Après plus d’une heure de route, Mbini, situé à une cinquantaine de Km de Bata, offre son visage champêtre et ses chantiers à la vue du visiteur et sur l’un, Cissé et Touré, deux ouvriers sénégalais du bâtiment se chambrent comme s’ils étaient encore dans leur pays natal où ils sont cousins à plaisanterie.
Plusieurs années après le passage de Pierre Goudiaby Atepa dans les années 90 et qui a érigé le plan directeur de Malabo, la capitale équato-guinéenne et initié beaucoup de chantiers dans ce pays, l’expertise sénégalaise dans les BTP occupe une place enviable même si elle connait de plus en plus la concurrence des entreprises égyptiennes et chinoises.
Ces deux jeunes ouvriers qui travaillent ‘’et gagnent bien leur vie’’ sur cette station balnéaire donnent une idée de la Guinée Equatoriale, ‘’un Eldorado que tout le monde veut exploiter à son propre compte’’.
Papis Badji, président des Sénégalais de Bata arrivé à la fin des années dans les bagages de Atepa Technologies, reconnait que ce pays ‘’est devenu un Eldorado’’.
‘’C’est un chantier ouvert où les salaires sont sans commune mesure avec ce qui se passe dans les autres pays de la sous-région’’, a indiqué le géomètre de formation qui a fondé sa propre entreprise.
Jeunes cadres Cheikh Sarr et Mor Sarata Coumé ne disent pas le contraire estimant que quand on veut, on peut faire de grandes choses dans ce pays où l’expertise est toujours recherchée.
‘’Les ressources de ce pays dépassent de loin l’expertise locale et il a donc besoin de la main d’œuvre et du savoir-faire des cadres venus de tous les pays’’, indiqué M. Coumé, ancien pensionnaire de l’Ecole supérieure polytechnique (ESP) de Dakar.
Arrivé dans les bagages d’une multinationale reconnue dans le contrôle en BTP, il a lui aussi érigé sa propre entreprise de droit équato-guinéen pour profiter du boom économique du nouvel émirat pétrolier.
Si les affaires ont été ralenties par la CAN 2012, le jeune cadre qui a travaillé sur le chantier du stade de Bata et de la nouvelle aérogare de la capitale économique, attend fiévreusement les nouveaux chantiers de Mogomo, le village natal du président équato-guinéen.
‘’C’est une nouvelle ville avec toutes ses commodités et tout le monde est dans les starting-blocks’’, dit-il.
Cheikh Sarr, ce Sénégalais d’origine qui est arrivé ‘’sur un coup de tête’’ en Guinée Equatoriale, ‘’a beaucoup galéré avant de voir le bout du tunnel’’.
‘’Je ne dis pas qu’il faut se baisser pour ramasser les richesses, mais quand on est entreprenant, on a des idées et on respecte les lois du pays, il n’y a pas de raison que ça ne marche pas’’, a indiqué le jeune chef d’entreprise.
Le propriétaire du restaurant ‘’la Fourchette’’ situé à quelques mètres du palais présidentiel de Bata, signe d’une réussite palpable, rappelle fièrement avoir pavé la plus belle avenue de cette ville située au bord de l’océan.
Ces trois jeunes cadres qui avaient mis entre parenthèses leurs activités pour se mettre à la disposition de la délégation sénégalaise pendant la CAN 2012, s’ils peuvent se prévaloir d’un success story, reconnaissent qu’il y a des drames sociaux vécus par certains de leurs compatriotes.
‘’Ce n’est pas évident pour tout le monde et vous avez remarqué que récemment, certains ont été évacués par l’avion de commandement’’, a indiqué M. Coumé qui vit avec sa famille dans une villa cossue située sur les hauteurs de Bata.
Cet Eldorado qu’est la Guinée Equatoriale, ajoute-t-il, ne s’apprivoise pas facilement et la plupart des échecs s’expliquent par le manque de formation.
Sous le couvert de l’anonymat, des ouvriers du bâtiment critiquent pêle-mêle le harcèlement et la corruption de la police, la difficulté de disposer des papiers pour s’établir dans ce pays.
‘’Pour une raison ou pour une autre, on peut te rafler et te demander des sommes faramineuses sous peine de se voir expulser’’, indique ce quadragénaire arrivé en Guinée Equatoriale au début des années 2000.
Pire, poursuit-il, quand un citoyen sénégalais fait une faute, il y a souvent des rafles et tous les ressortissants sénégalais peuvent-être suspectés tant que le tort fait n’est pas réparé, ajoute un autre qui a quitté le Gabon pour venir faire fortune en Guinée Equatoriale.
D’ailleurs, à l’image de ce ressortissant de Thiès, une vague de plus en plus importante de Sénégalais vivant au Gabon et au Cameroun, font souvent le saut en Guinée Equatoriale devenue plus attractive.
C’est le cas de Kaba Ganési et de Samba Coulibaly qui vivent depuis quelques temps à Bata aidés dans leur installation par des proches établis dans ce pays depuis fort longtemps.
Sous la couverture de venir supporter les Lions du Sénégal, les autorités consulaires sénégalaises craignent que des vagues de supporters venus du Gabon et de Guinée Equatoriale s’installent définitivement.
Souvent, ce sont ces clandestins qui créent le plus de soucis aux diplomates et responsables sénégalais, apprend-on de la bouche des responsables des Associations.
‘’Ils refusent systématiquement de se faire enregistrer et tentent de vivre aux marges des lois de ce pays qui peut paraître très fermé à première vue d’œil’’, reconnait Papis Badji, le président des Sénégalais à Bata, bien établi dans ce pays.
Cheikh Sarr renchérit : ‘’Quand on sait qu’on est proche des dirigeants de ce pays, la police vous laisse tranquille, ce n’est pas évident pour le reste’’.
Avec sa soixantaine d’employés, il reconnait n’avoir pas à se plaindre, ‘’mais ce n’est pas le cas de ceux travaillant pour des patrons locaux’’.
A l’image de ces deux jeunes sénégalaises n’ayant pas dépassé la trentaine et qui travaillent dans une boîte de nuit branchée appartenant à une proche du régime.
Refusant d’aller très loin dans la confidence, elles avancent que leurs salaires qui peuvent paraître exagérés vu du Sénégal n’arrivent pas à couvrir leurs besoins.
Et si on est loin du début des années 1990 quand les premiers commerçants sénégalais arpentaient les rues de Bata pour proposer leurs produits, l’Eldorado reste encore un mirage pour plusieurs personnes qui ne voient pas encore la queue du diable pour la tirer.
SD/SAB