2015 figure incontestablement parmi les années qui auront le plus focalisé l’actualité sénégalaise sur l’organisation du pèlerinage à la Mecque. Les journalistes, les hommes politiques, les acteurs du pèlerinage et le citoyen lambda, tous ont senti la nécessité de réagir, d’intervenir, pour s’interroger, s’émouvoir, fustiger, décrier ou clarifier et apporter des solutions à l’équation irrésolue depuis cinq décennies.
Les nombreux ratés, les personnes laissées en rade à Dakar et le drame de Mina ont été les facteurs déterminants qui ont poussé le premier des Sénégalais, le chef de l’Etat, à prendre enfin son bâton du pèlerin pour appeler à une large concertation avec si besoin implication des autorités saoudiennes autour de l’organisation du cinquième pilier de l’Islam. Nous ne pouvons qu’acquiescer à une décision aussi importante même si nous déplorons le fait que l’on attende toujours de toucher le fond pour chercher à se relever afin de s’élever, préférant le statu quo au cri de cœur de personnes avisées rangées dans le lot d’utopistes ou simplement de businessmans.
L’objet de cette présente contribution est d’attirer l’attention des autorités sur les mesures d’accompagnement nécessaires pour mener à terme cette large concertation et éviter les amalgames et les erreurs fatales qui ne peuvent que nous dévier du droit chemin et nous conduire vers des situations encore regrettables.
LA REORGANISATION DU COMMISSARIAT A COURT ET LONG TERME
‘Li duuf ci nag wi, xajul ci cin li » disent les wolofs : « Le bœuf est gras mais la marmite ne peut contenir tous les bons morceaux ». Dans cet appel pour une large concertation, aura-t-on le temps de dire tout ce qu’il y a à dire, et de faire tout ce qu’il y a à faire ? Ici, il y a ce qu’il y a à faire demain mais aussi ce qu’il y a faire aujourd’hui et qui ne peut attendre. A-t-on les dispositifs pour réunir ces deux objectifs et les réussir du même coup ?
Connaissant le talent de nos experts en tout qui vous disent tout quand il y a rien à dire, je me demande, en ce moment où il y a beaucoup à dire, quand est-ce que l’on épuisera ce débat sur la réorganisation du pèlerinage pour agir et arrêter enfin des solutions durables.
Les acteurs réels du pèlerinage savent que pour réussir une année de Hadj, il faut se lever tôt, anticiper, prévoir, planifier, car ici, tout est priorité : les formalités administratives au Sénégal, les formalités administratives en Arabie Saoudite, les contrats d’hébergement à la Mecque et à Médina, les contrats d’aviation, la recherche, l’inscription et la formation des pèlerins, etc..
Le point de départ de toutes ces étapes est bien sûr l’existence d’une équipe compétente disposant d’un plan d’actions bien ficelé, prête à se rendre au pays organisateur, l’Arabie Saoudite, pour tirer les conclusions et leçons de la gestion de l’année écoulée et signer un nouveau protocole pour l’exercice en cours.
Quand on sait que l’agenda du pèlerinage est rigoureusement fixé selon le calendrier de l’hégire, cette rencontre avec les autorités saoudiennes ayant eu lieu le 26 janvier 2015 correspondant au 06 /04/ 1436 de l’hégire, on peut estimer qu’elle devrait se tenir cette année autour du 17 janvier 2016.
Même si le protocole de l’année dernière n’a pas été scrupuleusement respecté, il faut rappeler qu’il a été question de boucler toutes les transactions au plus tard le 25 du mois de ramadan. Si cette clause est appliquée en 2016, cela reviendrait à considérer comme délai de rigueur le 1er juillet, ce qui laisse supposer que les inscriptions des pèlerins devraient s’arrêter au plus tard en fin juin 2016.
Dans le même ordre d’idées, La liste complète des agences agréées devait être fournie et introduite dans le portail électronique du ministère du Hadj avant le 18 /07/ 1436 (7 mai 2015) ce qui tombe le 26 avril 2016 (18 rajab 1437). Pour en arriver à cette exigence, il faudra d’abord répartir les quotas entre le Commissariat général, les 195 agences agréées et la cinquantaine de nouvelles demandes. Ce quota pour le Sénégal, de 10.500 pèlerins en 2015 correspondant à 0,1/% de la population, pourrait passer à 12.500 si la réduction de 20% appliquée depuis quelques années est supprimée comme prévu. Cependant, le plus difficile consistera à procéder au regroupement de toutes ces agences en un nombre plus restreint.
Comme j’ai eu à le dire dans mes précédentes contributions, le transport aérien vers la Mecque constitue un facteur déterminant dans la réussite ou l’échec de l’organisation du pèlerinage. La solution est de désigner le plus tôt possible, soit la compagnie nationale soit de procéder à un appel d’offre, seul gage pour obtenir un prix du billet d’avion moins élevé. Une fois n’étant pas coutume, c’est l’occasion de saluer ici les efforts de Sénégal Airlines qui a respecté le convoyage des pèlerins du Privé avec la compagnie française XL, à l’arrivée comme au retour. Contrairement à la Compagnie saoudienne Nasair responsable des retards qui ont entaché la réussite du pèlerinage 2015. C’est le lieu de dénoncer le prix excessif du billet d’avion (1 105 000 FCFA) arrêté par ces deux compagnies (Sénégal Airlines et Nasair) et cette tendance tentaculaire saoudienne à s’auto-adjuger la moitié du contrat d’aviation comme stipulé dans le procès verbal de l’accord sur les modalités et fondements des affaires relevant du Hadj 1436 H : « selon les instructions émises par l’autorité générale de l’aviation civile, les transporteurs aériens saoudiens auront à partir de cette année 1436 H (2015), participé à moitié au transport des pèlerins avec le transporteur national de chaque pays sans exception». Nous ne savons pas s’il n’y a pas eu d’exception comme indiqué, mais il est sûr que pour le Sénégal, la partie saoudienne n’a pas respecté ses engagements avec tous ces retards obligeant les pèlerins à court d’argent de rester cloitrés dans les hôtels.
Pour toutes ces raisons, si les conclusions de ces concertations à l’initiative du président de la République concernent la gestion du pèlerinage 2016, il faudra impérativement les débuter avant le 15 novembre et les terminer avant le 15 décembre 2015 pour que le Commissariat général dispose au moins d’un mois avant de rencontrer ses homologues saoudiens vers le 17 janvier 2016.
Cet agenda paraissant contraignant, j’ai pensé à deux solutions alternatives pour atteindre les objectifs précités : réussir le court et le long terme.
1)- Mettre en place conjointement une Commission nationale pour la Concertation et la Réorganisation du pèlerinage et un Commissariat général au pèlerinage qui déroulerait naturellement sa mission sans attendre les conclusions de la Commission nationale pour la réorganisation. Les résultats des travaux de cette commission indépendante s’appliqueraient alors aux années suivantes.
2)- Maintenir l’unique formule d’un Commissariat Général au pèlerinage qui, en plus de sa mission régalienne, serait chargé de piloter la Mission nationale pour la concertation et la réorganisation. Elle pourrait reposer sur deux structures indépendantes, l’une exclusivement chargée du pèlerinage 2016 et l’autre de la concertation et de la réorganisation applicable à partir de 2017.
Personnellement, j’opte pour la première solution pour que les deux activités puissent être menées librement.
Pour cette année, l’Etat se donnerait les moyens de choisir dans un cadre interne l’équipe qui répondra le mieux aux exigences d’une gestion efficace du pèlerinage sans tomber dans le piège des lobbyings et de ceux qui veulent réduire la cause des échecs successifs à une question de maîtrise ou non de la langue arabe. Ceux-là oublient que ces dommages du hadj n’ont épargné aucun profil : pendant 12 ans (de 1960 à 1971) les commissaires généraux ont été pour l’essentiel, d’anciens directeurs généraux, d’anciens ministres ou administrateurs civils. Pendant 37 ans (de 1972 à 2009) le Commissariat général a été géré exclusivement par des arabophones, docteurs en théologie et autres islamologues ou prédicateurs. Un manager, technicien de l’aviation civile et un général de l’armée ont fermé la marche de 2010 à 2015. Allez demander aux présidents Senghor, Diouf Wade et Sall, s’ils avaient eux-mêmes une maîtrise de l’arabe, du coréen ou du chinois avant de décrocher les investissements dont-ils ont fait profiter le Sénégal. Non, les failles sont ailleurs.
Quant à la Mission pour la Concertation et la Réorganisation du pèlerinage, elle aura le temps de tamiser toutes les propositions : celles favorables au statu quo, celles des défenseurs de la privatisation, celles qui, prenant les agences privées pour des businessmans, suggèrent tout bonnement de mettre des conditions que seule cette race de businessmans accomplis que sont les Cheikh Amar, Serigne Mboup et autre Youssou Ndour, peuvent remplir, au détriment des acteurs qui jusqu’ici ont porté le flambeau.
LA MAISON DU HADJ
Le calvaire de personnes laissées en rade au hangar de l’aéroport, lieu inadéquat d’accueil des pèlerins a été un des points culminants des péripéties du Hadj 2015. Pourtant depuis 2014 les voyagistes privés et tous ceux qui se soucient du bien-être des pèlerins n’ont cessé d’attirer l’attention des autorités sur la nécessité de bâtir un complexe pour servir de local à la fois au commissariat général au pèlerinage, aux agences privées chargées du pèlerinage et d’accueillir les pèlerins venus des différents coins du Sénégal. La répétition étant pédagogique, permettez-moi de reproduire ici ce paragraphe extrait de mon ouvrage sur le Hadj et qui a aussi fait l’objet d’une contribution dans la presse.
« Bien qu’il soit le centre d’attraction annuel de millions de Sénégalais pour organiser les conditions de départ, de séjours et de retour de dix mille parents, amis et proches qui doivent se rendre à la Mecque, cet évènement hors-pairs n’est pas doté d’infrastructures pour accueillir son monde. Au gré des régimes, c’est soit l’Institut Islamique, le Centre International pour le Commerce et l’Industrie (CICES) ou le Hangar de l’Aéroport de Dakar, qui est utilisé pour servir temporairement de siège à l’organisation du Hadj. Pendant ce temps, la Maison de l’Avocat, la Maison de la Presse, le Grand Théâtre ou encore le Centre de Conférence de Diamniadio pour la Francophonie se dressent splendidement et font la fierté de nos gouvernants. La construction de la Maison du Hadj est un impératif pour éviter les errements et parfaire l’organisation du Pèlerinage. »
En attendant de voir sortir de terre cet édifice tant attendu, les autorités devront mettre à la disposition des acteurs du pèlerinage, les stands du CICES dès le début de l’année 2016.
CONCLUSION
En résumé, les urgences de l’heure sont de trois ordres :
- La concertation nationale qui doit s’appuyer sur une commission nationale pour la concertation et la réorganisation du Hadj. Sous la supervision de techniciens et experts du Hadj, cette commission recueillerait à la fois l’avis des religieux, des collectivités locales, des journalistes et de toute personne ressource.
- La mise en place et le démarrage des activités du Commissariat général au plus tard au mois de décembre 2015.
- La construction de la maison du Hadj dans les meilleurs délais.
Cheikh Bamba Dioum
Auteur, Président
du G.I.E Yoonu MAKKA