Dans ma précédente contribution, j’ai passé en revue quelques ‘’actes caractéristiques de mal gouvernance financière’’, notamment au niveau de la Société africaine de Raffinage (SAR), et qui mettaient en cause l’ancien Ministre de l’Energie M. Samuel Sarr et l’ancien Directeur de cette structure. Dans cet exercice, je me suis fondé sur un document officiel dont nul ne conteste la crédibilité. Il s’agit du ‘’Rapport public sur l’Etat de la Gouvernance et de la Reddition des Comptes’’ publié en 2013-2014-2015 par l’Inspection générale d’Etat (IGE). Je m’appuie sur le même rapport, celui de juillet 2013, pour remonter en surface d’autres ‘’actes illustratifs de mal gouvernance’’, qui ont eu pour cadre le Parc automobile de l’Etat et mettent gravement en cause le candidat déclaré M. Samuel Sarr. Pas seulement. Plus gravement encore, le Rapport de 2013, incrimine le vieux président-politicien.
Dans un premier point, l’IGE a rappelé le contexte et le cadre réglementaire et insisté, en particulier, sur « la réglementation sur les véhicules administratifs (qui) remonte à 1963 ». Je renvoie le lecteur intéressé à ce premier point (page 65). Il en aura le cœur net sur certaines graves dérives qui ont caractérisé le fonctionnement de ce service pendant de longues années, et qui continuent probablement dans la même voie. Compte tenu de la gravité de ces dérives, l’IGE s’est arrêtée sur un second point : « Constats et propositions de mesures correctives » (page 66). Dans ce cadre, elle s’est appesantie sur ‘’l’achat’’ de quarante (40) véhicules qui s’est fait, selon ses enquêteurs, hors de toute réglementation.
Le Rapport de l’IGE rappelle, qu’à l’occasion de la tenue à Dakar XIe Sommet de l’Organisation de la Conférence islamique (OCI), le prédécesseur du président-politicien Jr « avait décidé de l’acquisition d’un lot de quarante (40) véhicules de transport des hôtes du Sommet ». Le lot de véhicules grand luxe se présentait comme suit :
- 20 Mercedes de marque différente dont 6 S600, 12 S500, 1 LS500 et 1 E63 ;
- 20 Lexus L460.
Les investigations des contrôleurs de l’IGE les ont amenés aux constatations suivantes :
- l’acquisition est déclarée avoir été faite par la Société B à la requête de l’ancien Président de la République ;
- La Société B a déclaré avoir acheté ces véhicules en Arabie saoudite et les a acheminés à Dakar où ils sont arrivés le 26 mars 2008, soit douze jours après la clôture de l’OCI ;
- Les véhicules ont été réceptionnés par le Chef du Parc automobile de la Présidence de la République, acheminés et gardés au Bataillon du Train (BATRAIN).
L’IGE constate aussi que les fameux 40 véhicules déclarés avoir été achetés par la Société B, ne font pas partie du lot de deux cent cinquante-neuf véhicules offerts à l’Etat du Sénégal à l’occasion de la tenue du XIe Sommet de l’OCI. Deux cent cinquante-neuf (259) véhicules, c’est quand même assez substantiel pour le transport des hôtes du Sommet, surtout que nombre d’entre eux auraient préféré se faire transporter par les véhicules de leurs ambassades respectives. N’est-ce pas l’adage wolof qui dit bien que même quand on n’a jamais mis les pieds en Mauritanie, on sait que c’est la nuit que les habitants prennent leur dîner ? Ces véhicules étaient sans aucun doute offerts à l’Etat du Sénégal par l’Arabie Saoudite ou par un autre pays. Leur achat par la Société B serait un pur montage et l’IGE va s’employer à le prouver un peu plus bas.
Les contrôleurs de l’IGE révèlent, qu’au moment où s’effectuaient les dernières investigations, la situation des véhicules était la suivante :
- Onze véhicules (11), soit cinq (5) Mercedes et six (6) Lexus ont été vendus par la Direction générale des Impôts et Domaines, sur instruction de l’ancien vieux président-politicien (on aurait vraiment aimé savoir à qui ils ont été vendus et à quelles conditions) ;
- Quatre (4) Lexus L460 ont été offerts par l’ancien vieux président-politicien à un des pays amis du Sénégal (quel est ce pays ami ? quand même !) ;
- Deux (2) Mercedes et deux (2) Lexus L460 ont été mis à la disposition de chefs religieux ;
- Vingt et un (21) véhicules étaient disponibles mais non immatriculés.
C’est le paiement par l’Etat des quarante (40) véhicules qui sent le souffre et soulève beaucoup de questions qui n’ont naturellement pas échappé aux contrôleurs de l’IGE, amenés à constater que :
- cette prétendue acquisition s’est faite en dehors des services compétents de l’Etat ;
- c’est un ministre en fonction, en l’occurrence Samuel Sarr, qui a été sollicité par le vieux président pour, dit-il, préfinancer l’opération ;
- notre ministre s’est fait payer la somme de 3,7 milliards de francs CFA, après avoir produit une fausse facture et un faux procès-verbal de réception, en lieu et place du Directeur général de la Société B qui prétend avoir acheté et vendu les véhicules à l’Etat ;
- le paiement au profit de la Société A, dont le Ministre de l’Energie est administrateur unique, s’est fait sur la base d’une avance de trésorerie d’un montant de 3,7 milliards de francs CFA versés sur instruction de l’ancien président-politicien. Le lecteur a bien compris.
C’est bien l’IGE qui a mis en évidence d’aussi graves actes de brigandage financier. Ce ministre est le même qui a organisé le « brigandage » de la SAR, et qui a été au cœur de tous les coups fourrés perpétrés pendant la longue et nébuleuse gouvernance de son mentor et acolyte.
Revenons aux constations de l’IGE :
- alors que le paiement a été déjà fait au profit du responsable de la Société A, le Directeur général de la Société B présente, contre toute attente, une facture datée du 21 janvier 2008, pour réclamer le même montant (oui, puisque c’est lui qui les a ‘’achetés’’) ;
- pourtant, il a reconnu avoir été préfinancé par la Société A et était bien informé du paiement de trois milliards sept cents millions effectué au profit de la Société A pour l’achat des quarante (40) véhicules (quel imbroglio !) ;
- il a perçu la somme de quatre cent cinquante-sept millions deux cent quatre-vingt mille (457 280 000) francs CFA, en contrepartie des différents frais engagés dans ‘’l’achat’’ des véhicules et pour solde de tout compte (en vérité, en contrepartie de sa complicité active) ;
- il a signé pour sa Société B, avec le Secrétaire général de la Présidence de la République (même lui est de la partie !) qui représentait les intérêts de l’ancien vieux président, un protocole duquel il ressort que le versement de cette somme mettait définitivement fin à toute réclamation, sous quelque forme que ce soit, de la Société B. Ce protocole vaut quitus final, précise le rapport de l’IGE et, en vertu de ce protocole, le Directeur s’était engagé à ne plus évoquer cette affaire, à la boucler définitivement (la dernière expression est de moi, comme les précédentes mises entre guillemets). Au moment où le Rapport de l’IGE était publié, il continuait de réclamer à l’Etat ses 3,7 milliards de francs CFA. Terrible tout cela, dans un pays qui se dit démocratique !
En tous les cas, l’IGE conclut ainsi ce ‘’brigandage d’Etat’’ : « Au total, il s’est agi de manœuvres frauduleuses impliquant de très hautes autorités de l’Etat, ayant causé à l’Etat un préjudice financier direct de trois milliards sept cent millions (3 700 000 000) de francs CFA. » L’IGE ne fait pas état du terrible préjudice moral : nos plus hautes autorités de l’Etat directement impliquées dans un tel ‘’brigandage’’ ! Et sans frais !
L’IGE termine par des propositions de mesures correctives qui n’ont aucune chance d’être mises en œuvre, la bombance continuant de plus belle après le 25 mars 2012. Ce problème des 40 véhicules a été soulevé au lendemain du 2 avril 2012 pour être vite enterré. Les deux principaux protagonistes et leurs complices haut placés n’ont pas été inquiétés le moins du monde. Au contraire. Le vieux président-politicien et son ‘’conseiller financier’’ en particulier, passent des journées tranquilles alors que, dans tout autre démocratie qui se respecte, ils seraient aujourd’hui derrière les barreaux. Peut-être que, si l’IGE menait les mêmes investigations toujours à la SAR avec les derniers scandales qui s’y sont déroulés, ou les étendait au Prodac, à l’Agence de Régulation des Télécommunications et des postes (ARTP), etc., de nombreux autres gestionnaires de deniers publics seraient à Reubeuss à la place du Maire de Dakar ou, au moins, l’y rejoindraient.
Le lecteur se rend compte que je n’ai pas fait cas du Centre des Œuvres universitaires de Dakar (COUD), ni de celui de la Société nationale de la Poste où deux amis du président-politicien et respectivement responsables politiques à Thiès et à Ndioum font subir à nos deniers publics les pires misères, et sans frais. D’ici au 24 février 2019, eux et les autres responsables APR peuvent s’adonner aux pires brigandages financiers sans être inquiétés le moins du monde, le président-politicien ayant besoin de leur ‘générosité’’ pour être réélu dès le premier tour. Pendant, ce temps, le pauvre Khalifa Ababacar Sall, dont la condamnation en première instance sera, sauf miracle, confirmée le 30 août 2018, va continuer de croupir en prison. En tout cas, je ne souhaiterais pas être à la place du juge qui prendra cette grave décision, révélatrice d’une justice manifestement à deux vitesses, protégeant sans état d’âme Kumba am ndey, et martyrisant sans pitié le pauvre Kumba amul ndey.
Dakar le 29 août 2018
Mody Niang
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