Comment il a sauvé la marque Etats-Unis.
2009 touche à sa fin; les experts sont déjà en train de faire le bilan de la première année de présidence de Barack Obama. Et tous ses détracteurs (y compris les plus indulgents) conviennent d’une chose: si le président a prononcé un ou deux discours d’envergure, le succès, pour ce qui est de la politique étrangère, n’a pas été au rendez-vous. De fait, Obama a lui-même affirmé qu’il envisageait son prix Nobel comme un «appel à l’action»; non comme une récompense pour le travail effectué. Lors d’une récente interview accordée à Oprah Winfrey, il s’est accordé la note de «B+». Et pourtant, en un sens, Obama a accompli plus de choses en onze mois que son prédécesseur n’en a accompli en huit années de présidence.
Mes recherches établissent, de fait, que le président restaure peu à peu la réputation des Etats-Unis, un capital intangible aux effets positifs des plus… tangibles (entendez: des plus lucratifs). Depuis son accession au pouvoir, Obama a dopé la valeur de la «Marque Amérique»: elle vaut aujourd’hui 2.000 milliards de dollars de plus (9.700 milliards pour 2008, 11.800 pour cette année). Depuis un an, les biens, les services, les citoyens (et même les paysages) d’Amérique ont donc gagné 20% d’attractivité sur le marché mondial.
Nation Brands Index
Comment je sais cela? Tout simplement parce que j’analyse la valeur de l’image de marque de nombreux pays d’année en année. J’ai créé l’Anholt-GfK Roper Nation Brands Index (NBI), qui évalue depuis 2005 l’image de 50 pays sur le plan international; et ce en sondant entre 20.000 et 40.000 personnes dans 20 à 40 pays. Nous leur demandons d’exprimer une série d’opinions vis-à-vis des Etats concernés. Les sujets sont divers: respect des droits de l’homme, système d’éducation, vie culturelle, prouesses sportives, et même… degré de sympathie envers les étrangers.
Si j’ai lancé le NBI, c’est d’abord parce que, dans ce monde mondialisé, la prospérité d’un pays dépend directement de son image. Lorsqu’on demande aux gens ce qu’ils pensent d’un pays étranger, leurs avis peuvent être partiaux, complètement à côté de la plaque, bourrés d’étranges préjugés, injustement négatifs, anormalement positifs, dépassés, ou honteusement simplifiés. Mais ils importent. Les pays jouissant d’une image positive et forte attirent plus de touristes, d’investisseurs, de donateurs, de talents – ainsi que l’attention et le respect des médias internationaux comme des gouvernements étrangers. Ils parviennent à exporter leurs produits, leurs services, leurs idées, leur culture, et leurs citoyens avec plus de facilité. En revanche, lorsque l’image d’un pays est faible ou négative, ces transactions s’avèrent plus onéreuses et plus complexes. Ce facteur n’était pas pris en compte par le PNB, la productivité économique, ou par n’importe quel autre instrument de mesure économique – un vide que le NBI ne demandait qu’à combler.
Mais je voulais également vérifier une hypothèse de mon cru, selon laquelle l’image d’un pays est extrêmement stable. L’image de marque d’un Etat n’est pas comparable à l’opinion publique, qui peut, elle, changer – littéralement – de jour en jour. L’opinion que se font les gens des autres pays, en revanche, varie rarement: d’une part parce qu’ils n’y pensent que rarement, et sans vraiment creuser la question; d’autre part parce que l’image d’un pays n’est pas qu’une affaire d’avis personnel – elle dépend aussi de la culture nationale. L’image dont jouit le Japon en Chine, par exemple, dépend pour partie de l’histoire et de la culture chinoise; et vice-versa.
Peu de variation
Et de fait, depuis le lancement du NBI, l’image des pays a rarement varié de plus d’1 ou 2%. Des nations ont traversé une crise économique et politique, ont été victime d’attaques terroristes et de plusieurs catastrophes naturelles sans que leur image en pâtisse pour autant. De même, les pays ayant décidé de lancer des campagnes de publicités hors de prix pour «se faire un nom» n’ont pas grimpé dans le classement.
Deux exceptions notables à cette impressionnante inertie: le Danemark en 2006 et, cette année, les Etats-Unis.
L’image du Danemark s’est effondrée dans les pays musulmans en 2006, lorsqu’un quotidien national a décidé de publier plusieurs caricatures du prophète Mahomet. En Egypte, par exemple, le Danemark arrivait généralement 15ème dans la plupart des catégories, décrochant même la bonne place de 7ème dans la catégorie «gouvernement». Après la publication des dessins, il tomba à la 35ème place toutes catégories confondues (sur 39 pays inclus dans le sondage). Il n’a toujours pas, à ce jour, retrouvé son prestige d’antan. Et ce pour une simple raison: contrairement à la plupart des évènements ayant marqué l’actualité des autres pays (qui n’intéressent guère les sondés, et qui ont donc peu de chance de modifier leur opinion des pays concernés), l’affaire des caricatures les a blessé sur le plan personnel. De nombreux musulmans se sont dit que le Danemark leur en voulait, qu’il leur avait manqué de respect en connaissance de cause; et leur vision du pays a changé en conséquence.
Première place
La seconde exception date de cette année, et s’avère plus impressionnante encore. Les Etats-Unis, qui se traînaient à la septième place de mon classement depuis 2005, ont fait un incroyable bond en avant pour se retrouver premier – et pas seulement aux yeux d’un ou deux pays. Si l’on en croit un échantillon représentant 60% de la population de la planète et 77% de son économie, l’Amérique est aujourd’hui la nation la plus admirée de la planète.
La première place demeure, à mon sens, la position naturelle des Etats-Unis. Seulement, depuis 2005 (et avant cela, à n’en pas douter), les relations internationales américaines traversaient une sérieuse zone de turbulence – ce qui pénalisait de fait le score final du pays. L’élection d’Obama a «libéré» le pays, qui est tout naturellement redevenu le pays le plus admiré au monde. (Fait intéressant: depuis que l’étude existe, les Etats-Unis ont toujours occupé la première place chez les sondés musulmans).
Une analyse plus poussée des données montre que les sondés ont aujourd’hui une bien meilleure opinion du peuple américain, ce qui a largement contribué à l’amélioration du score final. Après la réélection de George W. Bush, les Etats-Unis avaient en effet commencé à enregistrer des scores de plus en plus faibles dans la catégorie politique étrangère, mais aussi dans celles du peuple, de la culture, et même (corrélation délicieusement absurde) celle du paysage. Tout a donc changé lorsque les Etats-Unis ont élu le «bon» président: le reste du monde semble aujourd’hui avoir absous le peuple américain de ses nombreux péchés… Même ses collines ondulantes et ses gratte-ciels semblent avoir retrouvé les bonnes grâces de la planète.
Service à l’économie
La rédemption de la marque ne signifie pas seulement qu’un nombre grandissant de personnes se sentent toutes émues à la seule pensée des Etats-Unis. Elle nous permet d’en savoir beaucoup plus. En combinant les données du NBI avec une série de statistiques économiques et industrielles, il est possible d’effectuer une évaluation de la marque d’un pays – les grandes sociétés évaluent leur image de la même manière. Nous étudions ces chiffres avec l’aide de Brand Finance, un cabinet-conseil spécialisé dans l’évaluation du capital intangible des grandes sociétés. Selon notre estimation conjointe, la valeur de la «Marque Amérique» a bel et bien fait un bond rapide autant que vertigineux : 9.700 milliards de dollars en 2008, 11.800 milliards aujourd’hui. Bond d’autant plus remarquable qu’il a été négocié pendant une période de crise économique mondiale, qui a vu la croissance du PIB américain s’atténuer de 2,3 points de pourcentage. En se faisant élire (et en prononçant les bons discours), Obama a rendu un fier service à l’économie de son pays…
Mes recherches font donc mentir tous ceux qui affirment qu’Obama a peu de réussites à son actif. Par sa seule présence, le président a redoré le blason d’une Amérique en manque de respectabilité et de crédibilité: en regagnant sa stature, le pays a gagné en influence. Aucune force politique, économique ou militaire n’aurait pu en faire autant. C’est un exploit de taille, qui permet à Washington d’espérer exercer une certaine autorité morale sur la planète. On peut donc dire que le chef de l’Etat a rempli l’un de ses objectifs les plus sacrés: renforcer la réputation de sa patrie. Quoi qu’on en dise, Obama n’a pas à rougir de sa première année.
Simon Anholt est consultant indépendant.
Traduit par Jean-Clément Nau
Image de Une: Barack Obama à Shanghai, REUTERS/Jason Reed