Ousmane Wade, claviériste et manager du mythique groupe Missal, brûlait d’impatience pour s’adresser aux fans. Au bout du fil, sa voix joyeuse et sa gaieté matinale ne trompent nullement sur son désir de se prononcer sur tout. Il aborde les raisons qui expliquent le mutisme et la rareté des prestations de cette formation musicale sur la scène sénégalaise. Sans détour, Ousmane Wade revient sur les péripéties de leurs aventures hors du pays. Il partage aussi, sa vision sur les projets culturels entamés par le nouveau ministre sénégalais de la Culture…
Depuis un bon bout de temps on n’entend plus le groupe Missal. Vous existez toujours ?
Oui bien sûr ! Le groupe existe toujours, sauf qu’on n’est plus dans le format de gestion au quotidien. En fait, il n’y a plus de raison faire une gestion quotidienne. On a un coordonnateur et une équipe de gestion, et on ne s’engage que sur des projets bien ficelés et rentables. Vous savez, quand on est un groupe comme le nôtre, pendant des années on le porte dans le Underground, on le fait pousser, on le fait grandir, c’est beaucoup d’efforts, un montage financier et on investit toute sa vie durant. Mais évidemment, il arrive un moment où les choses peuvent marcher d’elles-mêmes. Et voilà, je pense qu’on est arrivé à ce stade là (…).
Votre dernière scène remonte à quand ?
Ça remonte à peu près à un an. Ici à Paris
Il faut reconnaître aussi que le groupe Missal n’offre plus de nouvelles productions ?
En effet ! Mais la dernière production qu’on a eu à faire, est disponible au Sénégal. Sauf que vous conviendrez avec moi que la vente de supports, comme le cd et autres, est devenue pratiquement morte. Donc, nous existons maintenant sur des plateformes de vente comme internet. Notre dernier album est disponible sur le net.
Le Missal est également aujourd’hui un groupe disloqué. Car certains membres font carrière à part. C’est le cas de Weuz…
Non ! (il insiste) Ce n’est pas parce que certains font une carrière solo que ça se disloque. Tout au contraire, je pense qu’on peut permettre à tout un chacun tant que la vie est là, de pouvoir mener à bien ses propres projets. Vous savez, quand on vit en groupe, on fait beaucoup de concessions, on peut tous se mettre d’accord sur l’essentiel. Mais il y a d’autres qui ont des orientations différentes qu’ils voudraient bien concrétiser. Cela n’est pour autant pas une mauvaise chose. Au contraire. Actuellement, il y a Samba Laobé qui est sur l’un de ses projets dont le clip commence à être diffusé depuis la semaine dernière. (Ndlr : l’entretien a eu lieu la dernière semaine du mois de novembre 2013). Il y a un autre projet d’album jazz qu’on va réaliser d’ici quelques mois, et d’autres aussi ont des projets soit dans la musique, soit dans d’autres domaines. Cela n’induit pas forcément que le groupe s’est disloqué.
Vous sentez-vous encore impliqués dans le show-biz dakarois ?
Je pense qu’il y a des artistes étrangers qui ne sont pas sénégalais et qui existent dans le milieu musical sénégalais. Je ne vois pas un groupe sénégalais, même s’il vit en dehors du Sénégal, qui ne soit pas du milieu. Nous ne sommes plus disposés à revenir au Sénégal dans les mêmes conditions que nous le faisions avant parce qu’en fait nous, la particularité de notre groupe, c’est que nous nous sommes toujours autoproduits. Il nous est rarement arrivé que soyons engagés au Sénégal par un promoteur privé, ou une structure privée… Nous sommes ouverts à toutes sortes de propositions, auxquelles nous répondrons si et seulement si, c’est un projet rentable, viable, et que nous ne perdions pas de l’argent.
Toutefois, est-ce que au sein du groupe, vous envisagez prochainement de revenir faire un concert pour les fans du Missal qui sont ici au Sénégal ?
Oui ! Je pense que nous, notre public auquel nous tenons le plus, c’est le public que nous avons au Sénégal. Nous avons toujours envie de venir jouer, mais comme je vous l’ai dit tantôt, nous voulons que toutes les conditions soient réunies.
Il y a un débat au Sénégal sur l’amélioration de l’environnement du milieu des artistes… Est-ce que vous vous sentez impliqués…?
Si vous avez bien suivi et si vous revoyez bien les interviews que nous avons eu à faire en 2010, quand nous avons sorti le dernier album du groupe en 2009 et que nous sommes venus faire la promo, notre ambition majeure, c’était de participer à l’amélioration des conditions d’existence en général des artistes sénégalais. Mais je pense que nous ne nous inscrivons pas forcément dans les déclarations que nous entendons de part et d’autre, de gens qui pensent à la base, mais qui ne comprennent même pas quels seraient les rôles dévolus au Bsda ou à la future société de gestion collective. Je pense que nous, en tout cas au niveau de notre génération, sommes au courant d’un combat qui est mené à la fin des années 90 pour arriver aujourd’hui à ce qui est la nouvelle loi sur les droits d’auteurs et droits et voisins. Et je pense qu’il est temps que toutes ces agitations tous azimuts cessent. Parce que ce n’est pas l’essentiel ! Je pense que l’essentiel c’est d’avoir des solutions structurelles pour améliorer les conditions de vie des artistes. Personnellement, j’entends toutes ces agitations qui sont au Sénégal.
Vous parlez de quelles agitations ?
Je suis personnellement impliqué dans ce combat pour l’amélioration des conditions d’existence des artistes en tant que membre de l’Ams, et j’ai activement participé à la nouvelle loi, à la formation de mes collègues artistes au niveau du Sénégal. Donc je sais de quoi je parle. Il y a eu des agitations, des lynchages médiatiques, sur telle ou telle personne. Et tout ceci ne fait que nous retarder. Surtout que tout cela ne repose vraiment sur aucune motivation logique. J’ai entendu beaucoup d’amalgames et d‘agitations surtout venant de la part de l’actuel directeur Mounirou Sy qui se permet de s’attaquer à Aziz Dieng. Je laisse à grand Aziz le soin de se défendre lui-même. Mais j’affirme d’abord que la nomination de Mounirou est totalement illégale car dans les textes, qui régissent le Bsda, un auteur ne peut diriger cette structure. Or, Mounirou Sy est auteur de l’ouvrage : «La protection constitutionnelle des droits fondamentaux en Afrique.» Il faut donc se poser la question sur la motivation de l’ancien ministre de la Culture Youssou Ndour, qui l’a nommé. C’est une nomination sans fondement légal… Je regrette beaucoup que la nomination d’un artiste comme Youssou Ndour en tant que ministre de la culture n’ait pas servi à régler définitivement ces problèmes. En lieu et place, nous avons eu des nominations aussi saugrenues les unes que les autres. Son passage comme ministre aurait été très bénéfique s’il s’était attaqué aux vrais problèmes, à ces dossiers qui étaient déjà sur la table de ses prédécesseurs. La vérité est que ceux que nous appelons nos têtes d’affiche ont beaucoup contribué à la paupérisation du métier de musicien, car l’exemple qui le confirme est qu’ils se plient aux lois et règlements quand ils engagent des musiciens en Europe avec un cachet déclaré, assurance, cotisation, etc., alors que quand il s’agit des musiciens qui ont galéré avec eux, qu’ils aiment bien s’approprier, ce sont des cachets de misère qu’ils leur imposent et juste parce qu’il n’y a pas de loi qui encadre l’exercice de ce métier.
Est-ce qu’il vous arrive de parler entre musiciens sénégalais de l’étranger de ces sujets-là et qu’est-ce qui en ressort ?
Oui ! En fait nous en parlons, nous sommes conscients, nous les évoquons particulièrement quand nous nous croisons. Il y a des artistes sénégalais qui vivent en France et un peu partout en Europe, et nous avons l’occasion quand nous nous parlons, de discuter énormément sur les conditions de vie des artistes, de la qualité de notre musique, des perspectives que nous devrions offrir à notre musique qui est notre métier en général. Et évidement, il en ressort qu’ils ont tous cette envie de contribuer à l’amélioration, au changement radical des conditions de vie et d’existence et de considération, parce que nous savons comment nous vivons notre métier ici, comment ça se passe ici. Le souhait aujourd’hui serait que la même chose ou plus, puisse être restaurée au Sénégal et que les artistes, qui vivent pleinement au Sénégal, puissent bénéficier de meilleures conditions d’existence. Beaucoup de gens aujourd’hui maîtrisent tout ce qui tourne autour des droits et des statuts des artistes. Ils ont envie de contribuer à ce que cela marche. Et je pense qu’une réflexion est en train d’être menée pour qu’il y ait une cellule de l’Ams de la diaspora. Les démarches sont en cours pour mettre cela en place… Il y a beaucoup de projets qui sont en train d’être menés au Sénégal par des artistes sénégalais qui vivent ici, et dont le but est d’arriver à un rôle dans cette structuration qui est en train de se faire. Après, je pense que le plus important, c’est qu’est-ce que la politique culturelle va apporter au niveau des artistes eux-mêmes, pour qu’ils puissent prendre en charge ces problématiques-là.
Parlant de politique culturelle, est-ce que vous la sentez ? Est-ce que vous recevez par exemple le soutien de l’Etat sénégalais par rapport à vos projets culturels ?
Non (il insiste) ! Je pense que ce serait trop demander à l’Etat sénégalais de contribuer aux activités artistiques que nous, nous menons ici en Europe. Je pense qu’un pays comme la France, comme un partout en Europe d’ailleurs, est très bien organisée. Ils ont une politique culturelle dans laquelle, même les artistes qui sont d’autres origines, ont leur place… Personnellement, je dirais que l’élan que je ressens avec l’actuel pouvoir et surtout le nouveau ministre de la Culture (Abdoul Aziz Mbaye), l’envie que je sens à leur côté me permettent de croire qu’ils veulent mettre en place ces choses. Je connais quelques personnes qui sont autour du ministre, qui ont une vision nette, claire et précise pour une bonne politique culturelle.
C’est pour quand le retour sur scène du Missal au Sénégal ?
Le retour du Missal c’est trop dire. Nous, nous considérons que nous ne sommes jamais partis. Nous considérons que nous sommes toujours là. Après, pour que nous puissions nous produire dans notre pays, il y a des discussions qui sont en train d’être menées avec quelques personnes au Sénégal. Nous espérons en tout cas, dans le courant de 2014, être au Sénégal.
Une pensée pour vos fans au Sénégal ?
Nous sommes contents qu’ils continuent de nous aimer, qu’ils répondent toujours à chaque fois que nous sommes là, ou que nous avons sorti un album. Nous, notre volonté fondamentale, c’est de les satisfaire du mieux que nous pourrons. Nous sommes en train de chercher les voies et moyens pour être le plus présents au Sénégal. Je demande à tous nos fans qu’ils nous accompagnent, nous et les musiciens en général, dans les différentes initiatives qui sont en train d’être menées pour amener le public à bien consommer par internet avec les nouvelles technologies de diffusion.
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