Les deux faits sont apparemment sans rapport mais ils peuvent se rencontrer dans le jeu politique et se compléter dans le contexte actuel.
Acte premier. La semaine dernière, le Président de la République a officialisé son rejet du bulletin unique pour la prochaine élection. A l’Assemblée nationale samedi, le ministre en charge des élections a renvoyé la balle aux acteurs. Selon Cheikh Guèye, la question est “politique“ et doit être gérée comme telle. Dans l’hémicycle, Doudou Wade fait écho au Chef de l’Etat. Le président du Groupe démocratique et libéral (majorité) a simplement enterré le bulletin unique : il « est mort-né. Nous n’allons pas l’utiliser », dit-il, péremptoire. Son collègue Ousmane Sow Huchard du Groupe démocratie et progrès (opposition) est d’un avis contraire. « Tout le monde en convient ; le bulletin unique coûte moins cher à notre pays. […] Il permet une plus grande transparence’’.
La société civile abonde dans le même sens et va à la charge dans un communiqué rendu public mardi. Le collectif qui interpelle Me Abdoulaye Wade estime que le Sénégal a « tout à gagner » dans cette formule car notre pays « dispose de toutes les ressources intellectuelles et techniques pour en faire un usage à la hauteur de ses ambitions démocratiques ».
Acte deux. Hier, le Ministre d’Etat, ministre de l’Intérieur s’est prononcé devant les députés, en faveur d’une « limitation démocratique des partis ». Me Ousmane Ngom est allé droit au but : « nous avons 173 partis politiques au Sénégal. Rien qu’en 2011, sept nouveaux partis politiques ont été reconnus. C’est le lieu d’engager une réflexion profonde sur le nombre (…) parce que ce n’est pas raisonnable pour un pays comme le Sénégal ». ‘Selon Ousmane Ngom, le PDS a « beaucoup travaillé sur cette question ». C’est pour aboutir à la conclusion qu’il existe « des mécanismes, même dans les grands pays, pour arriver à une limitation démocratique du nombre des partis politiques ». Les raisons invoquées pour justifier la limitation découleraient du besoin de financement des formations légalement constituées, selon le gouvernement. Moins il en a plus facile sera la question de leur financement, faut il comprendre.
La coïncidence est peut-être fortuite. Mais dans le contexte pré électoral, la question du bulletin unique agitée par l’opposition et le collectif des organisations de la société civile, d’une part, le questionnement gouvernemental sur le nombre des partis politiques d’autre part, peuvent constituer une nouvelle ligne de fracture entre le pouvoir et ses adversaires.
Le Président d’honneur du Pit n’est « pas nécessairement contre », mais selon Amath Dansokho, seul le peuple souverain doit en décider. Il n’est pas question, a-t-il expliqué, de laisser le soin au pouvoir de décider seul de qui doit continuer d’exister. Le cas échéant, a ajouté Dansokho joint mardi au téléphone, il sera procédé à une « sélection très arbitraire, pour éliminer ceux qui gênent. Et sur la liste, nous serons les premiers ». Le président d’honneur du Parti de l’Indépendance et du Travail a en outre accusé le camp du Président Abdoulaye Wade de favoriser la création de partis-satellites « pour affaiblir » des adversaires.
Question sérieuse pour une situation paradoxale
L’idée lancée par Ousmane Ngom a suscité quelques réserves jusque dans le camp de la mouvance présidentielle. Mamadou Diop Decroix, secrétaire général de AJ/pads rappelle pour commencer que les partis sont d’égale dignité. Mais admet il, le phénomène est tout à la fois paradoxal, sérieux et complexe, « On est dans un régime de libertés ; ce serait paradoxal qu’une démocratie veuille empêcher la création de partis politiques. Le grand problème, ce serait déjà la mise en œuvre de l’idée de limitation », estime Decroix. Selon lui, il s’agit d’abord de voir dans quelle mesure l’existence de ces partis impacte les finances publiques. S’il n’y a pas incidence à ce niveau, il ne voit pas pourquoi on empêcherait des personnes qui le désirent de s’organiser pour solliciter le suffrage populaire.
Faudrait-il, décider maintenant que plus personne ne devrait créer un parti, s’est interrogé Decroix. Ce serait insensé car, a-t-il ajouté, une personne parfaitement crédible et capable de mobiliser un important électorat se trouverait en situation de ne pouvoir profiter politiquement de son aura. Resterait posée les raisons pour lesquelles certains créent des partis. « Si c’est juste pour se faire un nom à force de prendre la parole pour ensuite monnayer ses interventions, la démocratie n’y trouverait pas son compte », a fait observer Mamadou Diop Decroix, mettant en outre l’accent sur l’absence de démocratie interne qui amène à des démissions de militants en désaccord avec des dirigeants, qui une fois le parti créé, « font comme si l’entité leur appartient comme du bétail à l’éleveur ». Sa question coule de source : doit-on empêcher ceux qui refusent le diktat du titulaire du récépissé, de rester dans le jeu politique sous une autre et nouvelle bannière ?