Le fournisseur a permis de soulager la Senelec pour un moment. Néanmoins, la société d’électricité ne verra pas bientôt le bout du tunnel, car même les solutions qu’on lui impose contribuent à la maintenir dans un cycle d’endettement croissant. La solution à laquelle sont parvenus la Senelec, la Sar et leur partenaire Itoc, n’a pas encore permis une amélioration sensible de la situation sur le front de l’électricité. C’est dire à quel point la situation était à la limite de la catastrophe. Si Itoc ne s’était pas montré accommodant, le pays allait littéralement s’arrêter de tourner. Ainsi, la Senelec a reçu en fin de semaine dernière, 4 000 tonnes de fuel d’Itoc, et devait en recevoir 10 000 autres hier. Cette livraison, tirée du stock du MT Green Point, se fait sur la base d’un accord auquel sont parvenues les différentes parties. Senelec et la Sar, après avoir traîné leur fournisseur dans la boue, étaient passées par les fourches caudines de ce dernier, et fait un communiqué pour ravaler leurs critiques sur la qualité de son combustible. Cela a permis de débloquer la situation, en plus des traites que Senelec a mises sur la table, pour régler ses factures écoulées. Néanmoins, la livraison d’hier avait été repoussée de 24 heures, pour des questions de logistique de dernière minute, un navire d’Oryx empêchant le déroulement de la manœuvre.
Ruineuse stratégie de crise
Il n’empêche qu’avant-hier, la Senelec a voulu montrer toute sa volonté de trouver une solution à ses problèmes de règlement de factures. La société d’électricité a donc, comme dit plus haut, versé à Itoc 2,8 milliards de francs Cfa, représentant les traites complémentaires de la livraison précédente. Et d’un jour à l’autre, les traites de la livraison d’hier devraient être réglées. La Senelec va se saigner à blanc pour satisfaire la demande des usagers de ses services. Car, au-delà de la fourniture de fuel, les schémas de sortie de crise qui ont été élaborés par la tutelle, le ministère de l’Energie, ne permettent pas de sortir du trou l’entreprise dirigée par M. Seydina Kane.
Car, alors qu’elle peine déjà terriblement à trouver une moyenne de 15 milliards de francs Cfa par mois pour se procurer du fuel pour ses centrales, que son ministère de tutelle a jugées obsolètes, la Senelec va devoir casquer dans les plus brefs délais, 80 milliards de francs Cfa, pour louer des centrales électriques d’une puissance nominale de 150 Mw. Mais cela ne signifiera pas pour autant la fin des problèmes de la compagnie. Car comme dans tous les Partenariats public-privé que la Senelec a eu à passer à ce jour, en matière de fourniture d’énergie, c’est la société de Seydina Kane qui devra alimenter les trois nouvelles centrales prises en location auprès des Américains. Et c’est à partir de son combustible que sera produite l’électricité qui lui sera facturée. Et pour cette charge, des cadres de l’entreprise ont calculé la facture à environ 45 milliards pour les trois mois à venir.
Ce qui n’aura rien à voir avec les dépenses courantes de Senelec, sans compter le combustible à prévoir pour ses autres centrales, qui devraient continuer à fonctionner. Car le vrai problème de Senelec pour le moment, n’est pas de louer ou d’acquérir des centrales, mais de trouver du combustible pour faire tourner l’existant, qui n’est pas trop mal.
Appauvrir le pays pour lui fournir le courant
Or, avec un déficit structurel de plus de 46 milliards de francs Cfa, et des dettes dues à divers fournisseurs, qui s’élèvent environ à une trentaine de milliards de francs Cfa, la Senelec aurait du mal à mettre en place, en dehors d’un racket sur ses clients, des mécanismes qui lui permettent de trouver rapidement environ 150 milliards de francs Cfa, pour faire face à ses nouveaux engagements.
C’est là que l’Etat est venu à la rescousse avec ses nouvelles «grappes de convergence», le Fonds de soutien au secteur de l’énergie.
Logé au ministère de l’Economie et des Finances, il devrait être alimenté par des prélèvements tirés du Conseil sénégalais des chargeurs (Cosec), ainsi que du Fonds de solidarité numérique, alimenté par la Rutel, cette taxe alimentée par les 3% du chiffre d’affaires des opérateurs de téléphone. Ces montants seront gonflés par l’argent provenant de nouveaux arbitrages du Budget consolidé d’investissement (Bci). En clair, de nombreux projets de plusieurs ministères qui devaient être financés cette année, seront repoussés aux calendes sénégalaises. Un spécialiste de l’économie sociale a eu ces mots justes : «La résolution des problèmes de l’électricité est en train de plonger le Sénégal dans la pauvreté.»
Car en fait, une fois qu’une bonne partie de l’argent du pays sera consacrée à garantir une alimentation régulière en électricité du pays, l’on se rendra compte que peu nombreux sont les Sénégalais qui seront encore en mesure de se procurer ce courant. Parce que leurs activités auraient été abandonnées, faute de financement.
«Takkal» remboursé par Senelec
Les reproches qui avaient été faites à Idrissa Seck en son temps, sur ses «grappes de convergence», destinées à financer les Chantiers de Thiès, retrouvent encore la même pertinence aujourd’hui.
Néanmoins, tout cet argent ne sera pas perdu, en théorie, pour le contribuable. Car le ministre Karim Wade a annoncé qu’une fois restructurée, la société d’électricité devra rembourser tous les montants qui auront servi dans le cadre du Plan Takkal. La question est de savoir quand cela pourra être possible, dans un système où tous les acteurs se sucrent, au détriment de la société, donc du contribuable.
Ainsi, par exemple, pour la centrale de Kounoune, la Senelec achète à 115 francs le Kw/h, pour le revendre à 125. Et elle doit fournir le combustible pour cette production. Ce qui, mis ensemble, porte le prix de revient de l’électricité de Kounoune à environ 145 francs. Dans ces conditions, que Kounoune ne tourne pas, devrait être plus rentable pour Senelec. En théorie.
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