Depuis près de six mois, le militant Nasser Zafzafi mène une contestation populaire dans le nord du Maroc. Qui est cet homme, quel est ce mouvement qui sèment le trouble dans cet État du Maghreb où les révoltes sont d’ordinaire si rares ?
Il se définit comme un simple citoyen. Son nom, Nasser Zafzafi, est pourtant dans toutes les bouches au Maroc ou presque. L’activiste qui a pris la tête d’un mouvement de contestation populaire depuis près de six mois dans la région du Rif, dans le nord du pays, a été arrêté lundi 29 mai par la justice. Le militant de 39 ans était activement recherché par la police pour avoir interrompu le 26 mai le prêche d’un imam à la mosquée Mohammed V, à Al-Hoceïma.
De simple chômeur, Nasser Zafzafi est devenu au fil des mois la figure de proue de l »hirak », mouvance contestataire qui agite la région du Rif depuis le décès d’un vendeur de poisson. Pour rappel, le 28 octobre 2016, Mouhcine Fikri, âgé d’une trentaine d’années, meurt écrasé par le mécanisme de compactage d’une benne à ordures à Al-Hoceïma, alors qu’il tentait de s’opposer à la saisie et à la destruction de sa marchandise, une espèce interdite à la pêche à cette époque de l’année. Les circonstances dramatiques de sa mort, filmée sur un téléphone portable et diffusée sur Internet, suscitent l’indignation des habitants de la ville.
Soutien à #NasserZafzafi et aux dizaines de personnes arrêtées ces derniers jours dans le #Rif et dans tout le #Marocpic.twitter.com/sEMnkmNZcW
— Etat d’Exception (@EtatdException) 29 mai 2017
Un mouvement contre le « makhzen » (pouvoir)
Dès lors, la contestation s’organise. Très populaire parmi les jeunes dans sa ville natale d’Al-Hoceïma, Nasser Zafzafi coordonne tambour battant des manifestations contre le pouvoir. Dans ses diatribes sur les réseaux sociaux, dans les rues de sa ville ou depuis le salon familial, le trentenaire s’en prend à la politique du « makhzen » (pouvoir) où, selon lui, « la corruption », la « répression » de « l’État policier » règnent en maître.
Virulent contre les dirigeants marocains, le militant refuse toutefois de porter un message politique. « Nos mains sont propres de toute marque politique. Ce qui nous guide, c’est la conviction d’aller avec force et détermination vers le changement. Voilà notre élan, et il n’y a là aucune influence politique ni intérêt étranger comme veulent le faire croire les appareils du makhzen. »
Officiellement, il se défend aussi de toute velléité autonomiste ou séparatiste. Mais dans les faits, ses positions sont moins claires. À chacune de ses apparitions vidéo, on peut notamment voir en arrière-plan le portrait d’Abdelkrim al-Khattabi, cette figure mythique de la résistance rifaine contre les colons espagnols et français, qui proclama en 1922 la République confédérée des Tribus du Rif. Autre fait discordant, les sympathisants de son mouvement arborent des drapeaux amazigh (berbères) ou de la République du Rif dans les rassemblements qu’il préside.
Tantôt accusé d’être un agent commandé par l’organisation jihadiste État islamique, tantôt soupçonné d’agir à la solde du frère ennemi algérien, Nasser Zafzafi balaie d’un revers de main toutes les rumeurs qui bruissent à son endroit. Il se définit comme un pauvre, fils de pauvres, qui cherche à s’affranchir des disparités sociales qui minent le pays.
Des sit-in solidaires dans le pays
Son discours séduit et exacerbe les tensions. Samedi 27 mai, des heurts nocturnes ont opposé manifestants et policiers à Al-Hoceïma et dans d’autres localités de la province, comme Imzouren. Les policiers sont intervenus en force pour éteindre ces foyers de contestation.
Dimanche, la contestation a dépassé les frontières de la région du Rif pour gagner des villes comme Rabat ou Tanger. Des sit-in de « solidarité » ont été organisés dans plusieurs villes du pays, et notamment à Nador (nord), où la presse a fait état de l’arrestation d’un journaliste algérien du journal El Watan.
Est-ce à dire que ce mouvement de contestation va gagner l’ensemble du pays ? Sadeck Hajji, journaliste et analyste politique marocain ne le croit pas : « Le mouvement de Nasser Zafzafi peut bousculer les usages établis sans pour autant faire basculer le régime ». Et l’observateur de poursuivre : « Le Maroc a traversé des siècles sans tourment majeur, principalement en raison de son système monarchique. Aujourd’hui, les Marocains ne veulent pas d’un printemps arabe parce qu’ils ont vu les conséquences en Libye et en Tunisie. Mais il est évident que les Marocains ont besoin de plus de justice, de liberté et de transparence dans les affaires ».
Source: France24