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Dans La vie sur un fil: les souffrances de notre société. Ndèye Codou Fall

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Le docteur Abdul KANE est chef du service de Cardiologie de l’Hôpital Général de Grand Yoff et professeur à la faculté de Médecine de l’Université Cheikh Anta DIOP de Dakar. Quand un tel homme intitule son livre La vie sur un fil, on ne peut s’empêcher d’avoir des frissons avant de l’ouvrir, d’imaginer les terribles souffrances qui y seront exhibées. On se demande aussi comment gérer les ondes et si le « fil » en question sera droit, solide et bien en place.  Il suffit en effet d’un  délestage de la Senelec pour que le pire advienne. On pense à l’attente, aux angoisses et enfin à la délivrance : la personne dont la vie est sur un fil va-t-elle guérir ou passer de l’autre côté de la barrière ?

Pour en avoir le cœur net, je me suis plongée dans la lecture de La vie sur un fil…Abdul KANE aurait pu choisir d’y parler de l’hôpital comme lieu où l’on retrouve la santé, la joie et l’espoir, de l’hôpital comme lieu de « soulagement de la souffrance des hommes » mais il a préféré raconter sans complaisance une société en crise dont l’hôpital public est le parfait microcosme.

L’ouvrage se veut une alerte dans la mesure où l’auteur met en garde contre toute marchandisation de la santé. Ici, le drame rôde en permanence car les plus faibles sont pris en otage par la misère, à l’image de ce petit paysan dont le seul tort est d’être tombé malade sans avoir le sou.

 

Les maux sont également listés, entre autres l’exode rural et le désenchantement qui l’accompagne ou le fait que des médecins qualifiés soient obligés de travailler avec un matériel défectueux ; les autres tares sont l’incompétence de cet étudiant dont le Savant dit qu’il « a tué son malade », l’inconscience de certains agents, symbolisée par la pharmacienne, l’irresponsabilité de cette infirmière qui n’arrive jamais à l’heure et qui n’est jamais sanctionnée, la corruption sous toutes ses formes et enfin le manque de professionnalisme et d’humanisme de la Marâtre si vilainement xessalisée. Et la laideur de son teint n’est que l’aspect visible de cette dépigmentation artificielle puisqu’elle agit négativement sur la flore protectrice tout en rendant vulnérable quiconque s’y adonne. Les turpitudes des politiciens, les inondations en banlieue, les délestages, la mendicité et la vulgarité d’une infirmière qui se permet des remarques obscènes  sur la vie sexuelle d’une patiente complètent le tableau.

Mais il n’y a pas que cela dans La vie sur un fil. Il y est aussi question de cet enseignant dévoué vivant dans la décence jusqu’à ce que la maladie de son enfant vienne mettre sa dignité à rude épreuve. La faute, ici aussi, à l’absence de moyens. D’une certaine façon, il est Sisyphe réincarné puisque sa souffrance est inutile.

Abdul KANE rappelle que si on ne sévit pas contre les chauffeurs indisciplinés et les policiers véreux, plus soucieux de leur poche que de la sécurité des citoyens, les accidents de la route vont continuer à faire des victimes. Comment comprendre que certains conducteurs de « deux-roues » sans papiers ni casque, brûlent impunément tous les feux et, doublant sur la droite ou sur la gauche, se faufilent entre les véhicules comme bon leur semble…? Comment comprendre que le retard chronique des secours n’émeuve jamais personne surtout quand on sait que des ambulanciers corrompus détournent le carburant ?

Heureusement que de ce chaos fétide émanent malgré tout d’agréables senteurs, des perles de lumière, le « sourire candide » de l’étudiante et des médecins préoccupés « par les tourments de leurs malades » au point de « reprofiler le traitement ».

Dans sa remarquable préface, le Pr Soumaré attire l’attention sur un personnage pour le moins insolite de ce livre : un chat noir, témoin muet de la tragique bévue de l’aide-soignante «à moitié analphabète qui devine les drogues par leur aspect» et qui semble vouloir lui crier : « Non, surtout pas cela ! ». Le félin ne peut, hélas, sauver le fils de Sainte Mère… Heureusement, celle-ci est une « merveilleuse croyante ». Il en faut donc bien plus pour ébranler sa foi. Mais, comme le souligne fort justement le préfacier, « tout le monde n’est pas Sainte Mère ». Jamais le commun des mortels n’aurait accepté de perdre un proche dans de telles circonstances. Cela laisse ouverte la question essentielle que voici :  comment un hôpital digne de ce nom peut-il embaucher une personne aussi peu compétente ? Un tel laisser-aller s’apparente à un insupportable manque de considération pour l’humain et pour sa vie.

Il n’en reste pas moins que dans des cas extrêmes, la mort peut représenter le repos  et la fin d’un certain mal de vivre.

Parfois c’est « la société qui corrompt l’homme bon » comme le dit Rousseau avec justesse. On le voit bien avec ce  médecin « de plus en plus acariâtre, lui qui était si serein » mais aussi avec Badou, l’aide-infirmier « devenu un adulte sans état d’âme ».

Dans La vie sur un fil, Abdul KANE pose des questions et ouvre des brèches. Le plus important est de ne pas juger ou traiter les patients en fonction de l’épaisseur de leur portefeuille. C’est là un défi, celui du respect de la dignité humaine  que le livre de Kane aimerait aider à relever.    On peut appeler cela, au propre comme au figuré, essayer de faire œuvre utile…

  Ndèye Codou Fall 

Abdul KANE, La vie sur un fil, Nouvelles, Ed L’Harmattan, 2013

 

 

 

 

1 COMMENTAIRE

  1. Quel beau livre d’Abdul Kane, »La vie sur un fil » à travers le vécu quotidien du médecin à l’hôpital et dans son environnement social de tous les jours. On peut ajouter qu’à tous les niveaux de notre société, le laisser aller, les malversations, les mauvais comportements de toutes sortes, dans les administrations, dans la justice, dans la vie politique, conjugale, familiale, parmi les forces de l’ordre, les chauffeurs sur la route, l’homme de la rue, bref à tous les niveaux, les choses marchent sur la tête et complètement de travers. Le mal est profond et atteint des proportions exponentielles démesurées. C’est la dépravation des mœurs et la corruption qui ont ruiné l’empire romain. Notre société se meurt, nos enfants fuient par milliers et à tout prix, même au risque de leurs vies pour l’Europe et l’Amérique. Ce qu’il nous faut c’est un véritable éveil de conscience, un sursaut national de révolution culturelle pour l’avènement d’un nouveau homo-senegalensis, une véritable alchimie pour tuer en nous la « bête humaine » et réveiller la bonne conduite, la victoire de l’esprit sur la matière.. Seul celui qui ne veut rien pour lui voudra tout faire et tout donner à son pays, On est loin, très loin de là.! Bravo Dr pour votre belle contribution, Grâce a des hommes comme vous, l’espoir est permis.

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