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Portrait: Bara Tall, entièrement construit à Thiès

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SENINFOS.COM L’autoroute à péage, un bien public sénégalais, aura un drôle de nom, un poil à gratter pour tout esprit épris de patriotisme. Ce nom sera : Société Eiffage de la Nouvelle Autoroute Concédée, en abrégé SENAC, du nom de l’administrateur de la société française qui l’a construite. Cette confidence à seninfos.com est de Bara Tall, le patron de l’entreprise Jean Lefebvre. « Cela, je ne peux pas l’accepter. Lorsque je l’ai interpellé sur la question, Senac m’a répondu que c’était-là une coïncidence. Drôle de coïncidence ! » enrage l’entrepreneur sénégalais. Pour qui connaît l’ingénieur thiessois, l’on comprend son exaspération. Le spécialiste de Btp a un rapport atavique à son pays. Anecdote : ce n’est qu’en 1986 qu’il est allé pour la première fois en France, et c’était pour les besoins d’un stage qui le propulsera à la tête de l’antenne locale de l’entreprise avec le célèbre slogan : «Jean Lefebvre travaille pour vous ». C’est que BT, dont les initiales sont pour le moins prémonitoires, est un pur produit de l’école sénégalaise, un profil casanier qui n’est pas allé très loin pour construire sa carrière : école primaire de Takhikaw à Thiès, lycée Malick Sy de Thiès, école polytechnique de Thiès… « Dans mon lit, j’attendais d’entendre le son de la cloche de l’école, pour traverser la rue et entrer en classe » sourit Bara Tall au souvenir de ses années d’enfance sédentaire.

Tex Willer, Zembla…

Pendant longtemps, dans ce quartier de la ville du rail, des voisins ont pensé qu’il s’appelait Bara Guèye. Le garçon a en effet été élevé par son père, mais aussi ses oncles du nom de Guèye , le premier étant employé civil à l’intendance militaire à Dakar. Bara Tall traverse donc la rue qui passe devant le domicile familiale pour entrer à l’école en 1962. Le directeur de l’établissement, M. Seck, un nordiste venu de Ndioum, rappelé à Dieu il y a quelques semaines, va beaucoup le marquer. Bara Tall a pour condisciples, entre autres, Omar Seck de la Rts et Momar Saliou Nguer, directeur de Total/Aviation en France. Ils passeront leur entrée en sixième en 1968, année symbole de la contestation estudiantine. Le môme Tall n’a pas encore des réflexes de révolte : il fait donc quelques centaines de mètres pour intégrer Malick Sy. Là, ses camarades sont Dr Bamba Diop, Momar Talla Kane du Congad, ou encore Sow le Doyen de la faculté des lettres de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar.

Le vélo et la baston

L’oncle Guèye, un bijoutier qui gagnait bien sa vie, sans être allé à l’école, en avait une bonne idée, et appliquait sa maxime préférée à toute la maisonnée : « Le jour, un homme ne doit jamais rester à la maison avec les femmes ». Misogynie ? Culte du travail en tout cas ! L’orfèvre, qui avait dans sa bande de copains des enseignants, leur demandait constamment de vérifier le travail de l’élève Bara. Lequel n’avait aucune raison de ne pas briller, pas seulement parce qu’il allait aussi à la forge, mais parce qu’il était choyé. « Au primaire, j’avais un vélo, et au lycée j’avais une mobylette » confie-t-il à seninfos. Ah, ce vélo ! L’entrepreneur d’aujourd’hui se souvient encore de la bastonnade mémorable à laquelle il eut droit un jour où la corde qui attachait le repas des artisans de la forge lâcha… « Je suis le premier de ma famille à être allé à l’école, le premier à avoir obtenu un diplôme ». Premier en tout ? L’élève était certes brillant, mais, confie-t-il à seninfos, il n’avait pas l’esprit à la compétition. « J’ai toujours fonctionné sans boussole, sans rien programmer ».

Comme tout jeune écolier de l’époque, il a taquiné le ballon, mais moins que les autres, vu quelques films au cinéma (il est allé à sa première séance sur les épaules de son père), et pris part à des bals entre copains de leur club «Adonis ». «Le réceptionniste de mon entreprise est mon ami d’enfance, membre de ce club adonis » nous dit-il avec nostalgie. Bara Tall était aussi féru de lecture, notamment de bandes dessinées, Zembla, Blek le Roc, Zagor Tenay, Tex Willer, la seule publication de ce registre qui était défendue par les copains instruits de son oncle étant « Satanic »…

Seconde A, lettres classiques

Dans son quartier, Bara Talla sera frappé par les récits de ses camarades qui n’avaient pas continué les études, et qui revenaient le soir d’un grand chantier à quelques encablures de Thiès où ils étaient engagés dans les travaux. «Ils nous parlaient de la beauté des bâtiments ». Renseignement pris, c’est l’école Polytechnique de Thiès qui sortait de terre. Calé dans un des salons de sa superbe maison du quartier huppé de Fann Résidence, notre interlocuteur, entre deux rendez-vous, dont l’un avec Alioune Tine et Abdou Aziz Tall, se remémore sa jeunesse toute thiessoise.

Littéraire, ayant fait la seconde A (lettres classiques), il décide de changer de série : il avait été subjugué par les jolies tenues militaires des premiers pensionnaires de l’EPT, et avait entrepris de faire comme eux. « D’habitude je ne planifie rien. Mais là, j’étais captivé ». Il fera donc la première D, et sera admis au concours pour entrer à Polytechnique en 1975. Décidément très grand voyageur, il fera donc ses études supérieures à …2 km de sa maison familiale. Tout le contraire de son fils qui fait aujourd’hui des études d’ingénieur à 6000 km du Sénégal, en France. «L’un de mes grands regrets, c’est que l’EPT n’ait pas gardé son format initial. Mon fils y aurait fait ses études, le cas échéant» affirme-t-il.

Conseiller municipal socialiste

Dans cette prestigieuse école, BT se lie d’amitié avec Cheikhou Oumar Ndiaye, avec qui il est resté 5 ans, dans la même chambrette : le monsieur est aujourd’hui son principal collaborateur à JLS qu’ils ont été intégré ensemble, et où Bara Tall emploie cinq (05) de ses camarades de promotion à l’EPT.

« Mon premier salaire était de 225 765 Fcfa. J’ai commencé à Jean Lefebvre le 2 février 1981, lendemain de l’arrivée d’Abdou Diouf au pouvoir. La première fois que je l’ai rencontré, en 1997, je lui ai dit, en rigolant, que nous étions de la même promotion ». C’est avec le régime socialiste que sa carrière prend un grand envol, et sa proximité avec le PS était connue, lui qui en était un conseiller municipal à Thiès. « C’est Ousmane Tanor Dieng qui m’a convaincu de me présenter, en m’expliquant que je serais plus efficace en intégrant le conseil pour servir ma ville » explique-t-il aujourd’hui. Au sein de Jean Lefebvre, son ascension est fulgurante. Topographe à son premier chantier, celui de Tobor, il abat un gros travail qui le fait remarquer par le boss. Jean Lefebvre n’était pas un ingénieur, ni même un technicien de la construction. « C’était un juriste qui a hérité d’une entreprise familiale qu’il a modernisée. Un passionné de l’Afrique. Il avait de bons rapports avec Senghor, Houphouët et Sékou Touré. Jean Lefebvre a d’ailleurs beaucoup joué dans le rétablissement des relations entre le Sénégal et la Guinée. Il était le consul de côte d’ivoire en France. Ses enfants ont un passeport ivoirien. Il a fait confiance aux Sénégalais dans son entreprise » témoigne Bara Tall. Après Tobor, le second chantier de Bara Tall est la route Ourossogui-Bakel. L’entrepreneur en garde un souvenir pointu : la piqûre d’un scorpion qui l’a plongé dans l’évanouissement.

Pouvoirs et argent

C’est la conjoncture morose des années 1986 qui changera son destin dans Jean Lefebvre. Les entreprises françaises comme Colas ou Sofra Tp partent une à une… Jean Lefebvre rapatrie ses Français, et choisit Bara Tall pour garder la maison, avec instruction de vendre ses avoirs fonciers. Entre 1986 et 1996, le bonhomme résiste, s’abstient de vendre, cherche et trouve quelques marchés… Prenant goût à son rôle, il demande à partir pour s’installer à son compte. On lui propose de racheter des parts. Son projet est financé par la BICIS. En 2000, il atteint un rapport de 50-50 dans le capital. L’année 2000, c’est aussi celle de l’arrivée de Wade au pouvoir, accompagné au sommet de l’Etat par un autre Thiessois, Idrissa Seck en l’occurrence.

Ami des socialistes, BT devient celui des tenants du nouveau pouvoir. Il est montré en exemple par Wade, et cette proximité n’est sans doute pas sans avoir eu d’influence sur les marchés des chantiers de Thiès qu’il gagne, en acceptant certes de les préfinancer. Leonhomme avait acquis une grande aisance financière, lui à quion prête l’acquisition d’une propriété  dans le quartier cossu de l’île de Saint-Louis à Paris, dans le 4 ème arrondissement. Mais Bara Tall est formel:  » Non seulement je n’ai pas de propriété en France, mais je n’en ai aucune ailleurs que dans mon pays, le Sénégal. Quiconque en trouvera une, à mon nom, pourra se présenter à moi: je la lui céderais sur le coup ». En tout cas, son prêt à la BICIS, il finira  de le payer, avant l’échéance.

Pour les chantiers de Thiès, c’est la CBAO qui lui ouvre ses caisses.

« Lorsque Abdoulaye Wade m’a emprisonné sur de fausses accusations, Jean Claude Mimran est allé le voir pour faire un témoignage sur ma personne. C’est un homme à qui je suis très reconnaissant » tient à dire Bara Tall. La suite est connue : depuis sept ans, l’homme se bat, se débat, résiste et attaque. Sans afficher d’ambition politique personnelle, il s’est fait un crédo : compter et influer sur le cours politique du Sénégal. Notamment à travers son mouvement civique qu’il a créé. Et depuis ces sept dernières années, cet homme, entièrement made in Sénégal n’a gagné aucun marché dans son pays. «En France, depuis le mois d’août dernier, sur initiative du président Sarkozy, aucun entrepreneur étranger n’est admis dans les marchés de BTP » explique-t-il, avec un trémolo d’exaspération dans la voix.

Abou Abel THIAM


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