négative et avoue que la constance et le respect de la parole donnée sont des qualités intrinsèques de ces « grands hommes ». Il explique : « Mandela a toujours dit qu’il ne briguera pas un second mandat, et ils ont respecté leurs paroles. » Peu clivant, refusant l’agressivité inutile ou le bon mot blessant, il nous sert du « incolore, inodore, et sans saveur » quand on s’approche de la scène intellectuelle sénégalaise où ce professeur de droit public à l’UFR de Thiès commence, sans fracas. Il dit : « je ne pense pas qu’il y a le silence des intellectuels. Quand il y a un débat qui préoccupe les Sénégalais, ils sont là. » Les mêmes têtes sur toutes les ondes et les chaines ? Mounirou impute la faute aux journalistes : « Les journalistes fonctionnent au relationnel. Il faut connaitre quelqu’un dans les rédactions pour être au devant de la scène ». Bref, le pisse-copie fait et défait les stars selon Mounirou.
Enfance et adolescence
Sa trajectoire est celle d’un fils d’inspecteur de la langue arabe et d’une maman couturière. Dès le bas âge, le petit Mounirou reçoit une éducation religieuse très stricte. La famille vit à Louga, Mounirou grandit avec ses trois petites sœurs et ses 13 demi-frères et sœurs dans l’univers de la polygamie avec ses hauts et ses bas. De quel métier rêvait-il ? « Aviateur ! » Autrement dit, pas dans le droit, domaine où il évolue et dont le virus l’a contaminé avec l’âge. « Enfant, je voulais devenir aviateur, puis avocat pour défendre les faibles. Maintenant, j’évolue dans la même sphère que le métier d’avocat et je m’épanouis dans mon boulot. » A 7 ans, Mounirou se décrit comme « curieux »,« intéressant », « brillant ». Il avale les étapes d’abord dans une école privée, Sainte Marie de Louga, ensuite à l’école publique Artillerie où il décroche l’entrée en sixième. Le Cmt de Louga ensuite le lycée Malick Sall prennent le relais pour parfaire son instruction. Il obtient le baccalauréat série A3 en 1989, et fera ainsi partie de la première promotion de l’Université Gaston Berger (Ugb) de Saint-Louis. Pendant les vacances, Mounirou se met au football. Il dit avoir partagé le même terrain qu’El Hadj Diouf en tant qu’ailier gauche. Aprés cinq ans passés à l’UGB, la maîtrisard en droit public s’envole pour Toulouse et y passe un Dess en administration locale et un Dea en droit public fondamental. Une thèse de doctorat en poche en 2005, il enseigne à l’université de Toulouse jusqu’en 2009, année où il rentre au pays. Entre-temps, Mounirou a rencontré sa femme, une marocaine, avec qui il s’est marié en 2003. Ils se sont rencontrés en France et ont une petite fille de 4 ans.
Pragmatique, Mounirou dit être un bosseur, qui peut donner rendez-vous à 8 heures du matin. Et c’est surtout, sous son indestructible bonne humeur, un coriace qui ne lâche pas l’affaire. Qu’est-ce qui fait sortir une tête du rang ? Mounirou semble aimer les projecteurs, et court d’un plateau de télévision à un autre. Il passe le reste de son court temps libre à lire, « des livres de droit ». On observe, lors d’un rare moment de pause, ce visage poupin. Pas d’esprit de revanche ni d’ambition mondaine, non, c’est autre chose…oui autre chose que lui seul connaît mais il préfère taire ses ambitions.
AÏssatou LAYE