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Prédation et failles dans la gestion foncière. (Par Alassane Niang)

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La prédation foncière ne cesse de révéler encore un peu plus le déphasage qui existe entre nos réalités et les règles qui régissent actuellement le foncier. Nous savons qu’en Afrique, la terre était considérée surtout dans les zones rurales comme un bien collectif, un patrimoine qui appartient à la communauté, ce que la loi de 1972 sur les communautés rurales avait un peu effleuré, tout en révélant paradoxalement, quelques limites qui remettent en cause l’intégrité du territoire et l’union nationale.

La prédation foncière révèle aussi, toutes les incohérences qui se trouvent dans notre arsenal juridique foncier, discriminatoire et profitant à quelques initiés qui peuvent avoir accès à l’information, du seul fait de leur position et de leur richesse et en gratifier leur clientèle politique et à l’oligarchie dont ils font partie. L’information sur la situation foncière se trouve aux mains de quelques privilégiés, qui y voient une opportunité de s’enrichir et de permettre aux occupants du pouvoir de satisfaire leurs besoins politiques et affairistes. L’information n’est plus en tant qu’instrument de planification pour une meilleure équité sociale, au contraire, elle sert à mieux organiser la tontine que nous assistons de nos jours et, creuser ainsi, de plus en plus les fossés sociaux.
Les lois qui régissent le foncier restent méconnues auprès des populations, elles sont sujettes à diverses interprétations. La méconnaissance des règles par les populations et l’inadaptation de ces règles aux réalités sociales, font que les organes et les outils qui régissent le foncier, se laissent dominer par les logiques financières et politiques. Sur ce jeu de dupes, même l’Etat qui était censé être l’acteur central dans la gouvernance foncière, semble aujourd’hui dépassé. En effet, pour marquer son autorité, l’Etat avait comme objectif, dans la loi sur le domaine national, d’affaiblir le pouvoir des « lamanes » et de la puissance des autorités coutumières. Seulement cette politique s’est retournée de nos jours contre lui avec le régime de l’immatriculation qui a fait de la terre, un bien hors de la portée du citoyen ordinaire. Ce régime a donné accès libre à la propriété qui est jalouse, possessive et envahissante, tout ce qu’on refusait hier aux « lamanes » , quelques tiers personnes, minoritaires en disposent de nos jours ,selon leur bon vouloir et au grand dam de l’Etat.

Ainsi ces réformes, surtout celle sur le domaine nationale ont facilité à cette époque, la concentration de plus de 99 % des terres du territoire national, aux mains d’un jeune Etat, avec des ressorts faiblement solides et qui se retrouvera à la merci de ces élites. La spéculation foncière, largement boosté par un système capitaliste, a après, accentué cette exclusion des classes défavorisées pourtant très majoritaires, dans cette quête à la terre devenue inaccessible et périlleuse.

Nous le voyons déjà sur l’accaparement des terres à vocation agricole, dans des zones rurales. Une injustice plus visible dans des zones à forte vocation agricole, mais fortement menacées par la croissance urbaine. Prenons l’exemple de la partie rufisquoise de la zone des Niaye , durant les règnes des différents régimes ,une partie de la bourgeoise dakaroise ainsi que les élites ,ont profité de l’ avance qu’ils avaient sur l’information pour faire main basse sur des centaines d’hectares de terre ,d’où le nombre important de jardinier du dimanche qui occupe dans la zone de grandes surfaces au détriment de la population locale ,qui a perdu depuis ses repères agricoles ,faute de ne plus détenir terres ou obligée au cas où elle en détient ,de les brader à cause pour d’ insécurité foncière.

Mais la prédation foncière ne révèle pas que les incohérences de ces règles directes qui régissent le foncier. Elle met aussi en exergue la fragilité des règles connexes dans la gestion foncière, il s’agit du code de l’environnement, du code des collectivités territoriales mais du code de l’urbanisme avec les plans directeurs d’urbanismes qui ont été largement dépassés par les dynamiques démographiques et d’occupations du sol à cause de leur lenteur d’approbation. D’autres comme le Pdu Dakar et environs horizon 2035, ont longuement subi les contraintes des logiques financières et politiques. La protection de la bande de Filaos dans la nouvelle corniche des Niayes est l’un des exemples de ces contraintes.

Mais derrière cette prédation, se pose une question de la crédibilité des collectivités territoriales. Par peur selon ses dires, d’assister à l’épuisement des réserves foncières, le chef de l’Etat avait rejeté, l’une des propositions de l’ancienne CNRF (commission nationale de dialogue territoriale) qui était d’élargir les compétences des communes en matière de gestion foncière, ce qui constituait un aveu de l’immaturité des communes à gérer les questions foncière. Mais , cette incapacité, pourrait expliquer le manque de viabilité de certaines communautés rurales érigées en communes de pleins exercices, dépourvues d’infrastructures et de sources de revenues durables, qui ne comptent aujourd’hui que sur les revenues tirées sur le foncier pour rester viables.

L’immaturité de ces collectivités locales sur la gestion foncière, peut aussi être vue comme la cause de ces questions de la légitimité et de la légalité entre les actes délivrés par l’Etat avec les services des impôts et domaines et ceux délivrés par les collectivités locales. Plusieurs conflits fonciers ont soulevé cette opposition qui place très souvent les actes de baux et de titres fonciers au-dessus des actes de délibérations même s’ils sont plus anciens. C’est le cas récemment du conflit qui opposait la cité de Darou Salam 2 extension à la Sci (Société civile immobilière) sur une partie de son domaine TF N°11847/Dp d’une superficie de 80 942 m² ‘’Tolou Abdoulaye Wade (ancien président de la République) et même du conflit sur les lotissements de Sinthiou à Diamniadio qui avait obligé le chef de l’Etat à suspendre toutes transactions foncières dans le département de Rufisque.
La question sur le bradage littoral a quand même le mérite de réactualiser le débat sur les questions de délimitations entre communes, qui reviennent sans cesse avec son lot de textes incomplets. Ces conflits entre communes, et révèlent encore une fois de plus les incohérences du découpage administratif. Des conflits de délimitations entre des communes qui ne se révèlent que lorsque les terres qui sont en jeu, sont importantes financièrement, c’est le cas de plusieurs communes dans la région de Dakar.

Alassane Niang
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