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Oumar Ndiaye, magistrat à la cour des comptes: « Le Parlement n’a pas les moyens techniques pour contrôler le budget »

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L’architecture institutionnelle du Sénégal a à sa disposition une foule d’organes chargés de la surveillance sourcilleuse du budget : l’Inspection générale d’Etat (Ige) logée à la présidence de la République, la Cour des comptes et le Contrôle des opérations financières basés au ministère de l’Economie et des Finances. Mais aucun d’entre eux n’est rattaché au Parlement. Et pourtant, la loi organique du 15 octobre 2001 relative aux finances publiques stipule que le contrôle incombe au Parlement qui vote le budget et autorise son exécution. Car avant d’être une institution législative, le Parlement est d’abord une institution de contrôle. Dans cet entretien, le magistrat à la Cour des comptes, Oumar Ndiaye, donne son sentiment sur cette situation pour le moins complexe. Il se prononce aussi sur le travail de la Cour des comptes, dont les recommandations ne sont pas souvent suivies d’actes concrets. Entretien avec un homme sans esbroufe et avide de convaincre.

L’As : Le contrôle budgétaire est méconnu du grand public. Pouvez-vous nous dire en quoi il consiste et quels sont les différents corps de contrôle des deniers publics ?

Le budget de l’Etat subit des contrôles variables. La classification de ce contrôle-là peut se faire sous plusieurs angles. On peut la faire en se plaçant sous l’angle des organes qui interviennent dans ce contrôle. Dans ce cas-là, si l’organe relève de l’administration, vous aurez un contrôle en interne ou hiérarchique ; si celui-ci est indépendant, vous aurez un contrôle externe à l’administration.

Pour le contrôle interne à l’administration, il y a celui exercé par le Contrôleur des opérations financières (Cof) qui effectue un contrôle à priori sur les opérations budgétaires et les contrôles exercés par le président de la République à travers l’Inspection générale d’Etat (Ige). Il y a aussi le contrôle exercé par le ministre de l’Economie et des Finances à travers l’Inspection générale des finances (Igf). S’agissant des contrôles externes, il y a le Parlement qui est une institution indépendante de l’exécutif mais également le contrôle exercé par la Cour des comptes. Laquelle structure relève du pouvoir judicaire.

Est-ce que le Parlement, qui est au centre des décisions, n’est pas en quelque sorte désarmé, dans la mesure où il ne dispose d’aucun outil technique pour contrôler le budget ?

Autant on est en face d’une pluralité d’organes de contrôle qui tous sont rattachés à l’exécutif, autant le Parlement qui est détenteur du pouvoir financier ne dispose d’aucun organe rattaché à lui pour exercer cette mission. Il me semble donc qu’il y a, ici, une faiblesse du point de vue de l’appui à accorder au Parlement, et cela peut gêner l’exécution de sa mission de veille. Une mission qui précède d’ailleurs celle législative.

Dans ce cas, est-ce qu’il peut remplir efficacement sa mission ?

Au fond, c’est dans les Commissions qu’on peut se rendre compte de la qualité du Parlement, qui a beaucoup évolué de façon positive. Je le sais, car en ce qui me concerne, nous avons des relations de travail avec le Parlement. Cette législature s’est beaucoup améliorée, même si cela n’est pas perceptible lors des plénières qui sont malheureusement les seules instances médiatisées. La Commission des Finances a beaucoup évolué ces dernières années. Le Parlement a les moyens formels pour conduire efficacement cette mission, parce que la Constitution lui a prévu des pouvoirs réels. Je rappelle que le Parlement peut auditionner le Premier ministre, peut poser des questions orales et les ministres sont obligés par la loi de répondre. Formellement, le Parlement a les moyens constitutionnels et juridiques de remplir sa mission. Maintenant, est-ce que ces moyens sont utilisés efficacement ? Les avis restent partagés.

Dans ces conditions, peut-on penser à une transparence budgétaire ?

La transparence budgétaire est obligatoire. C’est-à-dire qu’il y a des procédures qui sont prévues par la loi. Celle-ci dit qu’à la fin de la gestion, au bout d’un certain délai, les gestionnaires sont obligés de rendre compte au Parlement. Il en est de même pour les comptables publics qui manient les deniers publics. Au bout d’un certain délai, ils doivent déposer leurs bilans auprès de la Cour des comptes. Donc, il y a un dispositif en place pour rendre de droit la reddition des comptes.

Le Partenariat budgétaire international (Ibp) avait pourtant épinglé le Sénégal, pour manque de transparence et de responsabilité du gouvernement. Votre commentaire ?

Oui, cela est une revendication de la société civile. Elle demande que les rapports produits par les différents organes de contrôle soient portés à la connaissance du peuple. Pour ce qui est de la Cour des comptes, je rappelle que la loi organique lui fait obligation de produire un rapport public, dans lequel vous avez une concentration des grandes observations durant une certaine période.

Mais la Cour des comptes en elle-même est handicapée par un manque d’effectifs compte tenu de ses taches. Avez-vous les moyens humains de faire convenablement votre travail ?

Vous soulevez là une question pour laquelle la Cour des comptes se fait des soucis. Au bout de quelques années de fonctionnement, la Cour des comptes a constaté que dans la loi qui la régit, il y a quelques difficultés qui peuvent plomber sa production. Et depuis 2006, la Cour a déposé auprès du gouvernement un projet de réforme, pour faire en sorte que ces goulots qui sont inhérents à la loi puissent être levés. Jusqu’ici, nous attendons, nous n’avons pas eu encore une réponse favorable. Par ailleurs, la Cour des comptes était dans des locaux exigus. Il y a des limites à l’occupation, à telle enseigne que nous n’avons pas procédé à des recrutements depuis quelques années. Evidemment, tout cela ne participe pas à la facilitation de notre travail.

Autre problème constaté, la Cour des comptes formule souvent des recommandations pratiques ; mais celles-ci sont rarement appliquées…

Nous formulons des recommandations à l’endroit des autorités en charge des organismes que nous contrôlons. Pour ce qui est du ministère des Finances, des recommandations sont intégrées à tel point qu’aujourd’hui dans les documents qu’il élabore pour accompagner le projet de loi de règlement, il y a beaucoup d’améliorations. Bien entendu, il y a des résistances ailleurs. Bien évidemment, la Cour, constatant la persistance des mêmes dysfonctionnements, continuera à faire ses suggestions.

En 2008 les dépenses extrabudgétaires avaient défrayé la chronique. Avec le nouveau dispositif de contrôle, pensez-vous que l’exécutif ne va plus retomber dans ces travers ?

Il y a toutes les raisons de croire que les dépassements budgétaires sont derrière nous. Du côté de nos partenaires extérieurs, le droit de regard s’est accru. Au niveau intérieur, le contrôle a été accentué. Je crois que ces deux facteurs combinés devraient permettre que cela ne se reproduise plus.

Entretien réalisé par Papa Ismaila KEITA

lasquotiidien.info

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