XALIMANEWS : Janvier 2015, au palais présidentiel du Plateau : Alassane Ouattara déclare devant le corps diplomatique, à la faveur de la cérémonie d’échanges de vœux : « À l’occasion de mes 75 ans, ceci m’amène à réaffirmer que les institutions de la République qui seront mises en place très prochainement me permettront de prendre congé en 2020 ».
Coup de théâtre en novembre 2017 : Alassane Ouattara affirme, à l’occasion d’une interview accordée à France 24 en marge du sommet Union africaine–Union européenne : « A priori, je ne me présenterais pas (à la présidentielle de 2020). A priori (…) En politique, on ne dit jamais non. Attendez 2020 pour connaître ma réponse ».
Les coulisses d’un virage à 360°
Cette dernière position, qui entretient clairement le doute sur une candidature à la présidentielle de 2020, tranche radicalement avec sa position initiale, maintes fois réaffirmée, avant sa réélection en octobre 2015 et au moment de la campagne pour le referendum constitutionnel, un an plus tard. Une position qui avait, sans aucun doute possible, pesé dans la victoire massive du « Oui » en faveur de la Constitution qu’il proposait de modifier, sans toucher à la clause de limitation du nombre de mandats présidentiels.
Un virage à 360 degrés qui dévoile les nouvelles intentions d’Alassane Ouattara de briguer un troisième mandat en 2020 ? Rien n’est moins sûr. De fait, entre ses premières déclarations et la dernière, beaucoup d’eau a coulé sous le pont des ambitions politiques en Côte d’Ivoire.
À commencer par des mutineries à visées politiciennes et surtout la découverte d’une cache d’armes de six tonnes chez un proche de Guillaume Soro, président de l’Assemblée nationale. Ce dernier est un acteur majeur, avec son rival, le premier ministre Amadou Gon Coulibaly, de la guerre de succession qui fait rage au sein du Rassemblement des républicains (RDR, parti présidentiel).
Neutraliser les ambitions des dauphins
À y voir de plus près, la dernière déclaration de Ouattara procède d’une raison principale : mettre un terme à la guerre de succession que se livrent – ou que sont tentés de se livrer – ses propres protégés ou alliés, aussi bien au sein du RDR que du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP, mouvance présidentielle).
Le but de cette stratégie est de maintenir dans les rangs tous les potentiels candidats issus de la mouvance présidentielle, condamnés à adopter un profil bas, en ce sens qu’un activisme trop voyant de leur part pourrait être interprété comme une tentative de parricide. En effet, dans la tradition akan (groupe ethnique majoritaire en Côte d’Ivoire), souvent prise en référence par les acteurs politiques ivoiriens, on ne discute pas de la succession d’un roi… de son vivant. Et Ouattara s’est souvent montré agacé par les ambitions successorales au sein du RDR, comme au sein du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI d’Henri Konan Bédié). La brouille passagère entre lui et Bédié est d’ailleurs partie de là.
Ouattara prend Alpha Condé comme modèle
En tout état de cause, depuis qu’il entretient le flou sur sa candidature, les potentiels dauphins au sein du RHDP sont devenus plus discrets, sinon inaudibles. Alassane Ouattara s’inspire sans doute de la stratégie d’Alpha Condé qui entretient le flou sur un troisième mandat depuis sa réélection en octobre 2015. En Guinée, la guerre de succession n’existe pas, ou du moins celle-ci est limitée au sein du Rassemblement du peuple de Guinée (RPG Arc-en-ciel, mouvance présidentielle).
À l’instar de Condé, Ouattara veut par ailleurs détourner ses opposants des critiques de fond sur sa gouvernance, préférant les orienter vers le débat politique sur sa supposée volonté de briguer un troisième mandat. Une sorte de diversion.
Indicateur d’un manque de maturité démocratique
Mais à trop tirer sur la corde du doute, celle-ci finit par se rompre pour dévoiler une ambition cachée de maintien au pouvoir. Les cas les plus emblématiques sont ceux du Burundais Pierre Nkurunziza et du Rwandais Paul Kagamé.
Au demeurant, le doute que certains chefs d’Etat laissent planer – ou sont contraints de laisser planer – sur leur candidature à un nouveau mandat, au mépris de leur Constitution ou de leur engagement public, apparaît comme un indicateur de manque de maturité démocratique d’une certaine classe politique.
Le Ghana, l’exemple à suivre
Au Ghana, depuis 2000, les présidents qui succèdent à Jerry Rawlings savent qu’ils sont là pour au maximum deux mandats de quatre ans, pas plus. Leurs opposants et leurs proches aussi. Les chefs d’Etat n’ont pas besoin d’entretenir le flou sur leurs intentions, au terme de leurs mandats constitutionnels et ils ne montrent aucun agacement à voir leurs potentiels successeurs se battre pour prendre le contrôle des instances décisionnelles de leurs partis, alors qu’ils sont toujours au pouvoir.
Au Ghana, comme dans les pays à tradition politique éprouvée sur la limitation des mandats présidentiels, les candidats à une guerre de succession mettent tout en œuvre pour ne pas que leur activisme gêne l’action gouvernementale. Toute une culture démocratique.
Avec jeuneafrique