Pourquoi Gadio veut-il nous prendre Babacar Touré ? Par Pape Samba Kane

«Le journalisme mène à tout», a-t-on coutume de dire. «À condition d’en sortir», a ajouté un esprit malicieux. Hier, en marge du procès de notre confrère Abdou Latif Coulibaly dont je ne parlerai que peu, ici, nous avons eu, sur le vif, Mame Less Camara, notre jeune confrère Bachir Fofana, mon collaborateur au Pop, et moi-même une de ces petites discussions courantes entre jeunes et …moins jeunes journalistes en ces jours incertains pour une profession qui semble perdre ses repères. Je vais vous en conter une séquence qui me paraît plus signifiante pour mon présent propos. –

Mais avant, parlons de ce peu sur le procès de Latif. Juste pour dire que si le journaliste d’investigation est condamné, ce ne sera perçu que comme, encore une fois, une manifestation du caractère répressif du pouvoir libéral, si le  confrère en sortait avec un acquittement, les libéraux seraient, encore une fois, vus comme des voleurs de  commissions et autres babioles valant milliards. Pour dire qu’à tous les coups, ces gens sortiront perdants de cette épreuve qu’ils ont pourtant voulue, cherchée, et provoquée de toute la force de leur aveuglement…
Sur la fin de notre entretien sur le vif, s’adressant à Bachir qui avait émis un avis assez juste sur les responsabilités au sein d’une rédaction, susceptibles plus que souvent, quand elles arrivaient trop vite, de vous enfermer dans des bureaux, cloué sur une chaise derrière une table, Less indiqua fort justement au jeune confrère, qui semblait craindre pour sa «carrière», que celle-ci se jouait moins à l’entame ou au milieu du parcours d’un journaliste, qu’à la fin de celui-ci. C’est bien évidemment en ce moment seulement qu’on pourra dire de quelqu’un qu’il a eu une belle (ou une moins belle) carrière. Et Less d’ajouter, malicieux et féroce comme il sait être quand il le faut : «On a vu des gens débuter dans ce métier jeunes et ambitieux pour finir vieux crétins». On a vu, en effet… Que Dieu en préserve l’honnête gratte-papier… Comme il en a préservé notre confrère Babacar Touré. Si l’éminent journaliste, président du groupe Sud Communication s’invite dans mon édito, il ne l’a pas voulu, cherché ou provoqué ; il y a été poussé impromptu
par un nouveau promu, propulsé tard dans l’arène politique et qui fait tout ce qu’il peut pour rattraper son retard, je nommerai Cheikh Tidiane Gadio. Il est le seul opposant politique de Wade à avoir annoncé qu’il faut croire à la sincérité de l’appel au dialogue politique lancé par ce dernier le jour de la Korité. Sur cette lancée, il a proposé notre confrère, «un grand Sénégalais qui a de la hauteur, du recul et qui peut aider son pays à sortir de l’impasse», comme médiateur dans ledit dialogue politique. Dialogue auquel Babacar pourrait apporter «son expertise» de même que sa «mémoire politique». Et pardessus tout son désintéressement : «Il est respecté [par] tous les bords politiques […]. C’est une personne de consensus». Gadio a servi bien d’autres arguments lors de l’émission «Objection» d’où sont tirées toutes ces citations que l’on peut résumer en un mot, Babacar est crédible pour un tel rôle. À l’heure où, ajoutera l’ancien ministre des Affaires étrangères, «notre pays traverse une grave crise, une des plus sévères de son histoire…».
Or cet homme, Babacar Touré, est un journaliste, un bon, un éditorialiste de talent, analyste politique pointu, une plume, qui est devenu patron de presse suite à un parcours qui le justifiait amplement. Il s’est toujours employé à développer son groupe sans rien concéder des fondamentaux de son métier. Cependant, et malgré donc tous les dégâts collatéraux qu’a pu provoquer cette option, le voici, à l’orée de ses soixante ans, vu comme un «homme de consensus» par un acteur qui ne manque pas de mémoire politique, lui non plus. Et qui, à l’appui de son argumentaire voulant que Babacar Touré soit apte à «aider son pays à sortir de l’impasse», se permet de conclure par ce tour qui n’est pas que rhétorique
: «Les grands acteurs de la vie politique nationale savent de quoi je parle». Si son commerce des hommes n’était pas d’un niveau de qualité plus qu’appréciable  ce qui est un signe de grande culture, culture qui ne devrait manquer à aucun journaliste ayant passé cinq ans dans une rédaction- Babacar n’aurait pas ce profil du médiateur politique. Gadio a donc bonne vue sur le profil de son médiateur idéal. Là où, de mon point de vue, il pèche  et il pècherait par excès d’enthousiasme- c’est qu’il me semble que l’ex-chef de la diplomatie wadienne ne s’est pas demandé si cette offre intéressait vraiment notre confrère. Là, je vais peut-être m’avancer – mais j’aime à m’avancer : cette sortie de Gadio, à part que d’avoir mis en lumière la personnalité ouverte et équidistante des chapelles politiques de Babacar
Touré – ce qui n’est pas une mince affaire après plus de trente ans d’exercice du métier aux plus hauts niveaux- risque d’être une sortie pour rien. Pourquoi ? Eh bien, parce que, s’il est vrai que «le journalisme mène à tout», c’est l’esprit malicieux évoqué tantôt qui en complète la véracité : «A condition d’en sortir ». Or Babacar n’est pas encore sorti, il a un groupe à redresser, et pour cela, il lui faudra retrouver ses hommes et femmes sur le terrain, remettre la main à la pâte, et même, nous l’espérons, à la plume…

Pape Samba KANE
Le Populaire