Le Professeur Tandkha Ndiaye Dièye est un spécialiste de l’immunologie et membre de l’Observatoire Covid-19 du Ministère de l’Enseignement Supérieur de la Recherche et de l’Innovation. Il a travaillé sur plusieurs essais vaccinaux au Sénégal et dans le monde. Au cours de cet entretien, l’enseignant chercheur à la Faculté de Médecine de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad), a détaillé les différentes étapes de la production des vaccins et leur mise sur le marché. L’universitaire émet trois hypothèses pour expliquer la lente progression de la maladie en Afrique et le nombre faible de morts. Parmi celles-ci, il y a une immunité préexistante des Africains qui résulterait des maladies qu’ils ont contractées au cours de leur vie.
Il y a un débat sur un vaccin que des laboratoires européens veulent expérimenter en Afrique. Quelle votre position par rapport ce vaccin ?
Un vaccin ne peut pas expérimenté au Sénégal sans l’aval du comité national de l’éthique. Celui est composé des membres issus de plusieurs spécialités et disciplines. Après la réception, de manière indépendante, le comité examine le vaccin en passant en revue les aspects liés à la sécurité, la pharmacologie, l’efficacité et son importance, entre autres. C’est par la suite, qu’il verra si le vaccin a une utilité publique. Tout cela prendre du temps. S’il y a des points qui ne sont pas clairs, le comité peut demander des éclaircissements. Il arrive même que l’on fasse appel au concepteur afin qu’il rassure tout le monde.
Mais avant tout, il y a plusieurs phases d’essais du vaccin. Il faut d’abord prouver, dans les éprouvettes, ce qui peut donner une immunité. S’ensuivront les essais chez les animaux pour voir s’ils le tolèrent parce que le modèle de l’animal ressemble à celui de l’homme. S’il est accepté par l’animal, on passe aux essaies chez l’homme. Il s’agit de voir l’innocuité du produit, est-ce qu’il a une bonne réponse immunitaire. L’essai se fait d’abord sur un nombre restreint pour s’assurer de la sécurité du produit. Je dois préciser que le plus souvent, les enfants et les femmes sont exclus.
Durant la deuxième phase, les personnes qui sont vaccinées seront plus nombreuses que lors de la phase précédente. L’objectif, c’est de confirmer l’efficacité et aussi de déterminer les doses. Plus on avance, plus on va essayer de comprendre.
Après cette phase, le produit sera administré aussi bien chez des personnes bien portantes et chez les malades. L’objectif, c’est d’éviter le biais dans la sélection. En réalité, la phase trois permet de confirmer ou d’infirmer l’efficacité du vaccin. A titre d’exemple, aujourd’hui aux Etats-Unis où il y a beaucoup d’infectés au coronavirus, on administre le vaccin à un groupe de patients atteints de coronavirus et on laisse un autre groupe de sujets bien portants, s’il n’y a pas de personnes du groupe des malades qui est infectée, on déduit que le vaccin est efficace. En revanche, s’il y a une personne contaminée, on affirme qu’il est efficace à 99 %. C’est le début de la fête pour les concepteurs, car ils gagneront des millions de dollars.
Il reste la quatrième phase qui est l’appropriation du vaccin par l’Oms pour son utilisation à grande échelle.
Au regard de tout cela, peut-on tester le vaccin en Afrique ?
Au regard de ce qui précède, on ne peut pas, aujourd’hui, venir tester le vaccin contre le Covid-19 en Afrique. Si tel est le cas, l’expérimentation se fera durant la phase 2. L’acception de vaccin peut durer plusieurs mois voire des années.
En somme, l’expérimentation des vaccins se fait toujours avec des équipes pluridisciplinaires et sur plusieurs sites. Un vaccin ne peut être homologué que lorsqu’il sera approuvé par le comité éthique du Sénégal, très connu pour son expertise. Dans tous les cas, aucun essai ne peut se faire sans ses 4 phases (Phase 1, 2, 3 et 4). Il s’agite de la Phase 1 durant laquelle, on s’assure de la tolérance, innocuité et immunogénicité (sur un dizaine de personnes), de la phase 2 qui s’intéresse encore à la tolérance, l’innocuité, immunogénicité et doses des vaccins (sur une centaine de sujets). Durant la phase 3, on mesure l’efficacité du vaccin et confirme les résultats précédents et essentiellement pour l’enregistrement et l’approbation (obtention de la licence). L’autre étape importante ; la quatrième phase, c’est l’enregistrement et la mise sur le marché du produit pharmaceutique. Elle sert à évaluer les effets adverses rares ou inconnus avec le grand nombre de personnes. Avec le Covid-19, on aura au minimum entre 12 et 18 mois avant d’obtenir un vaccin homologué.
Est-ce que l’Afrique doit rester en marge de cette course vers la mise au point d’un vaccin contre le Covid-19 ?
Aujourd’hui, il y a une course pour la fabrication du vaccin contre le coronavirus. L’Afrique ne doit pas rester en dehors du système mondial. Si le vaccin produit marche et qu’il est testé ailleurs, ce n’est pas sûr qu’il soit efficace en Afrique. Nous aurions souhaité être des concepteurs, réaliser des essais chez nous. Nous ne défendons personne. Nous ne voulons pas être des cobayes. Mais je n’ai pas eu, à ma connaissance, un essai vaccinal sans le consentement du comité éthique. Nous nous réjouissons d’avoir 11 vaccins inscrits dans notre Programme élargi de vaccination. Il s’agit, entre autres, des vaccins contre la coqueluche, la rougeole, la diphtérie, l’hépatite B, la tuberculose (Bcg)…Au fond ce n’est pas un problème. En réalité, certains n’ont pas toujours la même perception sur le vaccin.
« L’Afrique a toujours eu sa place dans la recherche et l’expérimentation des vaccins. La dernière en date est celui du vaccin Ebola qui a été expérimenté un peu partout dans le monde, y compris au Sénégal. Et celui expérimenté au Sénégal a été approuvé par le Fda et utilisé par l’Oms au Congo ».
Pourquoi certains veulent vacciner les personnes avec le Bcg qui est censé protéger contre la tuberculose ?
En Afrique, nous avions reçu beaucoup de vaccins atténués parmi lesquels certains semblent protéger contre les infections respiratoires. Les gens ont prouvé une corrélation entre la revaccination avec le Bcg et la mortalité et morbidité contre le Covid-19. En France, on utilisait le Bcg pour vacciner les personnes, mais il a été abandonné parce qu’il n’y avait pas beaucoup de malades. Le Bcg protège partiellement contre les infections respiratoires, car il n’a pas été fabriqué contre toutes ces infections, mais contre la tuberculose. Par conséquent, les gens ont émis l’hypothèse selon laquelle, si l’on venait à vacciner les personnes, cela pourrait réduire la progression de 20 à 30 %. Déjà, il y a 4.000 personnes qui ont été enrôlées en Australie, 1.000 aux Pays-Bas, on n’a pensé à l’Afrique. Malheureusement, ces scientifiques n’ont pas bien expliqué, ils se sont tiré une balle dans le pied.
Au début de l’épidémie, on dit que les Africains résistent mieux. Quelles est votre réponse par rapport à cela ?
La pandémie a commencé depuis fin décembre 2019 et début janvier 2020. Nous pensons que l’Afrique a eu le temps de se préparer. L’éloignement a été bénéfique pour elle. Ce n’est pas certainement le cas pour l’Europe, nous avons vu l’Italie, la France, l’Espagne ont eu beaucoup de malades. Si nous comparons le nombre de malades de certains pays d’Europe, nous pouvons dire que l’évolution de cette maladie est très lente en Afrique. Maintenant, est-ce que nous avons une particularité génétique ou une immunité préexistante ?
Cette immunité préexistante pourrait être due à d’autres infections que nous avions eues au cours de la vie. Peut-être que nous avons des anticorps qui peuvent reconnaître certaines parties du virus et cela peut ralentir la progression de la maladie. C’est vrai, il y a ceux qui pensent à une particularité africaine, mais nous avons des similitudes avec les Asiatiques.
L’autre chose à ne pas écarter, c’est d’avoir des réactions croisées avec des coronavirus humains, c’est-à-dire, des coronavirus qui ne donnent pas une maladie. L’Africain peut avoir des anticorps à partir cela. Quoi qu’il en soit, si cette tendance d’une progression lente se confirme dans les semaines à venir, il serait intéressant de faire des recherches pour savoir pourquoi l’Afrique n’a pas eu beaucoup de malades, ni beaucoup de morts. Seule la recherche peut confirmer s’il y a une immunité préexistante chez l’Africain contre le coronavirus.
La Suède et les Pays-Bas ont misé sur l’immunité du groupe et non sur le confinement. Est-ce qu’une bonne option ?
Ces pays ont fait leur choix. Ils ont opté pour la contamination de 80 % de leur population. Du fait que l’infection par le Covid-19 entraîne une bonne production d’anticorps neutralisants et du fait, qu’en même temps, environ 80 % des personnes infectées seront asymptomatiques ou du moins elles auront peu de manifestations cliniques, on laisse alors les personnes s’infecter.
Lorsque les sujets infectés seront guéris, ils seront immunisés, ils pourront résister mieux à d’autres vagues d’épidémies. Maintenant, au sein des 20 % ; les 15 % vont guérir sans problème, dans les 5 %, certains auront les poumons qui seront affectés et d’autres vont mourir.
Le Sénégal n’a pas choisi de protéger tout le monde en mettant l’accent sur la prévention, la vulgarisation des mesures individuelle et collective de protection. Notre pays ne peut pas faire autrement car, nous n’avons pas suffisant de lits de réanimation, ni des respirateurs artificiels…
Mais dans le long terme, si le vaccin n’a pas été mis au point, l’immunité du groupe est meilleure parce la population sera plus résistante à une nouvelle vague d’épidémies. Par contre, si nous avons moins de malades Covid-19, nous devons être plus vigilants et nous préparer à d’autres épisodes.
L’immunité du groupe est atteinte quand une bonne proportion de la population est immunisée, ce qui entraînerait la protection la partie restante, et par ricochet de tout le groupe.
Quelles sont les phases d’évolution des maladies virales comme de la pneumonie à coronavirus ?
Il y a plusieurs phases. Lors de la première, comme pour toutes les maladies virales comme la coqueluche, la diphtérie, l’organisme fabrique des anticorps et peut neutraliser le virus. Mais la particularité de ce coronavirus, il peut passer de la phase première à celle pulmonaire. C’est le cas pour 80 % des malades. Mais, nous ne savons pas quelles sont les personnes concernées par ce saut du virus. C’est cela qui est à l’origine du débat, à savoir quel sont les malades qui sont éligibles pour recevoir l’hydroxychloroquine.
Si vous ne faites rien pour éliminer le virus durant la première phase, il se multiplie vite. Durant la phase pulmonaire, le malade a des troubles respiratoires, il manque d’oxygène. Alors, durant la troisième étape, le virus fait une course contre le malade.
Un virus peut se retrouver sur un récepteur Ae2. Il a une clé qui lui permet d’ouvrir pour entrer si vous n’avez assez d’anticorps. S’il ne peut pas pénétrer, il utilise d’autres clés pour passer par d’autres portes. S’il entre, il se multiplier vite obligeant l’organisme à secréter plus de substances qui vont entraîner une inflammation. L’organisme déclenche plusieurs processus inflammatoires. C’est le syndrome inflammatoire. C’est la phase que tout le monde redoute. Nous n’avons pas, pour le moment, un antiviral pour bloquer le virus. Les gens font recours à chloroquine pour prévenir l’évolution vers des formes graves.
Le Soleil
Pr Tandakha Ndiaye Dièye, Immunologue rassure : «Un vaccin ne peut pas expérimenté au Sénégal sans l’aval du comité national de l’éthique»
Date:
ma sha Allah
voici une personne qui maîtrise son sujet. Dommage qu on ne fasse pas appel a lui. Cette pandémie a un important volet immuno et pas forcement infectio seul