1-L’espace confrérique sénégalais : l’héritage d’un réservoir électoral et politique
Il urge de rappeler que l’espace confrérique sénégalais n’ajamais cessé d’être un réservoir électoral et politique. De surcroît, il a toujours été l’objet d’attraction et de séduction des hommes politiques et de politiciens de tous les genres et de tous les ordres. En effet, de Léopold Sédar Senghor à Macky Sall en passant par Abdou Diouf et Abdoulaye Wade, la conquête du pouvoir s’est toujours faite dans un processus d’alliances et de contre-alliances confrériques dont certains des chefs passent pour de vrais régulateurs sociaux et d’autres pour de vrais arnaqueurs politiques et/ou imposteurs.
Étant bien conscient du poids électoral que ces chefs détiennent, presque tous ces anciens présidents du Sénégal (y compris l’actuel) ont tout fait pour se tailler la part du lion dans cesgrands réservoirs électoraux que constituent Touba, Tivaouaone et bien d’autres foyers confrériques du Sénégal.
N’en déplaise au qu’en-dira-t-on, les priorités de développement sont souvent orientées vers ces foyers religieuxau détriment d’autres zones rurales du Sénégal où les structures de santé manquent de façon criarde entraînant souvent de morts de femmes enceintes en cours de route vers de modestes centres sanitaires; où l’accès à l’eau potable devient un problèmerécurrent pour ne pas dire quotidien, et où les routes sont impraticables voire inexistantes. À ce tableau sombre dressé ci-dessus vient malheureusement se greffer le fait d’une complicitépolitique entre politiciens et certains chefs confrériques qui, monnayant la foi sur l’autel des luxes des quatre V tels que voiture-villa –virement-visa, donnent des consignes de votegagnant-gagnant axées sur la personne et non sur le trio d’uneclaire idéologie politique, d’un programme solide de gouvernement et/ou d’un projet social inclusif et égalitaire. Par voie de conséquence, presque toutes les élections présidentielles jalonnant toute l’histoire politique du Sénégal, ont souvent pris des relents confrériques où la consigne de vote donnée par certains chefs confrériques, sans égards aux choix politiques de leurs disciples, constitue une violation flagrante de la liberté de choix individuel du citoyen et de la citoyenne, liberté souventsacrifiée au nom de fausses promesses d’une vie meilleure d’ici-bas et à l’au-delà. Contre ces vendeurs d’illusion et acheteurs de conscience, les propos de Cheikhoul Khadim sont clairs et tombent comme un couperet : « […] Moi, Cheikhoul Khadim, jene connais pas de paradis céleste où l’Homme pourrait entrer sans avoir, au préalable, eu une solide foi en Dieu, respecté les préceptes de l’Islam et accompli de bonnes œuvres sur terre, ce paradis n’existe pas chez-moi …mais quiconque le trouve ailleurs il ou elle peut y aller librement »
2-L’espace confrérique sénégalais : Macky et ses premières tentatives de reformes
Dès les premières heures de l’élection du Président Macky Sall, ce dernier avait émis des propos qui lui auraient mis en rupture de ban avec les chefs confrériques du Sénégal. Nous ne sommes pas d’avis avec la ligne politique tracée par Président, Macky Sall, mais sommes d’accord de tout cœur avec ses propos lorsqu’il déclara que : « les marabouts sont des citoyens comme tout le monde ». Il est évident que nous ne saurons nibien comprendre le sous-jacent de tels propos ni prendre toute la mesure de sa portée, mais pouvons espérer y déceler une volontémanifeste de la part du Président de séparer la sphère spirituelle et la sphère temporelle, de souligner la pertinence d’une société républicaine sénégalaise égalitaire où tous les citoyens jouissent des mêmes droits de liberté d’expression et de culte.
Naturellement, les propos du Président, qui ont mis mille dans plusieurs foyers religieux, furent des pilules discursives assez amères voire difficiles à faire avaler par une bonne franche de la population sénégalaise où certains chefs de confrérie sont souvent perçus comme de simples guides spirituels mais aussi de régulateurs sociaux. En toute logique, rien n’interdirait que ces chefs religieux et confrériques exercent leurs droits civiques en tout temps et en toute circonstance, mais ils ne sauraient jamais confondre la sphère républicaine où vivent musulmans, chrétiens, agnostiques et athées avec la sphère confrérique plus réduite à une franche de la population sénégalaise donnée. En d’autres termes, la non-séparation de ces deux sphères dans la marche de l’histoire politique du Sénégal a été toujours un dangereux piège dans lequel le leader de Pastef semblerait bien tomber aujourd’hui.
3-L’espace confrérique sénégalais : Ousmane Sonko piégé? ou im/maturité politique ?
?Ayant bien construit sa narrative politique autour des failles d’un système politique sénégalais, les récentes visites du leader de Pastef aux chefs confrériques et sa complicité avec les chefs religieux méritent de profondes réflexions. Ironie du sort, les actes que le leader du Pastef semble bien poser aujourd’hui dans une tentative d’investir l’espace confrérique trahissent bien les principes de l’homme dès les premières heures de son ascension politique quand il écrivit dans son ouvrage, Solutions, où il affirme que : « […] j’ai grandi dans cet environnement, en musulman convaincu et spirituellement décomplexé. Je ne suis pas né et je n’ai pas grandi tidiane, mouride, layenne, niassene , ibadou mais simplement musulman ». En voulant désormais poser en grand Talibé mouride et ami des chefs confrériques et non en simple musulman comme il l’avait si pertinemment indiqué dans son ouvrage, Sonko prête le flanc pour se faire critiquer pour avoir jeté l’opprobre sur sa cohérence et clairvoyance politique.Piège ? Stratégie politique ? Immaturité politique ?
Nous ne saurons le savoir sans sonder son cœur, mais lasomme des actes que le leader de Pastef a posés au cours des dernières semaines dans ses déplacements et nombreuses prisesde parole dans les foyers religieux sont aux antipodes des actes républicains de quelqu’un qui aurait la prétention de briquer le mandat de la Présidence de République du Sénégal. Nonobstant, le fait que le vote au Sénégal a toujours pris les allures d’un vote ethnique, géographique, confrérique voire religieux, Sonko devrait voler plus haut que ces prédécesseurs. Autrement dit, il devait savoir que la République ne se négocie pas et quiconque prétendrait l’incarner, devrait être au-delà de toute tentative de faire croire qu’elle est entre les mains d’une confrérie ou d’une religion ou d’un groupe d’individus même sicertains sénégalais aiment bien le penser pour se faire bonne conscience en leur foi. Ayant bâti sa candidature sur une idéologie politique d’antisystème, il ne devrait pas tomber dans le piège de perpétrer les résidus d’une élite d’un système politique sénégalais qui a longtemps compté sur le vote confrérique pour se faire élire, même si cela semble être la norme politique au Sénégal. Si certains diraient que le climat actuel de la politique sénégalaise lui impose de faire comme sesprédécesseurs; d’autres diront que la République est au-dessus de tout et qu’il doit imposer sa belle marque de fabriquepolitique et relever le grand défi de rassembler les morceaux épars de notre chère République prise en otage dans un magma de populisme religieux qui ne dit pas son nom.
En définitive, le candidat Sonko doit repenser sa stratégie politique et reprendre le fil de sa narrative pour ne s’adressernon seulement à une partie de la population sénégalaise, confrérique de surcroît, mais pour prendre langues aussi avectoutes les franches de la population sénégalaise dans toute sa diversité, musulmane, catholique, agnostique, athée et que sais-je encore !
Vive la République sénégalaise
Dr. Moustapha Fall