Au Sénégal, la majeure partie des populations est soit musulmane soit chrétienne. Pourtant, ces populations croient aussi aux pratiques ancestrales leur interdisant, par exemple, de voyager un vendredi ou de se laver au-delà de minuit, entre autres coutumes. Par contre, ces croyances sont jugées dépassées par certains, au nom de l’Islam.
Un vent frais souffle ce samedi matin à Dakar, après la pluie de la vieille. Les ouvriers, en particulier les mécaniciens, sont déjà à pied d’œuvre. Ils revoient les moteurs des véhicules en panne, tentent d’apporter leur savoir-faire pour mettre en marche des voitures qui doivent être engagées sur de longues distances. Le chef de garage Ibrahima Seck, venu très tôt pour superviser le travail de ses collaborateurs, a fait le tour des lieux pour voir si tout est en place. Après cette supervision, l’homme au pantalon court retourne à son « bureau ». Chapelet à la main, il évoque Dieu parce que c’est le mois béni de ramadan et les gens doivent changer de comportement. Malgré cette foi en l’Islam, ce disciple mouride croit aux coutumes africaines. « Ce sont des choses que nous avons trouvé ici et nous sommes obligés de les appliquer pour mener correctement notre vie, sinon nous risquons un malheur », a averti M. Seck. L’homme se dit témoin d’une histoire d’une personne qui avait défié ces coutumes en voyageant un vendredi. « Il a été victime d’un accident terrible et a perdu son œil gauche parce qu’il n’avait pas respecté les consignes lui interdisant de voyager un vendredi. En plus, en sortant de chez lui, il y avait des signes qui indiquaient le malheur, car mon ami avait rencontré, à la place d’un homme, une femme. Conséquence : il fait un accident, parce qu’il a insisté » à partir, a soutenu Ibrahima Seck. Il demande aux Sénégalais, en dépit de leur foi, de ne jamais tourner le dos à leurs coutumes qui, dit-il, guident et orientent l’homme noir vers le meilleur chemin de la vie. « Moi, par exemple, je ne sors jamais de chez moi sans verser de l’eau devant ma porte, parce que l’eau constitue une source de bénédiction », soutient un autre mécanicien assis à côté et qui adhère aux propos de son patron. Oumar Diop va plus loin en soutenant que la religion musulmane ne rejette pas totalement les croyances traditionnelles, parce qu’elles font partie de notre identité culturelle. « Je ne vois aucun mal en ces croyances. Au contraire, on risque, en voulant défier certaines croyances et coutumes, d’être malheureux durant toute notre existence », avertit notre interlocuteur.
« Lundi est un mauvais jour »
Trouvée dans son salon de coiffure, Salimata Traoré, originaire du Burkina Faso, musulmane de confession, ne badine pas avec ces croyances dites africaines. A son avis, elles constituent une richesse léguée par nos ancêtres et doivent être sauvegardées. « Il m’arrive d’annuler un voyage si sa date tombe un lundi, parce que chez nous, au Burkina Faso, il est interdit de voyager en début de semaine, surtout s’il s’agit de faire de longues distances. Lundi est un mauvais jour chez nous », se contente de dire la dame, sans donner aucune autre explication.
Francis Tendeng, est catholique. Mais pour lui, les croyances traditionnelles sont au-dessus de tout, parce qu’elles sont sacrées.
Invité à expliquer la sacralisation de certaines coutumes, le natif de Ziguinchor se veut prudent et se contente de dire : « il y a des choses que l’homme ne peut pas expliquer. Vous êtes Africain, vous devez y croire, sinon vous ne serez jamais épargné des malheurs ». Pour passer une bonne journée, par exemple, il est obligatoire de verser de l’eau devant sa porte et éviter, en allant au travail, de croiser n’importe quelle personne. Selon Francis, l’eau est non seulement une source de pureté mais aussi de bénédiction, et il faut en verser chaque matin avant d’aller au travail, conseille notre interlocuteur. Yeux levés au ciel, Francis avoue que ces croyances sont typiquement africaines. Elles n’ont rien à voir avec les religions révélées. « La religion chrétienne à laquelle j’appartiens ne dit pas à ses fidèles d’abandonner leurs coutumes. Ceux qui sont à la tête de l’Eglise savent que les Africains chrétiens ont leurs propres croyances », a-t-il indiqué. A son avis, ces coutumes peuvent provoquer la mort d’une personne qui ne les applique pas. A quelques mètres de là, un anonyme abonde dans le même sens que Francis : « chez nous, il y a des rituels qu’il faut faire, sinon vous êtes maudit. Elles peuvent vous coûter la vie. Ce sont des choses que nous avons trouvé ici, et personne n’est capable de vous donner des explications », a-t-il soutenu. Au quai de Hann village, le discours est identique. Ici, les pêcheurs partent tous les jours en mer avec un impératif de survie. Ils scrutent l’horizon et se mettent au pas des croyances ancestrales. Trouvés, près d’un muret frappé par les vagues, les sexagénaires Mamadou Seck et Mouhamou Ngom croient au destin. Comme un préambule, le premier lâche : « ce qui arrivera, arrivera. Mais nous ne pouvons pas faire fi de certaines croyances. Mes parents ne voyageaient pas le vendredi. Jusqu’ici, je ne voyage pas ce jour. Nos anciens ne voyageaient pas le même jour », rapporte Mamadou Seck.
Croyances païennes
Musulman pratiquant, Aliou Dia croit aussi aux traditions africaines parce que, estime-t-il, elles protègent l’homme noir et lui évitent le malheur. Victime d’une maladie pendant plus deux ans, ce jeune dakarois a retrouvé la santé grâce à un guérisseur traditionnel qui l’a débarrassé d’un sort qu’on lui aurait jeté. « Depuis lors, je ne badine pas avec ces coutumes, parce que l’Afrique a ses propres réalités qui sauvent », ajoute-t-il. Tout le contraire de ce que pense ce vieux musulman trouvé dans le quartier de Castor. Chapelet à la main, Mohamed Guèye, 72 ans, la chevelure blanche, ne croit pas aux croyances africaines qu’il qualifie de païennes. « Dans ma vie, j’applique ce que le Coran me dit. Je crois aux prescriptions de l’Islam, de la charia, de la Sounna du Prophète Mohamad (Psl). Le reste ne m’intéresse pas », lance M. Gueye. « Pour un musulman, il n’y a que les prescriptions de l’Islam qui comptent. Ces prescriptions sont pour l’éternité car elles ne varient pas », a ajouté Mohamed Guèye. « Vous savez, je voyage quand je veux. Je ne demande l’autorisation à personne » soutient-il. Avant d’indiquer que ces coutumes sont dépassées et n’ont aucun avenir dans un pays comme le Sénégal où la majorité des jeunes est dans les mosquées et églises pour prier Dieu. « Ce ne sont pas ces jeunes qui croient en Dieu qui vont annuler un voyage prévu un vendredi à cause d’un mauvais sort », souligne-t-il. « Il suffit seulement à ce jeune de prier Dieu et de faire tranquillement son voyage » ajoute M. Guèye.
Commerçant au marché Castor, Ibrahima Touré n’a pas attendu un samedi ni un lundi pour ouvrir son magasin. « Je ne me rappelle même pas du jour ni de l’heure à laquelle j’avais ouvert cette boutique », dit-t-il. Selon lui, on ne peut pas croire aux prescriptions du Prophète Mohamad (Psl) qui confèrent protection et appliquer d’autres pratiques. Dieu protège l’homme de tout malheur, a-t-il soutenu. Le sujet fait rire le vieux Sassy Diop des Parcelles Assainies. « Je connais des gens qui refusent de se faire laver les habits un samedi. Il y a des musulmans qui ne voyagent jamais un vendredi, avançant les risques d’accident ou d’autres malheurs. D’autres ne se lavent pas au-delà de minuit », liste notre interlocuteur avant de dire que ce sont de « faux problèmes ». Devant une urgence on n’a pas le temps de choisir son jour de voyage, ajoute-t-il. « Moi, je ne crois pas à ces coutumes, les gens naissent et meurent tous les jours. Pourquoi continuer à croire à certaines choses ? », se demande-t-il. Le jeune Abdou Ngom va dans le même sens : « oui, j’ai vu des gens qui refusent de déménager les samedis ou en début de semaine. Sincèrement, je ne crois pas à cela, parce que j’estime qu’il n’y a rien de sacré en dehors des écritures saintes. Ce sont des croyances anciennes pratiquées par nos ancêtres qui étaient des païens. Mais, aujourd’hui, nous sommes soit chrétiens ou musulmans, ces pratiques n’ont pas de place dans notre société » soutient Abdou.
Eugène KALY
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