New York, correspondance. Les Etats-Unis viennent de franchir une nouvelle étape démographique : pour la première fois de leur histoire, les Blancs sont plus nombreux à mourir qu’à naître. C’est la confirmation d’une tendance inexorable vers une plus grande diversité ethnique.
« Ce virage ne devait s’amorcer qu’en 2025″, reconnaît toutefois Kenneth Johnson, démographe à l’Institut Carsey (université du New Hampshire). Mais la crise a ralenti le nombre des naissances, en particulier chez les ménages blancs, et accéléré le déclin de cette frange vieillissante de la population. Selon les estimations du bureau de recensement américain, en 2043, les « minorités » devraient dépasser les Blancs, qui représentaient 83 % de la population en 1993. Ils sont aujourd’hui 63 %, soit 198 millions sur une population totale de 314 millions.
Dans cette nouvelle Amérique, les Asiatiques enregistrent pour l’instant le plus fort taux de croissance (+ 2,9 % en 2012), suivis des Hispaniques (2,2 %) et des Afro-Américains (1,3 %). Les Blancs n’ont bougé (+ 0,1 %) que grâce aux immigrés venus du Canada, d’Allemagne et, dans une moindre mesure, de la Russie et de l’Arabie saoudite.
EN 2060, UN AMÉRICAIN SUR TROIS SERA « LATINO »
Les Hispaniques sont, depuis 2003, la première minorité (17 % de la population). Leur présence ne fera que se confirmer dans les prochaines décennies. En 2060, un Américain sur trois sera « latino ». « Leur croissance est le résultat de leur fort taux de natalité et non de l’immigration. Si l’on bouclait les frontières cela ne changerait rien au fait qu’ils vont prendre une place de plus en plus grande », souligne Dowell Myers, démographe à l’université de Californie du Sud.
Quelles conséquences ce tournant démographique amorce-t-il ? « La composition du pays sera différente, nous aurons une plus grande diversité raciale, mais cela ne devrait pas nous changer en tant que nation », estime William Frey, démographe à l’Institut Brookings. La transition « ne se fera pas sans conflits mais la réalité s’imposera ».
Une réalité qui concerne déjà quatre Etats : Hawaï, le Nouveau-Mexique, la Californie et le Texas. « Nous avons franchi ce cap en Californie en 1999 et il ne s’est rien passé », remarque M. Myers. Début juillet, l’Etat de la Côte ouest s’apprête à vivre un autre changement : bien plus tôt que prévu, les Latinos vontatteindre la parité avec les Blancs (39 % chacun) puis, petit à petit, prendre la relève démographique. « Beaucoup d’Américains vont devoir assumer que leuravenir dépend de personnes qui ne leur ressemblent pas. Mais nous sommes tous liés par un même destin. Certains vont peut-être refuser d’investir dans un futur qui n’est pas blanc, mais ça serait une terrible erreur », ajoute le démographe. Car sans les minorités, « qui vont devenir le moteur de notre économie », pas moyen d’assurer le financement des retraites des baby boomers ou celui de la Sécurité sociale.
« LE POUVOIR EST ENCORE AUX MAINS DES BLANCS »
Le décalage entre la poussée démographique des minorités et leur faible rôlepolitique pourrait créer quelques tensions. « Le pouvoir est encore aux mains des Blancs qui sont plus nombreux à voter. Nous risquons de nous retrouver avec des responsables plus préoccupés par le vieillissement de la population qui les affecte directement que par les besoins des jeunes, en particulier dans l’éducation », ajoute M. Myers.
Mais à Washington, les esprits semblent conscients du virage actuel : « Je dis souvent que les hommes politiques sont les meilleurs démographes car il en va de leur survie », remarque William Frey. Le Sénat américain a commencé à débattre la semaine dernière en session plénière le projet de réforme de l’immigration, qui prévoit la légalisation de quelque 11 millions de sans-papiers et une profonde réforme du système, une mesure approuvée par 74 % des Américains, d’après un récent sondage de Fox News.
Les partis politiques, eux, font leurs calculs. Les Blancs représentaient 72 % de l’électorat en 2012 (ils étaient 74 % en 2008 et 81 % en 2000). Dans un rapport, publié en mars, les républicains ont dû constater que « l’Amérique est différente » et se sont mis à cajoler le vote des minorités. Nate Silver, le gourou de la prédiction politique du New York Times, affirmait récemment que les bouleversements démographiques allaient changer le paysage électoral en faveur du Parti démocrate et assurer leur victoire pendant les trente prochaines années, grâce au vote des minorités.
Isabelle Piquer