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Pr MAMADOU DIOUF, PROFESSEUR D’HISTOIRE A COLUMBIA UNIVERSITY (USA) «En Afrique, si on ne change pas les mentalités, on n’avancera pas»

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Le parcours inter générationnelle en Afrique est «fondamentalement» déterminé par le genre. Alors que le sort de la femme est exclusivement lié à son destin domestique, celui de l’homme se traduit par son engagement public. Pr Mamadou Diouf, Professeur d’Histoire à l’Université Columbia aux Etats-Unis, a estimé qu’on ne peut pas compter sur le pouvoir gérontocratique pour penser le futur. Pour lui, il faut qu’il y ait une révolution culturelle et mentale pour avancer. C’est ce qu’il laisse entendre dans cet entretien qu’il nous a accordés hier lundi 9 janvier 2012 à Dakar en marge de l’atelier régional de partage des résultats de recherche du projet sur la participation politique des jeunes femmes d’Afrique de l’Ouest francophone organisé par l’Association Afriques Créatives.

Quel intérêt portez-vous à la participation politique des femmes en Afrique de l’Ouest francophone ?

En fait, l’intérêt que j’accorde à cette problématique est double. D’une part, je m’intéresse à cette problématique en tant qu’historien, chercheur en sciences sociales qui a consacré une partie de sa vie intellectuelle à travailler sur les questions liées à la génération. Le passage d’une génération à l’autre est un passage fondamentalement déterminé par le genre, c’est-à-dire les hommes et les femmes deviennent adolescents et adultes de manière différente. Et ce processus a un impact sur leur présence dans l’espace public. Le processus de maturation de la femme est un processus presqu’exclusivement lié à la réalisation de ce qu’on pourrait appeler son destin domestique. tre une femme, être une mère et s’occuper de sa famille, la sphère domestique, tandis que la maturation de l’homme est une maturation toujours publique parce qu’elle se traduit par la réussite et la réussite est effectivement quelque chose qui est vécue d’une manière publique. Et dans ces processus, la chose la plus importante pour moi, c’est le fait que les femmes sont des ressources dans le processus de maturation. Elles ne sont pas des actrices, elles ne sont pas des agents de la transformation sociale. Comment sa chance devient toute petite est pour moi très important. La deuxième chose est que le déficit démocratique africain est très fortement lié à l’absence de la participation citoyenne des femmes. Et tant que cette participation citoyenne ne sera pas respectée, les sociétés africaines arriveront très difficilement à promouvoir la démocratie.

Peut-on comprendre que vous faites allusion à la stratification culturelle de notre société?

Oui, c’est ce que je vais montrer aujourd’hui (ndlr : hier), que la question fondamentale en Afrique n’est pas du tout liée de manière exclusive aux conditions dans lesquelles les relations de genre sont organisées. Ce sont des questions culturelles. Si on ne change pas les mentalités en Afrique, on n’avancera pas. D’où on ne règle pas notre rapport avec notre tradition, on n’avancera pas. On peut faire tout ce qu’on veut, éduquer les filles, ça ne changera pas. Tant qu’il n’y a pas la grande révolution mentale qui est la révolution mentale des hommes et des femmes, parce que quelque fois les femmes portent l’ordre patriarcat plus fortement que les hommes contrairement à ce que l’on croit.

Cela présuppose-t-il un chamboulement total de notre ordre social ?

Mais c’est cela qui fait avancer une société. C’est sa capacité à s’adapter, à changer. C’est pour ça que la plus grosse bêtise qui ait jamais été sortie en Afrique, c’est «En Afrique, un vieillard qui meurt est une bibliothèque qui brûle». C’est une bêtise.

Comment est-ce une bêtise ? Elaborez s’il vous plaît…

Parce qu’on ne peut pas compter sur le pouvoir gérontocratique pour penser le futur. C’est aussi simple que ça.

Pourquoi quelqu’un qui va mourir va penser à l’avenir ?

Vous régler là un conflit politique latent?

Je ne règle pas un conflit politique. Je règle un conflit intellectuel. C’est dans nos têtes que cela se passe. Vous savez l’Afrique c’est simple. C’est très simple. C’est un continent où 75 % de la population a moins de 25 ans. Alors pourquoi voulez vous penser pour ces gens là quand vous ne savez même pas comment ils pensent. Cela veut dire quoi, ça veut dire que les gens qui sont au-delà de 80 ans ne sont même pas 10 % de la population. Quel avenir vont-ils penser s’ils ne connaissent pas la vie de ces gens pour lesquels ils doivent penser. Et cela va plus loin. Si vous regardez toute l’histoire de l’humanité, scientifique, intellectuelle, morale, religieuse, ce sont des jeunes qui ont toujours porté les nouvelles sciences. Ce sont les jeunes qui ont toujours porté les nouvelles religions. Tous les prophètes des religions révélées étaient des jeunes. Ce sont les jeunes qui portent l’avenir parce que ce les jeunes qui sont capables de se projeter dans le passé en construisant l’avenir sur le passé. Les sociétés humaines avancent par accumulation de connaissances et ruptures. C’est comme ça qu’on avance. C’est par la rupture. Mais dans tous les sens. Quand vous écoutez de la musique, c’est comme cela que ça avance non ? Vous ne continuez pas à écouter Youssou Ndour. Vous écoutez d’autres parce qu’ils apportent quelque chose. Les gens qui jouent bien au football, au basket, c’est parce qu’ils apportent quelque chose qui n’était pas là. Et cette chose qui n’était pas là, c’est qui fait avancer. Mais quand on s’appuie sur une espèce connaissance conservatrice de la tradition, ce qu’on fait c’est qu’on répète. On pense toujours que le passé est meilleur que le présent, et meilleur que le futur. Alors ce qui est important c’est de reprendre ce passé, de le revivre. Or, on ne peut pas revivre le passé.

Est-ce qu’il n’y a pas de danger à ce que les dominées d’hier dominent aujourd’hui ?

Pourquoi serait-il un danger ? Ce serait peut-être mieux parce qu’on irait d’un extrême à un autre pour trouver un équilibre. C’est la loi de la vie, et ce n’est pas évident que les dominants deviennent des dominés. Et c’est pour ça que je parlais de la rupture et de la révolution. Vous savez, personne ne va abandonner ses positions de privilèges par gentillesse. Les hommes qui profitent de la situation actuelle vont se battre pour la conserver. Il appartient aux femmes de se battre pour changer. Et alors on trouvera probablement un équilibre. Est-ce qu’on va en trouver, je ne sais pas ? Mais c’est ça la loi de la nature. Cela veut dire ce que cela veut dire. La loi des sociétés humaines est qu’en général les dominés se battent pour changer le système. En général les dominants ont tout pour conserver leur position de pouvoir. Et c’est cette dynamique, cette dialectique qui transforme une société.

Mais est-ce que les femmes ont les moyens de mener cette lutte pour transformer la société?

Elles ont toujours mené le combat. Le problème est que ça ne se traduit pas pratiquement. Vous savez, depuis très longtemps en Afrique, ce sont les femmes qui sont en train de nourrir les hommes, les sociétés. Vous savez ça ? Donc, aujourd’hui ce qui est en train de se passer, c’est que les femmes ont un rôle très important, plus important dans la société. Et ce rôle n’est pas reconnu parce que c’est un rôle invisible et conçu comme un rôle naturel. Donc, aujourd’hui la situation est de reconnaître ce rôle et de donner ou aux femmes d’arracher la possibilité de leur représentation et de leur participation à la décision. C’est-à-dire que l’idée que les femmes vont dominer les hommes, c’est des histoires. C’est l’idée le plus retardataire et le plus réactionnaire qu’on puisse trouver. Dans les sociétés humaines, il faut trouver un équilibre pour que l’ensemble des partenaires puissent s’épanouir et puissent être heureux.

Quel est le rôle prépondérant que les jeunes filles peuvent apporter à la politique dans notre société ?

Deux rôles : Premier rôle, elles sont la majorité des sociétés africaines. Parce que dans la majorité des jeunes, elles constituent la majorité. Leur rôle, c’est de se battre, de constituer un savoir qui puisse porter le travail qu’elles font à l’intérieur des sociétés, dans les familles, dans les communautés et dans les ménages. Et de faire en sorte que leurs voix portent, qu’elles fassent partie du processus de décision et qu’elles puissent effectivement faire passer leurs demandes. Qu’elles puissent effectivement déployer leurs capacités citoyennes au bénéfice de l’ensemble de la société. Vous savez la très grande différence, et ça les chercheurs l’ont montré, entre les activités des femmes et celles des hommes, c’est que les activités des femmes en général, y compris dans les conditions où la violence ethnique est la plus importante, les femmes n’y participent pas. Regardez en Casamance, est-ce qu’elles participent ? Non ! Parce que cette logique n’est pas leur logique. Elles ont une logique beaucoup plus communautaire. C’est ça l’un des aspects les plus intéressants. Alors que quand elles vivent ensemble dans de petits groupes, la logique de la compétition est beaucoup plus forte parmi les femmes que parmi les hommes. Mais quand les femmes s’engagent dans l’espace public, elles s’engagent toujours de manière solidaire et cela est démontré dans toute l’Afrique par les chercheurs. Et que les femmes organisent très rarement des daahiras. Au Sénégal, les daahiras les plus importants sont des daahiras d’hommes et pas des daahiras de femmes. Quand elles mettent en place des organisations, elles ne prennent absolument pas en considération les clivages ethniques ou religieux, jamais. Alors que les hommes ne mettent jamais en place des choses de ce type. Sinon que très rarement. Et c’est vrai. Par exemple quand vous allez dans le quartier où je suis né, les Mourides ont une association de Mourides, il n’y a pas une association de Musulmans.

Cette interview a été réalisée en collaboration avec Adama Aïdara Kanté (Le Populaire), Maguette Ndong (Le Soleil) et Ibrahima Iba Faye (APS)

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