Coordonnateur du Parti démocratique sénégalais depuis la perte du pouvoir en 2012, Oumar Sarr peine à rassembler. Très peu doué en communication orale comme gestuelle, son manque de charisme est, selon ses adversaires, son principal défaut. Peint comme un homme têtu, froid, téméraire, inaccessible et solitaire, ce Docteur en informatique, membre du SAES, est pourtant un brillant intellectuel. Abdoulaye Wade disait de lui : ‘’avec Oumar Sarr, on construit le Sénégal dans le concret et dans l’abstrait’’. Mais quand Me Wade fait de lui le patron du parti, beaucoup y voient une manière de chauffer le fauteuil en attendant le retour du prince Karim.
La transition aura été donc de courte durée pour Cheikh Tidiane Sy. Oumar Sarr retrouve son fauteuil de coordonnateur du Parti démocratique Sénégalais (Pds) après avoir bénéficié d’une liberté provisoire. Mais le lion du Walo n’entend apparemment pas changer de stratégie. A peine le dernier pas qui le menait hors de la prison franchi, il se signale à nouveau au bon souvenir du leader de l’Alliance pour la République (Apr). ‘’Les conditions étaient très dures. Je pense que c’est bien que tous les responsables politiques passent par là. C’est dommage que le Président Macky Sall ne soit pas déjà passé par là’’, lance-t-il. Les piques ne font que commencer.
A la perte du pouvoir par le Pds en 2012, Abdoulaye Wade qui n’entend pas céder la tête du parti nomme Oumar Sarr coordonnateur, presque à la surprise générale. S’il n’était pas le dernier de la liste des légitimes prétendants, l’enfant de Dagana était loin d’être en première ligne parmi les responsables les plus en vue. Et comme à son habitude, Wade a surpris son monde. Mais la nomination d’Oumar Sarr n’est pas sans conséquence. Moussa Sy, le maire des Parcelles Assainies, a été le premier à se dresser contre la décision, critiquant ouvertement le Pape du Sopi. Aliou Sow lui emboîte le pas, affirmant publiquement qu’il ne sera pas dirigé par Oumar Sarr. D’autres ont pris leurs distances sans trop de commentaires. Qu’il suffise de citer Habib Sy, Abdoulaye Baldé, Bécaye Diop, Mamadou Seck…. L’homme de confiance de Wade est plus que jamais rejeté par une bonne partie des responsables libéraux.
Bien que souriant dans les médias, Oumar Sarr est peint comme un homme froid. ‘’Il peut dépasser des gens sans les saluer’’, regrette un responsable du Pds. Bien que le qualifiant de courtois, un proche le trouve inaccessible. ‘’Il doit travailler à pouvoir parler à tout le monde’’, lui reproche-t-il. C’est sans doute ce qui explique qu’il soit aussi solitaire dans ses décisions. Un proche collaborateur et un adversaire se retrouvent sur le fait qu’il est inflexible dans ses convictions.
Cependant, le principal reproche fait à Oumar Sarr est qu’il manque de charisme et de leadership. Doté d’une forte carrure, le teint noir foncé et le regard inexpressif, ce fidèle d’Abdoulaye Wade traîne le handicap d’une langue nouée. Il a de vrais problèmes phonatoires, et il ne dégage pas la classe. ‘’Si être charismatique veut dire savoir mentir, ou parler dans le vent, il ne l’est pas’’, rétorque un de ses proches collaborateurs. Qu’à cela ne tienne : ‘’dans le contexte sénégalais (et même partout ailleurs) où l’éloquence est une donnée essentielle en politique, quelqu’un qui bafouille n’est pas forcément le bon chevalier’’, lui retournent ses adversaires et certains observateurs.
Pas assez de recul sur les évènements
Le maire de Dagana est sans doute conscient de ses limites sur ce point. Alors, il s’est trouvé une stratégie de compensation. A défaut de convaincre par le beau phrasé, le trotskiste utilise les méthodes de gauche. Il se signale dans les attaques intempestives contre le régime et multiplie les provocations. Etant parmi les principales cibles du pouvoir dans la traque des biens supposés mal acquis, l’ancien ministre de l’Habitat (maître d’œuvre du plan Jaxaay) a vu son immunité parlementaire très tôt levée par ses collègues députés de la majorité présidentielle. Soupçonné d’enrichissement illicite, il est interdit de sortie du territoire national.
Ayant milité dans les partis de gauche lorsqu’il était étudiant en France, Oumar Sarr sait comment défier l’autorité. Il décide alors de se rendre en Mauritanie, en dépit de l’interdiction. Et pour prouver qu’il s’agissait réellement d’une bravade, il s’exprime de là-bas pour dire qu’il peut entrer et sortir quand il veut. En bon récidiviste, il déchirera plus tard l’arrêté préfectoral interdisant une manifestation de l’opposition. Sans compter les accusations de mysticisme proférées contre le président de la République Macky Sall ; et tout récemment la déclaration qui lui a valu une garde à vue de 5 semaines. Déclaration selon laquelle Macky Sall a financé sa campagne de 2012 avec ‘’l’argent sale, l’argent de la drogue et de la corruption’’.
En résumé, selon l’expression d’un interlocuteur, ‘’ce qu’il ne peut pas dire, il essaie de le faire’’. Or, en politique, les actes ne peuvent pas se substituer à la parole. Ce qui le conduit souvent à des excès. En tant que leader, Oumar Sarr ne prend pas assez de recul sur les évènements. Trahi par son passé de militant trotskyste, et ‘’condamné’’ peut-être par le gage de fidélité qu’il faut sans cesse renouveler, il cogne à tout va. Quand Souleymane Ndéné Ndiaye sort du parti, il réagit en ces termes : ‘’Il est sorti par la petite porte de notre histoire.’’ Lorsque Modou Diagne Fada et Cie ont publié leur mémorandum, il donne son point de vue sur sa page Facebook. D’abord des observations de forme, avec des coquilles et des citations, puis il en fait une affaire de personne.
‘’Un responsable politique qui n’est pas de notre parti m’envoie un message dans lequel il m’écrit : « on vient de m’informer que Fada va quitter le Pds, il a été corrompu pour décapiter le Pds!!! Une autre source m’aurait dit que Macky le fait chanter parce que Fada aurait à son actif des biens cachés y compris à Berlin, il aurait surfacturé par du travail fictif du personnel sanitaire lorsqu’il était au ministère de la Santé.’’ Des attaques personnelles donc à la place des idées. Dans l’action aussi, il est sur tous les fronts. Ce qui lui vaut une arrestation à la place de l’Obélisque et surtout une veste en lambeaux à la sortie d’une bagarre de chiffonniers à l’Assemblée nationale, le 2 novembre 2015.
Pourtant, dans une autre vie purement technocratique, Oumar Sarr aurait été plus utile sans doute pour le Sénégal. Né le 12 janvier 1958, l’universitaire inspire respect sur le plan académique. Très peu raffiné, dans l’habillement comme dans le gestuel, il n’en est pas moins un brillant intellectuel. D’ailleurs, il est l’un des tous premiers Docteurs en informatique au Sénégal, pour ne pas dire le premier. Ses camarades de classe l’ont surnommé ‘’grosse tête’’, à la fois pour le volume de son crane et la vivacité de ses neurones. Après des études militaires au Burkina Faso et un baccalauréat série C mention bien, il se rend en France. De 1978 à 1981, ce mélomane, fan de Mozart et de Pape & Cheikh, est étudiant à L’Ecole nationale supérieure d’Informatique pour l’Industrie et l’Entreprise (ENSIIE).
L’éminence grise de Wade
Mais auparavant, il s’est penché sur les mathématiques supérieures puis mathématiques spéciales au lycée Thiers de Marseille (1976-1978). Une fois le diplôme d’ingénieur obtenu en juillet 1981 (mention très bien), il se lance à la recherche du doctorat à l’université Paris 6. Sa soutenance a eu lieu en décembre 1985. Et il s’en est sorti avec la mention très honorable, si l’on se fie à son CV. Durant cette période, Oumar Sarr s’était fortement engagé dans le milieu associatif. Il a intégré l’Association des Etudiants Sénégalais en France (AESF) et la Fédération des étudiants d’Afrique noire vivant en France dès son arrivée en 1976. Il a même eu à diriger la première organisation susnommée entre 1981 et 1985.
Enseignant à l’Université de Paris 12 Créteil puis consultant à l’aéroport de cette même ville, Oumar Sarr a été professeur permanent à l’Institut africain d’Informatique au Gabon (1989-1990). Revenu au Sénégal en 1990, il intègre le département génie informatique de l’Ecole Supérieure Polytechnique de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar et devient membre du SAES la même année.
Toute cette expertise scientifique, il la mettra au service du Pds, la formation politique de Wade qu’il dit avoir intégrée en 1993/94. Retenons en passant qu’il a fait la Ligue communiste des travailleurs (LCT) avec les Doudou Sarr, Bamba Ndiaye (MSU) et Mimi Touré, son ancienne épouse. Au Pds, il est présenté comme étant parmi ceux qui ont rendu transparent le fichier électoral, en dénichant les méthodes de fraudes qu’utilisait le Parti socialiste pour truquer les élections. Sur le plan politique, alors que le Pds peinait à contrôler une collectivité locale, Oumar Sarr a créé l’exploit. Il est le premier responsable à gagner une mairie : celle de Dagana, de surcroît ville du premier ministre de l’époque Habib Thiam. C’était à l’issue des Locales de 1996 où il s’est présenté avec un mouvement dénommé ‘’Taxaw sopi Dagana’’.
Ce mérite politique et intellectuel sera récompensé à l’accession du pouvoir. Oumar Sarr est dans le premier gouvernement de l’alternance en tant que ministre de la Pêche. A peine un an, il est limogé pour être nommé directeur général de la SICAP jusqu’en 2005. C’est que Oumar Sarr est dit-on plus un homme de dossier. Il a la réputation d’être très efficace dans l’ombre ; un adepte de la documentation et de la mise en ordre des idées. ‘’Du point de vue professionnel, c’est un grand monsieur, un homme d’Etat’’, confie un ancien collaborateur qui a travaillé avec lui dans l’administration.
Coordonnateur d’attente
C’est ce qui fait sans doute qu’il soit impliqué dans tous les dossiers de Wade, particulièrement dans la préparation. Un de ses collaborateurs se souvient d’avoir entendu Abdoulaye Wade dire, à Rosse Béthio, ‘’qu’avec Omar Sarr, on construit le Sénégal dans le concret et dans l’abstrait’’. Une expression que notre interlocuteur dit n’avoir pas saisie. ‘’Une fois au bureau, confie-t-il, je lui demande la signification. Il me dit que c’est parce qu’il joue un rôle important dans la conception et la réalisation des projets du Président Wade’’.
En juin 2007, Wade élargit ses pouvoirs. Il est désormais à la tête du département de l’Urbanisme, de l’Habitat et de La Construction. L’ascension continue, et en 2009, de nouvelles attributions (l’Hydraulique et l’Assainissement) viennent s’ajouter à son ministère.
Cette série de promotions connaît son apogée en 2012, lorsque le chargé des élections est désigné secrétaire général adjoint, coordonnateur du parti. Autrement, le numéro 2 de fait du Pds. Pourtant, ils sont nombreux, camarades de parti, adversaires, et observateurs qui ne voient en lui qu’un président dans un régime parlementaire, c’est-à-dire chargé d’inaugurer les chrysanthèmes. Les vocables et expressions sont légion pour présenter son rôle. ‘’Coordonnateur d’attente’’, ‘’patron par transition’’, ‘’marionnette’’, ‘’intérimaire’’… bref, en un mot comme en plusieurs, il est considéré comme celui qui a pour mission de chauffer le fauteuil en attendant que l’héritier de Wade, le prince Karim soit en mesure de s’asseoir sur son trône. En attendant, Oumar le téméraire est sans doute en train de réfléchir sur les contours et formes de son prochain coup d’éclat.
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