« Notre nation a perdu son plus grand fils ». C’est par ces mots que le président Sud-Africain, Jacob Zuma a annoncé hier soir, jeudi 5 décembre 2013, la mort de Nelson Mandela, à l’âge de 95 ans. Alors que ses compatriotes convergeaient vers son domicile, une émotion planétaire envahissait le monde. Il faut désormais s’y résoudre. Mandela est retourné à son éternité, « dans un coin bleu du ciel », emporté par une infection pulmonaire récurrente, contractée probablement à la suite d’une tuberculose pendant son long séjour à la prison de Robben Island.
Qui ne le revoit sortant de la porte minuscule de la cellule n° 6, pieds et mains entravés, cassant des cailloux, enveloppé dans une poussière assassine qui a recouvert ses poumons, les brûlant à petit feu. Quel parcours extraordinaire que celui de cet homme qui par ses qualités exceptionnelles était devenu une sorte d’icône à son corps défendant.
Icône avons-nous dit ! Il n’avait jamais adhéré à cette idée. Porté par son aura, auréolé de gloire, il a refusé toute posture christique, prenant ses distances avec les louanges qui déroulent ces enflures qui font perdre le sens du réel. S’enfermant dans le refus entêtant de toute déification, de toute starisation, Nelson Mandela n’avait eu de cesse de rappeler à ses concitoyens qu’il était simplement un homme…comme un autre.
Mais quel homme! Lorsqu’il sort de prison le 11 février 1990, à 15 heures, levant le poing à côté de sa femme Winnie, il prend un enfant blanc dans ses bras. Embastillé, humilié, traité comme un paria, par ce simple geste, il prônait le pardon. Se posait dès lors la question de savoir, comment écrire une nouvelle page de l’Afrique du Sud avec des hommes et des femmes que l’apartheid, un système politique inique et haineux, avait dressé les uns contre les autres. Noirs/Blancs/Métisses, ainsi se déclinait une réalité conflictuelle rythmée par une racialisation du quotidien national sud africain. Villas, emplois, et quartiers chics pour les Blancs. Misère, crasse, townships de bric et de broc pour les Noirs, rendaient compte des inégalités insoutenables figées dans une différenciation inscrite dans la couleur de la peau. A ce vécu piégé par la naissance, il rêvait de lui substituer un autre, susceptible d’accorder une égalité de chance à tous et toutes.
L’intuition géniale du président qu’il était devenu en 1994 aura été de tenter de fédérer en 1995 le peuple sud africain autour de la coupe du monde de rugby, sport favori des Blancs, au contraire du football beaucoup plus prisé du côté des Noirs. Il voulait que la coupe du monde qu’abritait l’Afrique du Sud serve de catalyseur à la mise en perspective d’une nouvelle nation réconciliée avec elle-même.
Même s’il n’a pas réussi à redistribuer les richesses comme on le lui a reproché, force est de reconnaître qu’il a essayé de constituer sur sa terre naguère terre d’exclusion, terre de larmes incandescentes et de colère, une terre réconciliée autour d’une nation arc en ciel, appelant au dépassement des rancœurs pour se mettre au service d’un futur en partage. Cette terre qu’il n’a jamais voulu déserter et où, contrairement à beaucoup de dirigeants africains, il est resté se soigner. Incontestablement, il aura contribué à mettre à mal les visions consistant à enfermer certaines pratiques dans des déterminismes chromatiques, en faisant croire notamment que les Noirs ont un rapport captif au pouvoir. A lui seul, Mandela est un immense démenti de cela.
Aimer Mandela, c’est donc poursuivre son œuvre, s’en inspirer et continuer le travail de la réconciliation, de la solidarité et du partage, afin que tous les hommes et les femmes qui naissent libres et égaux en droit puissent bénéficier des mêmes opportunités.
Quelle vie! Lui qui avait passé 27 longues années en prison, lui qui avait perdu son fils aîné, sa première épouse, l’une de ses petites filles lors de la Coupe du monde de football qui se déroulait en Afrique du Sud, lui qui avait perdu nombre de ses compagnons de combat, lui qui avait fini par connaître plus de morts que de vivants, affichait toujours, malgré tout, un visage habité par une tendresse infinie.
On l’aimait parce qu’il était un visionnaire. On l’aimait parce qu’il respirait une terrible simplicité que ne perturbe nulle fureur. On l’aimait parce qu’il était profondément bon. Il avait cette lucidité qui le rendait imperméable à l’insidieuse ivresse du pouvoir. En 2006, Nelson Mandela avait déclaré aimé qu’après sa mort, on écrive sur sa tombe : « Ci gît un homme qui fait son devoir sur la terre ». C’est tout.
Adieu Madiba, que la terre d’Afrique du Sud, que la terre tout court, t’accueille avec autant de grâce que celle par laquelle tu as régné dans le cœur de l’humanité!