Le professeur Ismaïla Madior Fall, agrégé de Droit public et de Science politique, directeur du Centre d’études et de recherche sur les institutions et législations africaines (Credila) de l’Université Cheikh Anta Diop, nous commente quelques dates-repères de l’évolution des institutions politiques du Sénégal. Il évoque aussi le rôle de certains leaders politiques qui ont imprimé leurs marques sur la nature et la marche de ces institutions.
1951 Défaite Sfio face au Bds de Senghor
C’est une date qui marque le dénouement d’une confrontation entre les socialistes Lamine Guèye et Senghor. Le socialisme africain de Senghor triomphe du socialisme français de Lamine Guèye. Les résultats de ces élections informeront définitivement la vie politique sénégalaise puisque Senghor incarnera pour toujours le leadership politique depuis cette date devant Lamine Guèye. La fusion des deux partis sera à l’avantage du premier. A l’indépendance, Senghor sera le numéro un comme président de la République ; Lamine sera relégué au second voire au troisième plan en étant président de l’Assemblée nationale derrière le tout puissant président du Conseil Mamadou Dia. 1951, c’est donc le début de l’ère « senghorienne », de la séquence politique de l’histoire du Sénégal dominée par Senghor qui ne sera clôturée qu’en 1980.
1956 Loi-cadre
L’année 1955 et l’année 1956 ont marqué une étape importante en Afrique et dans le monde. En effet, à partir de cette date, de nombreux événements annonçaient des changements qui allaient se produire. Parmi ces évènements, on peut retenir : l’échec militaire français de Dien Bien Phu, le début de la guerre d’Algérie, la Conférence de Bandoeng, l’indépendance du Maroc et de la Tunisie….
L’ambiance était donc favorable à une reconsidération des rapports entre les puissances coloniales et leurs colonies. Dans le cas de la France et ses colonies qui sont des territoires d’Outre-mer. En France, Gaston Deferre, ministre chargé des Affaires d’Outre-mer, initie la Loi-cadre votée le 23 juin 1956 qui conférait au gouvernement le pouvoir de modifier par décret le statut des Territoires d’Outre-mer. La Loi-cadre dont la vocation essentielle était d’accorder l’autonomie territoriale et interne et non l’indépendance provoqua des réactions contradictoires au niveau des leaders africains.
Pour Léopold Sédar Senghor, cette loi ouvrait la voie à la balkanisation de l’Afrique, le gaspillage des ressources humaines et financières avec de petits Etats autonomes. En face, Houphouët-Boigny, territorialiste et co-rédacteur de la Loi-cadre, était lui naturellement pour la Loi-cadre qui permettait à la Côte d’Ivoire d’exister comme entité juridique et politique devant évoluer vers l’indépendance.
Les innovations institutionnelles de la Loi-cadre furent quand même significatives. En effet, les colonies ont obtenu un statut semi-autonome. Il y eut dans chaque territoire une Assemblée territoriale (Parlement local) qui a amputé certains des pouvoirs des deux Conseils fédéraux qu’étaient le Grand Conseil de l’Aof et celui de l’Aef. La suppression du double Collège électoral, qui distinguait un Collège composé des citoyens français et un autre Collège composé des sujets français était aussi une innovation importante.
Les principales institutions constitutionnelles engendrées par la Loi-cadre furent : un Parlement, un Conseil de gouvernement et un chef du territoire.
Le Parlement en tant qu’Assemblée territoriale bénéficiait de compétences considérables dans le domaine budgétaire et fiscal. Le Conseil de gouvernement.
Le chef du territoire était nommé par le gouvernement français et était d’office président du Conseil de gouvernement dont il pouvait soumettre toutes les décisions au ministre français des Affaires d’Outre-mer aux fins d’annulation.
Les décrets d’application de la Loi-cadre ne parurent qu’en 1957 et la mise en place de nouvelles institutions eut lieu pendant les premiers mois de l’année 1957. En effet, le 15 mars 1957 furent organisées les premières élections conformément à la Loi-cadre, c’est-à-dire au suffrage universel direct.
Au Sénégal, le parti dirigé par Senghor, l’Union progressiste sénégalaise (Ups) remporta 47 sièges contre 13 pour le Parti socialiste d’action sénégalais (Psas) de Lamine Guèye. Mamadou Dia devient vice-président du Conseil de gouvernement élu par l’Assemblée territoriale alors que Senghor lui continuait à siéger à l’Assemblée nationale française comme député.
Le Conseil de gouvernement s’installa en 1957 à Dakar. Cette ville, qui était la capitale de l’Aof, devient ainsi la nouvelle capitale du Sénégal au détriment de la ville de Saint-Louis. En résumé, bien que la Loi-cadre a apporté des innovations institutionnelles allant dans le sens de l’autonomie des colonies, il convient de souligner qu’elle n’a pas satisfait de façon optimale à l’exigence de reconsidération des rapports entre la France et ses colonies. Au surplus, il se produisit un certain nombre de circonstances, d’événements qui vont pousser la Métropole à franchir une nouvelle étape institutionnelle dans l’évolution des rapports entre la France et ses colonies.
1959 La Communauté franco-africaine et malgache
Avant d’exister comme État indépendant, sujet de droit international, le Sénégal, ayant voté « oui » au référendum de 1958, est devenu un « État » membre de la Communauté franco-africaine. Dans son discours devant le Conseil d’État en 1958, Michel Debré précise : « la Communauté n’est pas une fédération (…) La Communauté n’est pas davantage une confédération (…) La Communauté est donc une construction d’un type nouveau qui se définit d’abord, par le passé commun de la France et de l’Afrique et ensuite, par un effort pour constituer un ensemble destiné à forger une solidarité politique de tous les participants ».
Cette définition négative consistant à dire ce que n’est pas la Communauté et cette nouvelle organisation des rapports entre la France et ses colonies vont être systématisées par la Constitution française de la Ve République dans son titre XIII intitulé « De la Communauté ».
Ainsi, le président de la République française était de droit président de la Communauté. En outre, la Communauté disposait d’un Conseil exécutif composé des chefs de gouvernement, des Etats membres et des ministres chargés des Affaires communautaires. Ce Conseil était présidé par le président de la République. Il faut aussi signaler l’institution d’un Sénat de la Communauté composé de 284 membres dont 186 étaient élus parmi les membres du Parlement français et 98 élus au sein du Parlement des autres Etats. Enfin, la Communauté était dotée d’une Cour d’arbitrage qui connaissait de tous les litiges qui survenaient entre les Etats membres.
La Communauté est, en réalité, un ensemble politique préparatoire de l’indépendance et dans lequel le Sénégal devient une entité quasi-étatique dotée déjà d’une Constitution (celle du 24 janvier 1959).
1959 L’éclatement de la Fédération du Mali
Après le référendum de 1958, la vieille querelle qui a toujours opposé fédéralistes et territorialistes surgit de nouveau. Les premiers ont pris l’initiative de fonder en janvier 1959 une Fédération ouest-africaine qui n’enregistre finalement que le Sénégal et le Soudan français (actuel Mali). Les deux pays, bien que composant la Fédération, restèrent séparément membres de la Communauté en établissant toutefois une Constitution nationale propre à chacun (Constitution du 24 janvier 1959 pour le Sénégal) et une Constitution fédérale commune (Constitution du 22 janvier 1959). En décembre 1959, la Fédération du Mali demanda son indépendance. C’est finalement par un accord signé le 04 avril 1960 que les compétences communautaires furent transférées à l’Etat malien (Fédération Sénégal-Soudan). La mise en place des institutions fédérales a été faite après l’adoption de la Constitution qui prévoyait essentiellement deux institutions : l’Assemblée législative et le gouvernement fédéral. La deuxième institution fut le gouvernement fédéral avec 8 ministres communs. Le Soudan français avait la présidence du gouvernement avec Modibo Kéita, le ministre de l’Information et de la Sécurité, des Travaux publics. La vice-présidence revenait au Sénégal et était occupée par Mamadou Dia de même que les Finances, l’Education et la Justice. La Fonction publique était confiée à un Voltaïque. Au demeurant, l’aventure fédérale dura à peine deux mois et prit fin dans des circonstances encore confuses. Toujours est-il que le gouvernement sénégalais se réunit le 20 août 1960, accusa les Soudanais de vouloir s’emparer du pouvoir et proclama l’indépendance de la République du Sénégal après ce retrait unilatéral de la Fédération. Les causes de l’éclatement de la Fédération du Mali demeurent encore confuses voire controversées. C’est ainsi qu’il a été avancé comme argument que la Fédération n’était pas viable, car les différences entre les deux pays étaient trop grandes et le champ des compétences fédérales portait sur des domaines trop restreints. Sur le plan politique, on relevait des divergences idéologiques entre les leaders soudanais et ceux sénégalais. En effet, les responsables soudanais envisageaient que les deux Etats finissent par fusionner pour ne fonder qu’un seul Etat doté d’un régime à parti unique d’obédience nationaliste et progressiste, alors que les leaders sénégalais avaient une conception modérée et prudente de l’aventure fédérale.
1960 Indépendance et première Constitution
Suite au double mouvement historique de l’accession à l’indépendance et du retrait de la Fédération du Mali, le Sénégal réorganise son régime politique par la Constitution du 26 août 1960. Rédigée par le gouvernement et soumise à la Commission des lois et de la législation de l’Assemblée nationale, la loi constitutionnelle de 1960 a été adoptée par l’Assemblée nationale sans débats.
En vérité, par rapport à la Constitution fondatrice de 1959, la Constitution de 1960 combine continuité et innovation. Les innovations complètent les attributs et attributions de l’État devenu sujet de droit international. L’accession à la souveraineté internationale, marquée par l’adhésion en septembre 1960 à l’Organisation des Nations unies (Onu), fait de l’État sénégalais un sujet de droit international désormais capable de s’autodéterminer et de s’engager librement. Dans le régime politique établi composé d’un Exécutif, d’un Parlement et d’une autorité judiciaire, l’Exécutif est bicéphale ; il est composé du président de la République, chef de l’État et du président du Conseil chef du gouvernement. La Constitution organisant un vrai partage des pouvoirs est opéré entre le président de la République et le président du Conseil individuellement pris. Outre les clauses de répartition des compétences évoquées, la Constitution les condamnait à un exercice partagé et concerté du pouvoir avec, notamment l’aménagement du contreseing. Un partage délicat du pouvoir qui va générer une crise ente les deux têtes de l’Exécutif.
1962 La crise Dia/Senghor
Le réaménagement du régime politique par la réforme des institutions de 1960 ne fut pas couronné de succès, parce que le Sénégal avait opté pour une singularité institutionnelle qui lui a porté préjudice. A leur accession à l’indépendance, la plupart des États africains avaient opté pour un Exécutif monocéphale attribuant l’intégralité du pouvoir exécutif au président qui se trouvait être le chef de l’État, chef du gouvernement en plus de sa qualité de chef du parti unique ou dominant. Le Sénégal, quant à lui, contrairement aux autres États africains, avait fait le choix d’un bicéphalisme exécutif, avec un vrai partage du pouvoir exécutif entre le président de la République, chef de l’État et le président du Conseil, chef du gouvernement. Cependant, ce schéma institutionnel a connu un échec dans sa mise en œuvre en raison de deux facteurs principaux : un facteur juridique, à savoir l’aménagement défectueux d’un bicéphalisme et un facteur politique qui est la crise de leadership ayant opposé le chef de l’État et le chef du gouvernement, les deux chefs de l’Exécutif qui se trouvaient aussi être les deux leaders du parti ultra dominant. La confrontation spectaculaire de décembre 1962 entre le président de la République soutenu par ses partisans (les “senghoristes”) et le président du Conseil et ses fidèles (les “diaïstes”) tourna, dans des circonstances juridiques et politiques confuses, à la faveur du premier. La crise politique et institutionnelle de 1962 (la plus dramatique de l’histoire du Sénégal) a été certainement favorisée par la complexité de la Constitution.
Il y a lieu d’ajouter qu’une variable essentielle du régime parlementaire faisait défaut dans le cas du Sénégal, c’est l’ambiance du pluralisme politique. Le régime parlementaire s’accommode d’un jeu politique pluraliste, avec l’existence d’une opposition qui, en cas de crise affectant le parti au pouvoir, peut servir d’alternative et de régulateur à la tension institutionnelle. La crise de décembre 1962 a mis fin à l’expérimentation du régime parlementaire au Sénégal. Ce qui ferme du coup le premier cycle constitutionnel de l’évolution de la République du Sénégal et ouvre, à partir de 1963, un nouveau cycle présidentialiste.
1963 Adoption d’une nouvelle Constitution
La Constitution de 1963 a eu pour objectif de promouvoir la stabilité politique au Sénégal, qui sort du traumatisme de la crise de décembre 1962. Il est question d’instaurer un régime qui prenne le contre-pied du régime précédent. La cause était entendue : plus jamais de régime parlementaire. Les exigences de stabilité politique et de restauration de l’autorité du chef de l’État ont ainsi poussé le président Léopold Sédar Senghor à expérimenter le régime de principe de l’Afrique : un régime déclaré présidentiel, mais plutôt présidentialiste marqué par l’unicité et l’autorité du pouvoir exécutif confié au seul chef de l’État. En réaction aux travers du régime parlementaire, la Constitution de 1963 instaure un nouveau régime politique. Le changement se note déjà au niveau institutionnel. Contrairement à la Constitution de 1960 qui prévoyait comme institutions le président de la République, le gouvernement, l’Assemblée nationale et l’autorité judiciaire, la loi constitutionnelle de 1963 cite : le président de la République, l’Assemblée nationale, la Cour suprême et les cours et tribunaux. L’impasse est totalement faite sur le gouvernement. Le régime instauré s’est initialement déclaré présidentiel, mais est devenu tendanciellement présidentialiste du fait de l’intervention de plusieurs révisions constitutionnelles ; lesquelles ont, pour l’essentiel, progressivement réuni les facteurs de la présidentialisation du régime politique.
1970 Nomination d’un Premier ministre
Une réforme importante initiée par le président Senghor visant le relèvement de la qualité du fonctionnement du régime politique fut celle de 1970. Les motivations de la révision sont nombreuses et doivent sans doute être combinées : réaction politique à la grande crise de mai 1968, volonté de lutter contre le ponce-pilatisme, nécessité de préserver le président de la République et de lui trouver un fusible en la personne du Premier ministre, fin de l’exorcisation des démons du bicéphalisme avec la pratique pendant dix-sept ans du monocentrisme présidentiel, volonté de Senghor d’envisager progressivement sa succession et le renouvellement des élites dirigeantes par la préparation de la génération suivante à la gestion des affaires publiques, quête d’un régime politique bien adapté au contexte du Sénégal…
La Loi n° 70-15 du 26 février 1970 portant révision de la Constitution a procédé à une réécriture en profondeur de la Constitution dont les innovations les plus visibles furent : la limitation à deux des mandats présidentiels (deux quinquennats), la « parlementarisation » du régime présidentiel avec d’une part, l’introduction de l’institution gouvernementale et du poste de Premier ministre chargé de la coordination de l’action gouvernementale et d’autre part, la restauration des moyens d’action réciproques entre l’Exécutif et le Législatif que sont la responsabilité du gouvernement devant le Parlement et le droit de dissolution.
1972 Première phase de la Décentralisation
Compte tenu des effets pervers de la centralisation (notamment ce que le premier président de la République a appelé le ponce-pilatisme) et des exigences de la réforme de l’État par la Décentralisation, les autorités ont envisagé d’accomplir un pas qualitatif dans l’évolution du mouvement de Décentralisation déjà enclenché sous la période coloniale. Mais les réformes de l’administration territoriale et locale des années 1970 s’inscrivaient dans une perspective d’expérimentation et étaient confinées au niveau de la loi et du règlement. C’est l’exaltation de la participation des populations aux tâches de développement qui est à la base de la réforme de 1972 qui introduit la Décentralisation en milieu rural, en instaurant les Communautés rurales. Les Communautés rurales ont été un lieu d’apprentissage de la Décentralisation par les acteurs à la base. Cependant, leur autonomie était trop limitée par les nécessités de la tutelle d’assistance liées au faible niveau d’instruction des élus ruraux. Tutelle d’assistance principalement exercée par le sous-préfet (jadis appelé “le roi de la brousse” ou encore le “détenteur du coffre-fort”) sous le contrôle de ses supérieurs hiérarchiques que sont le préfet et le gouverneur.
1974 Pluripartisme limité
Après une parenthèse de parti unique ou de “parti unifié” (1966-1974) de fait, résultat de séries de fusions et d’interdictions, le président Senghor initie, par la loi n° 75-68 du 9 juillet 1975 relative aux partis politiques confirmée par la loi constitutionnelle n° 76-01 du 19 mars 1976, une consécration du pluralisme politique par la reconnaissance de trois partis politiques représentants trois courants politiques. Selon la loi du 9 juillet 1975 modifiée sur ce point par la loi n° 76-26 du 6 avril 1976, ces trois partis doivent représenter respectivement les courants de pensée « libéral et démocratique » incarné par le Parti démocratique sénégalais (Pds), « socialiste et démocratique » pris d’autorité par le parti au pouvoir, le Parti socialiste (Ps), « marxiste-léniniste ou communiste » concédé au Parti africain pour l’indépendance (Pai). La révision constitutionnelle de 1978 a permis l’émergence du quatrième courant conservateur incarné par le Mrs.
1980 Démission du président Senghor
Par la loi n° 76-27 du 6 avril 1976, le président-poète a procédé à la suppression du principe de la limitation des mandats présidentiels instaurée en 1970 et à l’instauration du dauphinat qui a permis à Abdou Diouf de recevoir le pouvoir des mains de Senghor. Quoi qu’en pensent les tenants de l’exigence de continuité du jeune Etat et la particularité du contexte des années 1980 qui s’y prêtait, il s’agit bien, dans le cadre d’un régime pluraliste où des élections peuvent être organisées pour assurer la succession du président en cas de vacance du pouvoir, d’une réforme contestable.
1981 Pluripartisme intégral
Une grande innovation démocratique initiée par Abdou Diouf arrivé au pouvoir en 1981 fut l’instauration du multipartisme intégral. En effet, c’est par l’expression de sa volonté politique que la loi n° 81-16 du 6 mai 1981 portant révision constitutionnelle, qui s’est inscrite dans l’ère de l’ouverture démocratique intégrale, procède à la modification l’article 3 de la Constitution pour supprimer la limitation du nombre de partis et l’indication des courants de pensée. Désormais, chaque Sénégalais peut, en association avec d’autres, constituer un parti politique. C’est l’avènement du multipartisme intégral dont l’instauration est attachée à la personne et au nom du président Abdou Diouf.
1992 Code électoral consensuel
Cette date marque un tournant important dans l’histoire du système électoral sénégalais. C’est pour éviter que les élections de 1993 soient suivies d’une crise aussi profonde que le président Diouf a décidé d’insaturer une Commission chargée d’élaborer un nouveau Code électoral. Cette initiative a permis aux partis de se retrouver au sein d’une Commission nationale de réforme du Code électoral, réunie autour d’une Commission cellulaire présidée par le juge Kéba Mbaye en vue d’adopter des réformes consensuelles du Code électoral de 1992 qui seront entérinées par l’Assemblée nationale. Les innovations furent importantes : l’abaissement de la majorité électorale de 21 à 18 ans ; l’instauration du vote des émigrés qui sera repris dans beaucoup de pays africains ; la garantie du secret du vote par le passage obligatoire à l’isoloir pour l’électeur ; l’identification des électeurs par la présentation obligatoire de la carte d’électeur ; l’usage de l’encre indélébile pour éviter les votes multiples ; la refonte du fichier général en vue de l’établissement de listes électorales nouvelles, sous le contrôle des partis ; l’instauration de la règle maximum deux mandats présidentiels ; – la représentation des partis prenant part au scrutin dans les bureaux de vote, l’interdiction de toute pré campagne ou de campagne électorale déguisée…
1996 Régionalisation
Cette réforme a élargi et approfondi la Décentralisation au Sénégal. En effet, après avoir expérimenté plusieurs réformes décentralisatrices, « le Sénégal, qui a opté pour une politique de décentralisation progressive et prudente, mais désormais irréversible », selon les termes de l’exposé des motifs de la loi n° 96-06 du 22 mars 1996 portant code des collectivités locales, va élargir et approfondir la Décentralisation considérée comme une occasion de relancer le développement politique, économique et social. Cette relance s’appuie principalement sur l’érection de la région en collectivité locale à côté des collectivités locales classiques que sont la commune et la Communauté rurale et sur le transfert des compétences aux collectivités locales dans neuf domaines qui étaient réservés à l’État. Avec la mise en œuvre des réformes de 1996, les pouvoirs publics ont proclamé avoir instauré les conditions d’une “révolution silencieuse” qui allait qualitativement changer l’organisation, le fonctionnement et les modes d’intervention de l’État sénégalais et susciter la participation pleine et entière des populations au développement local. L’ambition proclamée est de “recadrer” l’action de l’État, rapprocher l’administration des administrés, impulser le développement à partir et par les populations à la base, accroître l’efficacité de l’utilisation des ressources publiques avec l’espoir de rationaliser et d’ajuster à la réalité la lutte contre la pauvreté. Mais les résultats de la réforme se font encore attendre.
1997 Mise en place de l’Onel
L’application du code lors des élections de 1993 montra ses limites aggravées pendant les élections locales de 1996 : le souci de légitimité avait pris le dessus sur le souci d’efficacité. Des rectifications s’avérèrent nécessaires. Suite à une demande de l’opposition, le président Diouf institua une Commission cellulaire présidée par Diaïté et comprenant des professeurs de Droit. La Commission cellulaire était chargée d’organiser une concertation entre les partis politiques sénégalais pour évaluer les élections locales de 1996 et proposer au président de la République des mesures consensuelles visant à améliorer le système électoral sénégalais. Du fait des positions irréductibles entre le Collectif des 19 regroupant les partis d’opposition qui voulaient une Ceni et le Ps qui voulait le statu quo, la concertation était bloquée. A la suite d’une demande d’arbitrage qui lui a été adressée par le Collectif des 19, le chef de l’Etat a déposé un projet de loi instituant l’Onel qui a permis d’avoir des lendemains post-électoraux paisibles après les législatives de 1998 et la présidentielle de 2000.
1998 Mise en place du Sénat
La révision de 1998 instaure, sur un fond de dissensions entre les acteurs de la classe politique, un Sénat à côté de l’Assemblée nationale, faisant ainsi du Parlement un Parlement bicaméral.
2000 Alternance
L’alternance politique survenue au Sénégal le 19 mars 2000 a certainement constitué un grand événement démocratique. Le baobab qu’est le parti ultra-dominant pendant quatre décennies a été déraciné. Jadis qualifié de « démocratie sans alternance » ou encore « semi-démocratie », le Sénégal a expérimenté le changement de dirigeant à la tête de l’État, confortant ainsi sa place dans le club des démocraties pluralistes. Ce changement de personnel dirigeant a été perçu comme une opportunité historique de mise en place d’un nouveau régime politique, d’une nouvelle République et au-delà, d’un nouvel ordre politique, social et éthique. L’appréciation de l’impact de ce changement de personnel politique peut être apprécié par chaque Sénégalais.
2001 Délégations spéciales pour gérer les collectivités locales
Dans le courant de l’année 2001, un amendement dit amendement Moussa Sy fut intégré à la loi de novembre 2001 portant report des élections locales pour l’année suivante. L’amendement a eu pour objectif de faire remplacer dans toutes les collectivités locales du Sénégal les organes délibérants et exécutifs par des Délégations spéciales composées de personnes nommées par les chefs de circonscriptions administratives et représentants de l’État auprès des collectivités locales. Il s’agit de mesures regrettables pour la démocratie en général et la démocratie locale.
2001 Adoption d’une nouvelle Constitution
C’est l’avènement d’une nouvelle Constitution qui, malgré quelques innovations importantes (statut de l’opposition, élargissement des droits et libertés, répression de la transhumance parlementaire…) s’inscrit dans le registre de la continuité. C’est une Constitution qui a déjà fait l’objet d’une quinzaine de révisions.
2004 Création de la Cena
C’est le troisième round de négociations sur le système électoral. En vue de la création d’une structure de gestion des élections indépendantes, le président de la République du Sénégal a, conformément à ses attributions constitutionnelles, pris deux décrets : d’abord, le décret n° 2004-673 du 02 juin 2004 qui instaure une Commission chargée de faire des propositions pour l’institution d’une Commission électorale nationale autonome (Cena). Cette Commission, composée d’un représentant de chacun des partis politiques légalement constitués devait, aux termes de l’article 2 alinéa 2 du décret, « remettre ses propositions au président de la République dans un délai de deux mois suivant son installation ». Ensuite, le décret présidentiel n° 2004- 1379, du 29 octobre 2004 par lequel le professeur Babacar Guèye a été nomme président de ladite Commission. Ce dernier s’était entouré d’une équipe d’experts pour faciliter les travaux et systématiser les propositions faites par les partis dans un rapport soumis au président de la République. Le résultat fut consensuel et entériné par l’Assemblée nationale, mais les élections qui s’ensuivirent furent contestées par l’opposition.
2007 Retour du Sénat
Retour au bicaméralisme mais malheureusement encore sur fond de dissensions entre les acteurs de la classe politique. En définitive, il convient de faire remarquer, à propos des institutions comme le Conseil de la République pour les affaires économiques et sociales ou le Sénat ou encore le Conseil économique et social, que le caractère déconsolidant des lois les instituant ne résulte pas de l’argument de jugement de valeur d’être pour ou contre, du caractère budgétivore ou non de celles-ci, mais plutôt d’un jugement de réalité articulé à la rationalité du système politique.
Le caractère déconsolidant des révisions créant ou recréant ces institutions résulte plutôt d’une part, de l’ambiance polémique de leur naissance juridique et d’autre part, de la réputation, fondée ou non, de leur finalité clientéliste. Peut-être bien que ces institutions sont utiles dans un Etat moderne et seraient durables si elles étaient instaurées dans la sérénité et le consensus et dotées d’une légitimité de départ qui aurait facilité leur légitimité de performance.
Par Mamadou GUEYe
lesoleil.sn
bon article