Dakar, le 04 janvier 2015Monsieur Mbagnick NdiayeMinistre de la CultureDakar – SENEGALObjet : naufrage culturelMonsieur le Ministre,2015 qui marque les 50 ans du Théâtre national Daniel Sorano devrait nous rappeler que le Sénégal a été au centre de la culture mondiale. Tous les grands noms se bousculaient chez nous : Michael Jackson, Duke Ellington, Joséphine Baker, Maurice Béjart, Johnny Halliday, André Malraux, Aimé Césaire, Roger Garaudy…, ils sont tous venus chez nous. Le Ballet national a fait le tour du monde avec des prestations saluées par les critiques dans les plus grandes capitales culturelles qui accueillaient aussi les expositions itinérantes des arts contemporains sénégalais. Le festival mondial des Arts nègres de 1966 est une anthologie. L’école des beaux-arts, Mudra Afrique, le Musée dynamique étaient des terreaux fertiles.Héla, ces temps sont bien révolus, emportés par les politiques d’ajustement structurels du Président Abdou Diouf, et nous vivons un véritable naufrage culturel présentement. Au Sénégal de 2015, il n’y a pas de politique culturelle en tant que système global de promotion et de valorisation de notre vaste et riche patrimoine matériel et immatériel ; il n’y a point d’industrie culturelle ; nos acteurs culturels ne sont point formés et, à part une toute petite poignée, la culture ne fait vivre aucun d’eux ; notre culture ne se vend nulle part dans le monde ; par manque d’éducation culturelle, le Sénégalais ignore la diversité et la richesse de ses terroirs, ethnies et langues. Une véritable catastrophe culturelle doublée d’énormes pertes économiques.Pendant que des pays absents jadis de la scène se sont réveillés et s’affirment avec agressivité (Côte d’Ivoire, Nigeria, Niger, Burkina Faso), les productions, les prestations et les distinctions de la culture sénégalaise se complaisent dans la médiocrité, la bouffonnerie, la vulgarité. Nos « théâtres », notre musique et danse n’ont rien à voir avec la qualité d’antan. Quels nouveaux musiciens pourrait-on comparer à Touré Kunda (3 disques d’or, prestation avec les Rolling Stones) ou Xalam 2 (prestation au Festival de Woodstock de 1994 devant 500.000 personnes) ? Quelles danseuses mesurer à Germaine Acogny qui a formé les plus grands chorégraphes ? Qui a pris le relais des Cheikh Hamidou Kane, David Diop, Mariama Bâ (3e roman africain le plus lu de tous les temps), Ken Bugul traduits dans toutes les langues, enseignés dans les plus grandes universités ?Pionniers du cinéma noir africain (Paulin Vieyra, Sembène Ousmane, Safy Faye) et regorgeant toujours de talents indiscutables à l’image des Alain Gomis, Moussa Touré et autres, il n’y a plus que quatre (04) salles de cinéma dans notre pays avec une production au point mort comparé au vrai monde du 7e art. Or, le cinéma est l’un des plus grands enjeux culturels du monde en tant que formateur de consciences et vecteurs de valeurs.Les enjeux de la culture sont énormes et peuvent se résumer autour de la triptyque « connaissance de soi, estime de soi et développement ». Ceux qui ne le comprennent pas seront toujours dominés et ne connaîtront jamais le développement.Etes-vous à même de relever ces défis ? Pourriez-vous nous présenter un plan d’actions méthodique et concret pour la mise en œuvre d’une politique et d’une industrie culturelles dignes de ce nom, ainsi que la valorisation nationale et internationale de tout notre patrimoine culturel ?A défaut, l’histoire retiendra que vous ne vous êtes pas acquitté de votre tâche.Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, l’expression de nos sentiments patriotiques.Mamadou Sy Tounkara, Présentateur de « Senegaal ca kanam »
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