Le document n’est pas accessible au plus grand nombre des adhérents de l’Ordre national des médecins du Sénégal (ONMS), mais il est assez compromettant pour semer le trouble dans le rang des « blouses blanches ». Dans un rapport d’une trentaine de pages (les annexes non prises en compte), qui est une « Revue des documents, de l’organisation administrative et comptable de l’Ordre national des médecins du Sénégal de 2010 à 2013 », le Centre de gestion agréé du Sénégal (CGAS) épingle la gestion, dénonce des procédures comptables et évoque un trou financier de plus de 100 millions de francs Cfa.
Dans un document finalisé depuis la deuxième quinzaine du mois de février 2014, le Centre de gestion agréé du Sénégal campe, dès l’introduction du rapport, un décor bien anarchique. « Aucune organisation administrative et de sauvegarde des données comptables n’est mise en place, alors qu’il est obligatoire de les garder au moins pendant 10 ans ». Le gros du problème réside dans le fait que des documents comptables nécessaires à la reconstitution des états financiers ne sont pas sur place, au moment où les auditeurs s’invitent dans la gestion de l’Ordre.
Selon les termes du rapport, « l’assistant comptable du CGAS a dénombré, classé et analysé les pièces comptables disponibles de chaque exercice », mais il a surtout « recensé les documents disparus permettant d’apprécier chaque année le préjudice subi par l’Ordre ». Seulement problème ! Pour l’année 2010 par exemple, c’est l’écran noir pour ce qui est des cotisations des membres de l’Ordre national des médecins du Sénégal ; cotisations qui constituent l’essentiel de rentrées de fonds.
« Les carnets de reçus d’encaissement des cotisations n’ont pas été retrouvés dans les archives », indique le rapport. Or ils sont au nombre de 536 inscrits dont 281 du secteur public et 255 du privé, à avoir cotisé, selon le bilan financier 2010. Quelle est donc la main invisible qui a retiré ces documents, pour les mettre loin des regards ? Le rapport ne répond pas à cette question. 2010 est du reste la seule année où aucun document d’encaissement de cotisations n’a été retrouvé. Du reste, pour les deux autres années qui ont suivi, fouillées par l’audit, les entorses aux procédures comptables sont nombreuses.
2012, l’année de la bamboula !
Par exemple, sur l’état des cotisations de 2012, le document établit que si « le nombre de carnets de reçus de cotisations de l’exercice est de 12 », seuls « 10 carnets ont été retrouvés dans les archives ». Or, le nombre de cotisants est si important cette année-là : 766 membres actifs en 2012. Cette année est celle où les cotisations sont revues à la hausse. Pour se faire une idée, il faut savoir que les médecins publics, au nombre de 294 en 2012, ont cotisé chacun 80 000 francs, ceux du privé au nombre de 362 ont mis, chacun dans les caisses de l’Ordre des médecins, 60 000 francs Cfa. Les médecins non inscrits, qui sont au nombre de 110 ont versé chacun 20 000 francs Cfa.
Au total, les reçus d’encaissement de l’exercice sont de 971, correspondant à un montant global de 61,2 millions de francs Cfa. Or, les cotisations encaissées sont de 53 millions de francs Cfa », d’où l’écart de 8 millions de francs Cfa relevés. Les vérificateurs prennent la peine de relever que « parmi les inscrits en 2012, les membres de la catégorie C (ndlr, les médecins qui n’exercent pas) n’y figurent pas alors que certains d’entre eux ont cotisé. D’autres pièces de banque de l’exercice 2012 sont interrogées. Si le Bureau d’alors de l’Ordre des Médecins a en effet pu mettre à la disposition des auditeurs les relevés bancaires, bordereaux de versements en espèces, par chèques, il ressort, à la lecture d’un tableau récapitulant toutes ces opérations, que « 15 factures réglées par chèques n’ont pas été retrouvées ».
La même méthode de vérification a été déjà utilisée pour l’année 2011. Ici, les sommes sont moins importantes parce que les montants de cotisation sont de 18 000 francs Cfa pour le médecin public et 12 000 francs pour le privé. Malgré tout, le document relève que « sur les 800 reçus parmi lesquels 764 reçus délivrés et 36 annulés ou déchirés, l’on a un total de cotisations de l’exercice égal à 15,17 millions de francs Cfa, contre 21,05 millions dans le bilan financier figurant à la page 79 en annexe. L’écart est de 5,8 millions de francs Cfa. Il s’y ajoute qu’en interrogeant les pièces de caisses, les auditeurs notent « un manquant de 130 factures réglées en espèces.
La gestion d’Abdoulaye Bousso en question
Mais si le rapport se contente de constater que les pièces sont incomplètes, il ne nous dit pas où elles sont parties. En interrogeant certains membres de l’Ordre des médecins et d’autres sources, nos interlocuteurs n’hésitent pas à pointer un doigt accusateur sur certaines personnes. Mais surtout sur Abdoulaye Bousso, qui fut le Vice-président dans le dernier bureau renouvelé en 2014. Des sources à l’intérieur de l’Ordre accusent sa Secrétaire qui aurait disparu avec 30 millions de francs Cfa. On s’étonne aussi que la Trésorière, Kadiatou Bâ Regnault, cardiologue de son état, disparaisse des radars aussitôt après le décès du Dr Diop, en démissionnant de son poste. Mais Bousso la défend : « Tout le monde sait que l’époux de cette dame est milliardaire, je ne vois pourquoi elle se compromettrait pour si peu. »
En vérité, le malaise à l’Ordre des médecins apparaît avec le décès de l’ex-Président de l’Ordre des médecins du Sénégal, Dr Cheikh Ahmadou Bamba Diop, le jeudi 22 novembre 2012, des suites d’une longue maladie. Aussitôt après son inhumation, dans son village natal à Touba Kane dans la région de Thiès, les problèmes commencent. C’est alors que le Vice-président Abdoulaye Bousso prend les rênes de la maison. C’est sa gestion qui sera plus épinglée que celle de son prédécesseur qui a plutôt bonne presse chez les « blouses blanches ». Dans ce milieu étriqué des médecins où tout le monde ou presque se connaît, nombreuses sont les flèches qui sont décochées en direction d’Abdoulaye Bousso. On va même jusqu’à évoquer une sur-facturation dans le déménagement du siège de l’Ordre des médecins, de la Médina à l’Ancienne piste à Mermoz.
Mais contre toutes ces accusations, Bousso se défend. Joint au téléphone, il charge le rapport d’audit qui épingle une bonne partie de sa gestion. « Ce n’est pas un rapport d’audit. Le responsable de la vérification a lui-même dit qu’on lui a donné des pièces comptables à étudier. C’est différent d’un audit où l’on va soi-même chercher les choses », se défend-il. Il explique que les seuls chèques qu’il a eu à signer, ce sont des chèques blancs pour permettre au nouveau bureau qui s’installait de travailler ». Abdoulaye Bousso affirme que « le Président Cheikh Ahmadou Bamba Diop a signé des chèques jusque dans son lit de mort ». Il voit la raison de ce qu’il assimile à une cabale ailleurs.’
En tout état de cause, l’affaire est dans le circuit de la justice. « Nous avons déposé il y a deux ans une plainte à la Division des investigations criminelles. C’est l’Ordre des Médecins qui a porté plainte » contre X pour toutes ces malversations présumées. « L’affaire est sur la table du juge d’instruction », selon les termes de l’actuel président de l’Ordre des médecins. Ce dossier sera-t-il un jour vidé ?
À suivre…
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