A 68 ans, l’ex-Premier ministre Alassane Ouattara, un musulman du nord, donné gagnant jeudi de la présidentielle par la
commission électorale, cristallise depuis 15 ans sur sa personne la crise identitaire et toutes les haines qui déchirent la Côte d’Ivoire. Accusé par son rival, le président sortant Laurent Gbagbo, d’avoir « fait tous les coups d’Etat » dans le pays, notamment le putsch raté de septembre 2002, ce technocrate aux manières policées suscite depuis longtemps passions
et haines. Pour ses inconditionnels, « ADO » (Alassane Dramane Ouattara) a été la victime des plus dangereux clivages ivoiriens, entre nord et sud, islam et christianisme, étrangers et autochtones.
Né le 1er janvier 1942 à Dimbokro (centre), il accomplit la majorité de sa scolarité au Burkina Faso voisin.
Aux Etats-Unis, il obtient en 1967 un doctorat en économie et entre l’année suivante au Fonds monétaire international (FMI). Il devient en 1983 vice-gouverneur de la Banque centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest (BCEAO). Il reconnaîtra lui-même avoir occupé plusieurs postes au titre de la Haute Volta, l’actuel Burkina Faso, ce qui va alimenter l’interminable débat sur sa nationalité.
En 1990, il est nommé Premier ministre par le président ivoirien Félix Houphouët-Boigny, fonction qu’il occupe jusqu’à la mort du « père de la Nation » en décembre 1993. Jugeant le scrutin non transparent, ADO, qui est quasi vénéré au nord
renonce à se présenter à la présidentielle en 1995 face à Henri Konan Bédié, qui a succédé à Houphouët.
Pour le contrer, le camp Bédié développe le dangereux concept nationaliste d' »ivoirité » et tente de prouver l’inéligibilité de M. Ouattara, accusé d’être d’origine burkinabè. A l’été 1999, ce dernier quitte son poste de directeur général-adjoint du
FMI: revenu à Abidjan, il fonde le Rassemblement des républicains (RDR) et se lance dans la course présidentielle d’octobre 2000.
Mais sa candidature est cette fois rejetée pour « nationalité douteuse » par la junte militaire aux commandes depuis le coup d’Etat de Noël 1999. Il est alors plus que jamais le symbole de la fracture identitaire de ce pays de forte et ancienne immigration, qu’aggrave en 2002 la partition du pays en un sud loyaliste et un nord rebelle, après le coup d’état raté. Il frôlera alors la mort lors de l’attaque de son domicile, et se réfugiera alors de longues semaines à la résidence de l’ambassadeur de France, à un jet de pierre de celle de Laurent Gbagbo.
En 2005, sous pression de la médiation sud-africaine, le président Gbagbo, au pouvoir depuis 2000, valide finalement la candidature d’ADO à la présidentielle, un scrutin qui sera reporté six fois jusqu’au premier tour le 31 octobre dernier.
Arrivé deuxième, il affrontait dimanche le chef de l’Etat sortant, qu’il a accusé à son tour récemment d’être un « putschiste ».
Pour l’emporter, il comptait sur les voix de son ennemi d’hier et désormais allié, l’ex-président Bédié. S’il a troqué le temps d’une campagne ses impeccables costumes sombres pour des polos et des casquettes américaines, l’homme reste le même avec sa voix traînante et ses discours d’économiste précis.
M. Ouattara est marié à une Française, Dominique Folloroux, et père de deux enfants, nés d’un premier mariage.
afp