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Ndoumbélane: Correspondances d’outre tombe. (Par Alassane K. Kitane)

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  1. COMPLAINTES D’OUTRE-TOMBE
    Du fond de ma tombe, j’ai décidé de m’adresser aux gens de Ndoumbélane pour
    leur ouvrir les yeux sur l’absurdité de leur façon de vivre et l’impasse vers
    laquelle ils s’acheminent tout droit. Je suis poussière, je suis cendres, je suis un
    néant, mais je suis…
    Je suis cet enseignant qui a servi sa patrie pendant plus de trente bonnes années
    et qui n’a même pas pu avoir une maison décente à léguer à ses enfants ; je suis
    cet enseignant qui a donné sa force, sa jeunesse et ses maigres ressources aux
    enfants d’autrui pour qu’ils réussissent, car à travers eux j’ai toujours vu la
    nation ; je suis cet infatigable pédagogue qui a disséminé le savoir aux quatre
    coins de mon pays dans l’espoir de voir ma nation émerger dès les premières
    décennies de l’indépendance ; je suis cet enseignant qui, dans le quartier était
    toujours sollicité, mais paradoxalement raillé de toute part par des gens dont
    toute la ruse consiste à vivre par la gratuité des services érigée en culte dans ma
    société ; je suis cet enseignant mort jeune parce que rongé à la fois par une
    maladie que je n’avais pas les moyens de soigner et une pression sociale de plus
    en plus insupportable ; je suis ce travailleur vaillant, robuste et hardi, qui n’a
    jamais tenté de se soustraire à la dureté du labeur parce que je me disais que
    l’avenir de la nation dépendait de moi ; je suis ce soldat au courage fou qui a
    donné sa vie dans les théâtres d’opération pour que vous restiez en vie et viviez
    en paix ; je suis ce paysan exploité et asservi par les intrigues d’un marché
    artificiel et qui, écrasé par le labeur et la faim, est mort à la fleur de l’âge ; je
    suis ce père de famille fauché par un véhicule fou alors qu’il allait chercher de
    quoi nourrir sa famille ; je suis cette brave dame victime d’une agression
    sauvage au coin de la rue par trois jeunes dont les mamans sont pourtant amies à
    moi ; je suis cette dame anéantie par les douleurs physiques et morales pour que
    mon enfant ne meure pas alors que je lui donnais la vie ; je suis ce patient que
    l’incurie et l’avidité de médecins semblables à de véritables croque-morts ont
    fait mourir dans une longue et pénible agonie ; je suis cette bonne-femme
    calcinée par le feu de la cuisine sous équipée de ma patronne qui, n’est même
    pas venue à mes obsèques ; je suis cette jeune femme morte de cancer pour
    cause de dépigmentation parce que je voulais simplement plaire à des hommes
    frivoles et sans esprit qui ne se rendaient même pas compte qu’ils me blessaient
    lorsque, devant la splendeur discrète de ma peau noire, ils flattaient les femmes
    au teint flamboyant ; je suis…
    Vous me direz que le monde est injuste ! Ne parlez pas d’injustice de grâce, moi
    je parle de cruauté. En fait vous n’avez pas été injustes envers moi, vous m’avez
    tué et mangé. Peuple d’anthropophages, vous n’avez donc pas honte ! Shame ou

plutôt Chim ! Vous m’avez pressé comme du citron, et même dans ma tombe,
vous ne me laissez pas tranquille. Vous squattez nuitamment ma tombe, volez
mes restes pour en faire je ne sais quelle amulette ! Vous n’avez même pas
honte ! Ces tantes qui me regardaient avec de vilains yeux quémandeurs, ces
oncles ventrus et rustres qui me reprochaient de n’avoir pas les moyens de
prendre en charge leurs frais d’hospitalisation, ces sœurs qui croyaient que le
travail est réservé aux hommes et qu’une femme devrait juste être entretenue,
ces frères oisifs et trop exigeants, ces dames colporteuses de rumeurs dans le
quartier qui me lançaient indirectement de méchants quolibets… Voilà mes
bourreaux, les arracheurs d’âme, les assassins de sang froid : ils ont bu mon
sang à satiété et m’ont abandonné à mon sort. Bande de tortionnaires ! Vous
tuez vos parents, amis, voisins et collègues par votre cupidité sans fin conjuguée
à une innommable fainéantise. Ce sont ces monstres qui m’ont arraché la vie à
petit feu : ils m’ont donné le stress et la maladie ; ils m’ont marginalisé ; ils
m’ont ridiculisé ; ils m’ont jeté en pâture à la vindicte populaire et m’ont
finalement broyé dans la misère sociale.
Je suis mort pour rien, car je vous avais indiqué la voie et vous avez préféré
prendre les sentiers sinueux de la facilité, de la roublardise et du faux.
J’ai tellement aimé cette patrie, je lui ai tout sacrifié, mais voilà mon triste sort.
Je suis affligé et révolté, non pas parce que je suis mort pauvre, mais parce que
je constate que vous n’êtes pas dignes de moi. J’ai lutté toute ma vie, et mort je
souffre encore pour vous ; et pendant ce temps, vous êtes là amorphes comme de
vulgaires vers de terre. Au lieu de faire du labeur votre ami et du mérite la
boussole de votre vie, vous avez impudemment adopté et logé chez vous ce fils
illicite et indigne qu’on appelle « contrefaçon ». Vous êtes devenus un peuple de
faussaires. Vous construisez, avec de l’argent volé, de belles villas sur les
tombes des héros qui ont donné de leur vie pour que vous soyez libres. Vous
roulez dans les voitures les plus chères au monde alors que vous n’êtes même
pas capables de fabriquer des pneus. Vous construisez des infrastructures de
luxe alors que vous n’avez même pas suffisamment d’écoles et d’universités
pour accueillir ces merveilleux cadeaux que Dieu vous a donnés. Qui va
entretenir ces infrastructures ? N’avez-vous donc jamais de remords ? Vous
faites de la politique votre pain et osez contester votre statut d’anthropophages !
Je n’attendrai pas le jugement dernier et peu importe ma destination : j’ai décidé
de vous régler vos comptes, du fond de ma tombe. (À suivre)
Le Casse-pieds de Ndoumbélane

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