Le port d’arme à feu est un phénomène réel au Sénégal, surtout chez les politiques. Il s’agit là d’une conviction forte chez les Sénégalais. Au-delà des vérités primaires, EnQuête a essayé de connaître l’ampleur du phénomène, les raisons immédiates et lointaines de cet armement, la procédure de demande ainsi que le profil des requérants.
Un taximan qui se dispute avec un autre automobiliste dans une station service ; et ce dernier dégaine son pistolet. Un premier tir en l’air, un deuxième sur le pneu du véhicule et le troisième sur la tête de son adversaire. Le fait a défrayé la chronique vendredi dernier. Quelques jours auparavant, Barthélémy Dias était devant le juge pour répondre de la mort de Ndiaga Diouf, le nervi dont il est le présumé meurtrier, cette fois aussi par balle. Ces deux exemples remettent au goût du jour la question de la détention et du port d’arme au Sénégal. Et plus largement, la circulation des armes légères et de petit calibre dans un pays où la population est jadis considérée comme pacifique, voire pacifiste.
Dans l’imaginaire populaire, les Sénégalais sont de plus en plus armés. Le port d’arme est même banal, croit-on savoir. ‘’C’est devenu une mode au Sénégal. Nous sommes une société qui lorgne chez les autres. Pour les Américains, avoir une arme est un réflexe de survie. Les Sénégalais qui vivent aux Etats-Unis ont pris cette habitude. Maintenant chacun a son pistolet’’, renchérit le colonel Alioune Ndiaye, ancien porte-parole de la Police nationale aujourd’hui à la retraite. Selon cet ancien gradé, ‘’il est vrai qu’il y a une insécurité galopante parce que les éléments économiques, politiques et sociaux qui la favorisent sont là’’.
Cependant, ajoute-t-il, le niveau d’insécurité ne justifie nullement que chaque individu veuille avoir une arme et se promener avec, surtout lorsqu’on ne maîtrise pas bien son usage. Les personnalités publiques ne peuvent donc pas invoquer l’insécurité comme argument. Il suffit de se rendre à l’évidence. ‘’Est-ce que vous enregistrez des attaques de personnalité dans la rue ou dans les lieux publics ? Ça ne se voit pas ! Et pourtant, non seulement ils ont des armes mais aussi ils ont des gardes du corps. C’est un effet de mode, un prestige, une façon d’être un homme comme il faut’’, souligne-t-il.
Le Directeur de la cartoucherie sénégalaise Amadou Niang n’est certainement pas d’accord avec lui. Pour cet armurier, qui s’exprimait hier sur les ondes de la Rfm, les gens qui ont des biens doivent disposer d’armes pour se défendre. ‘’Ce qu’il faut, c’est réduire l’autorisation des pistolets’’, concède-t-il. Dans son entendement, un pistolet dans une poche passe inaperçu. Par contre, un fusil de chasse reste visible et inspire méfiance. Il peut donc réduire les risques d’affrontement.
Il est à noter que la procédure pour obtenir une autorisation de port d’arme est totalement gratuite. Le requérant doit produire une demande manuscrite adressée au ministre de tutelle. Dans le dossier, il doit y avoir une photocopie de la carte nationale d’identité, un casier judicaire, un certificat médical, 4 photos d’identité et un timbre fiscal de 2000 F. La procédure peut prendre plusieurs mois. Car une enquête de personnalité est menée avant la prise de décision. Une fois l’autorisation obtenue, elle est en principe définitive. Il suffit juste de s’acquitter d’une taxe annuelle. Tant que la personne le fait, elle reste en règle. Il est certes prévu une suspension temporaire, un retrait provisoire et même définitif. Seulement, au Sénégal, on n’a jamais entendu parler d’un retrait malgré les frasques liées à l’usage parfois excessif d’une arme.
1 000 permis de détention et de port d’arme en 2016
Beaucoup de questions se posent donc sur la facilité d’obtention du permis de port d’arme et surtout sur la moralité de certaines personnalités qui en détiennent. À ce jour, il y a 3 000 permis de chasse. Rien que pour l’année 2016, 1 000 autorisations de détention et de port d’arme ont été accordées contre 205 rejets, selon le service de communication du ministère de l’Intérieur. C’est un peu moins que l’année dernière où le chiffre avait dépassé le mille. En 2011, au moins 456 permis ont été délivrés en quelques mois dans un contexte préélectoral tendu. D’après certaines sources, beaucoup d’armes ont circulé durant la période de tension électorale. Mais en l’absence d’une base de données numérique et d’une compilation des statistiques, année après année, il est difficile de donner le nombre de permis à ce jour accordés au Sénégal. ‘’Pour avoir le chiffre exact, il faut retourner aux archives’’, reconnaît l’adjudant Henry Ciss, chef du bureau relations publiques de la Police nationale.
Principal visé dans les critiques, le ministère de l’Intérieur, chargé de la délivrance des autorisations par le biais de la Division des armes et munitions logée à la Direction de la surveillance du territoire. Mais le département en charge de la sécurité interne rejette les allégations à ce sujet. Le porte-parole de la police Henry Ciss ne voit pas en quoi il y a facilité dans la délivrance des permis. ‘’1 000 autorisations sur une population de 14 millions. Ce n’est quand même pas beaucoup’’, réplique-t-il. Soit ! Mais si l’on y ajoute les mille des années précédentes, le ratio pourrait sans doute être plus préoccupant. Ce dont monsieur Ciss n’est pas convaincu. Ainsi, il invite à ne pas exagérer les faits qui, selon lui, ne sont pas nécessairement conformes à la conception qu’on en a, encore moins au discours véhiculé.
Dans tous les cas, ce Monsieur assure que tout se fait conformément à la loi. Il existe une procédure rigoureuse systématiquement suivie. Tout le monde y passe, y compris ceux qui sont familiers aux policiers en charge des dossiers. Et c’est seulement à l’issue de cette démarche que la personne obtient un permis ou se voit refuser sa demande. C’est dans ce sens d’ailleurs que la Police s’assure d’abord que le demandeur sait manier une arme avant d’apposer sa signature. D’après Henry Ciss, les armureries aident leur client avec des séances de tirs, de montage et démontage des armes. La Police aussi reste ouverte, que ce soit à la Dic ou dans un champ de tirs. ‘’Il ne faut pas que les gens se lèvent et, au pied levé, déclarent qu’il y a du laxisme. Il n’y a pas de laxisme. L’enquête est très rigoureuse’’, se défend-il. Le colonel Alioune Ndiaye confirme. Sans vouloir être l’avocat du diable en déclarant que tout marche comme il faut, il peut au moins témoigner en fonction de ce qu’il sait. ‘’Je connais beaucoup de gens qui ont couru pendant longtemps derrière des autorisations sans jamais l’obtenir. Nous sommes dans un pays où chacun fait des déclarations tout de go sans preuve’’, rétorque-t-il.
‘’On n’a pas besoin d’envoyer le requérant chez le psychologue’’
Il reste quand même que des gens qui n’ont pas forcément une bonne réputation disposent d’une autorisation. Faut-il par exemple accorder un permis à un belliqueux ? Oui, répondent ces deux interlocuteurs. Pour eux, Il n’est dit nulle part qu’il ne faut pas donner une autorisation à une personne belliqueuse. ‘’La réaction d’un homme dépend d’un ensemble de facteurs : l’heure, la fatigue, l’état psychologique, etc. Celui qui a tué le taximan aurait sans doute agi autrement dans un autre contexte. D’après ce que j’ai entendu, il a reçu une insulte et il n’a pas digéré’’, fait remarquer M. Ciss. Même argument avancé par le colonel Ndiaye qui estime que tout le monde est belliqueux.
Ainsi, l’enquête de personnalité n’a pas pour objectif de savoir si le demandeur est de sang froid, s’il est fougueux ou pas. ‘’L’enquête essaie de savoir si vous avez une activité qui vous expose à un danger, si vous avez besoin d’avoir une arme chez vous ou avec vous. Si vous jouissez de vos droits civils. C’est comme le permis de conduire, on vous le délivre, mais vous avez avec vous vos tares et défauts’’, tempère l’ancien voix de la police. ‘’On n’a pas besoin d’envoyer le requérant chez le psychologue’’, renchérit un interlocuteur.
On comprend mieux dès lors pourquoi les hommes politiques en usent et même abusent. Car, quand on parle de port d’armes au Sénégal, les premiers noms qui viennent sont essentiellement ceux des acteurs politiques : Moustapha Cissé Lô réputé avoir la gâchette facile. Ce qui lui vaut le sobriquet de ‘’El pistolero’’. Barthélémy Dias, l’Américain de l’arène politique et Me El Hadji Diouf. Il y a d’autres qui se sont distingués par l’usage abusif de leur arme. Il s’agit de Abdoulaye Willane du Parti socialiste qui a menacé un journaliste avec son pistolet, Farba Ngom, le député responsable Apr qui en a usé lors d’une scène d’affrontement entre factions rivales des apéristes de Matam ou encore Me Djibril War, l’autre parlementaire qui a menacé Mahmouth Saleh au quartier général de la coalition Macky 2012 lors de la présidentielle.
Les catégories socioprofessionnelles les mieux armées
Autant de faits qui donnent l’impression que les politiques sont armés, peut-être même les mieux armés. Pourtant, il n’en est rien, si l’on en croit Henry Cissé. Selon ce collaborateur d’Abdoulaye Daouda Diallo, les politiques ne constituent pas le gros lot de ceux qui formulent une demande d’autorisation de détention ou de port d’arme. Les principaux profils sont, d’après lui, les hauts fonctionnaires, les commerçants et éleveurs, les chefs d’entreprise et autres personnalités (députés, ministres…). De plus en plus, il y a les hommes de tenue (ceux qui ne portent pas d’armes ou qui en ont besoin à des heures où l’arme de service a été rendue) qui sentent aussi la nécessité de disposer d’une arme à feu.
Pourquoi tout ce monde veut être armé. La sécurité bien sûr ! Mais pas que ça. Le colonel Alioune Ndiaye, le sociologue Mamadou Wane ainsi que d’autres chercheurs qui se sont intéressés à la question trouvent une explication dans les pratiques culturelles. Selon eux, la société sénégalaise valorise le port d’arme. C’est dans les piliers de notre société qu’il faut aller chercher les besoins d’armes. Selon eux, dans nos traditions, un homme n’était accompli que lorsqu’il sortait de la case des hommes avec les enseignements nécessaires sur l’usage du couteau qu’il lui faut avoir en sa possession en permanence. ‘’C’est même une sorte de notoriété et de reconnaissance qu’un homme puisse sortir un couteau quand il faut immoler une bête ou même couper les liens pendant les enterrements. Souvent on entend dire ‘’kufi am paaka ?’’ (qui a un couteau ?). Nous sommes une société à arme’’, fait remarquer l’ancien policier.
À partir de ce moment, la transition se fait facilement d’une arme blanche à une arme à feu, surtout que les artisans savent en fabriquer. De ce fait, un nombre important d’armes circulent dans le pays. Si les autorités ne se préoccupent pas trop des armes légalement détenues, elles devraient par contre s’inquiéter du port illégal d’armes et surtout de la circulation frauduleuse de celles-ci.
BABACAR WILLANE
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