Les questions politiques et sociales ne laissent pas indifférente la directrice de l’Institut des droits de l’homme et de la paix de l’Ucad. Entre deux réunions du Réseau africain des femmes travailleuses (Rafet) ou de la Convergence des acteurs pour la défense des valeurs républicaines (Car/Lenen), le Pr Amsatou Sow Sidibé a accepté de répondre à notre interpellation pour des éclairages juridiques sur la recevabilité de la candidature de Wade en 2012. Entretien.
Wal Fadjri : Quelle est votre conviction en droit sur la recevabilité de la candidature de Wade en 2012 ?
Pr Amsatou Sow SIDIBE : Je voudrais commencer par dire que ce débat est un débat technique que les juristes universitaires doivent animer et continueront d’animer même après une décision du Conseil constitutionnel. C’est un beau sujet de doctrine, étant entendu que la doctrine est une source du droit, même si elle est indirecte. Elle a inspiré beaucoup de réformes juridiques. A mon avis, c’est moins un problème de droit constitutionnel que de conflit des lois dans le temps, le mandat du président de la République étant à cheval sur une loi ancienne et une nouvelle loi : la Constitution de 2001.
Le conflit des lois dans le temps est réglé par deux principes. D’abord, celui de la non rétroactivité des lois nouvelles qui ne s’appliquent pas aux situations juridiques passées, parce que la loi étant alors révolue, sauf bien entendu une exception expresse. Ensuite, le principe de l’effet immédiat qui veut que la loi s’applique immédiatement dès son entrée en vigueur pour tout ce qui entre dans son objet. Toutefois, des exceptions sont prévues concernant ces deux principes.
Face à un problème de conflit des lois dans le temps, celui qui interprète la loi doit mettre en application l’un des deux principes déjà énoncés. Mais, il arrive que la loi règle elle-même le problème par ce que l’on appelle une ‘disposition transitoire’. En l’occurrence, l’article 104 de la Constitution du Sénégal constitue une disposition transitoire. Il comporte deux alinéas : un premier alinéa qui concerne la durée du premier mandat du chef de l’Etat, qui était en cours au moment de l’adoption de la Constitution de 2001. Et il dispose que ‘le président de la République en fonction poursuit son mandat jusqu’à son terme’. Cette disposition traduit la survie exceptionnelle de la Constitution de 1963 en ce qui concerne la durée du mandat qui était de sept ans. L’alinéa 2 de l’article 104, qui concerne le nombre de mandats, c’est-à-dire deux mandats non renouvelables, est d’une application immédiate dans la nouvelle Constitution en édictant que ‘toutes les autres dispositions de la présente Constitution lui sont applicables’. Donc la disposition transitoire applique ici non pas le principe de non-rétroactivité, mais celui de l’effet immédiat de la nouvelle loi. Il n’est pas du tout question de rétroactivité. C’est le principe de l’effet immédiat qui s’applique. Donc le nombre de mandats de l’actuel président ne peut dépasser deux. Cette solution semble couler de source.
Mais à supposer qu’il y ait matière à débattre, la matière de l’interprétation téléologique permet d’arriver à la même conclusion de l’irrecevabilité d’une troisième candidature du président Wade. En effet, selon ce mode d’interprétation, en cas de conflit d’intérêt entre la lettre et l’esprit d’un texte juridique, l’esprit l’emporte sur la lettre. En l’occurrence, la volonté du constituant était bien de limiter afin d’éviter que les présidents ne s’éternisent au pouvoir.
Estimez-vous que le Conseil constitutionnel doit trancher ce débat passionné ici et maintenant ?
En dehors d’une candidature exprimée de manière formelle, il est difficile pour le Conseil constitutionnel d’avoir matière à juger. S’il y a une candidature officielle de Wade pour 2012, on invitera le Conseil constitutionnel à prendre ses responsabilités en tenant compte de la loi et de son esprit.
Le tout nouveau président du Conseil constitutionnel, Cheikh Tidiane Diakhaté, est récusé par l’opposition. Quel est votre avis ?
Je lui dirai simplement qu’aujourd’hui, tous les regards sont tournés vers lui, que la situation politique est incandescente et il suffit d’un peu pour que le feu se déclare. Par son attitude, il peut épargner au Sénégal une crise politique profonde.
‘Aujourd’hui, le seul fait de dire que je suis politicien est à la limite dégradant. Dans le langage commun pour dire que ce n’est pas vrai, on dit : ‘Tu fais de la politique’. C’est l’échec de la politique. Il y a un déphasage entre la politique au sens noble du terme et la pratique politicienne.’
Vous semblez indiquer que les scénarii politiques vers lesquels nous allons sont lourds de dangers ?
J’espère qu’à travers un sursaut national, il y aura une maturation politique qui se traduira à travers les différents actes posés par les acteurs politiques vers une meilleure prise en charge des aspirations du peuple sénégalais d’ici 2012. Nous ne pouvons plus nous permettre les erreurs graves du passé.
Y a-t-il, à votre avis, une crise du politique au Sénégal ?
C’est l’impression que nous avons et c’est ce qui explique sans doute l’émergence des mouvements citoyens. Le peuple a l’impression que les politiciens ne respectent pas leurs engagements et l’entraînent dans des combats qui ne sont pas les siens : la prise du pouvoir et, une fois le pouvoir pris, on reconduit les mêmes méthodes en les amplifiant. C’est pourquoi, les mêmes maux sont récurrents. Aujourd’hui, le seul fait de dire que je suis politicien est à la limite dégradant. Dans le langage commun pour dire que ce n’est pas vrai, on dit : ‘Tu fais de la politique’. C’est l’échec de la politique. Il y a un déphasage entre la politique au sens noble du terme et la pratique politicienne. C’est de la faute des politiques qui nous servent régulièrement des scandales dont nous aurions pu nous passer. Car la politique ne consiste pas à gérer les scandales, loin de là.
Comment vous est venue l’idée de créer votre mouvement citoyen Car/Lenen ?
Ce sont les souffrances des Sénégalais observées pendant mes trente années d’expérience dans les droits humains et sur le terrain en contact direct avec les populations de toutes les catégories sociales qui m’ont inspiré l’émergence de ce mouvement citoyen. Je me suis isolée à Moulay Yakhouh, à 15 km de Fès, dans les montagnes, pour faire le choix d’un mouvement citoyen. C’est à mon retour au Sénégal qu’avec des compagnons et d’autres citoyens d’horizons divers, nous avons lancé le mouvement dénommé ‘Convergences des acteurs pour la défense des valeurs républicaines (Car/Lenen).’
Quelle signification donnez-vous à votre partenariat avec les autres mouvements citoyens ?
Cela va dans le sens de notre credo. Notre mouvement s’appelle : ‘Convergences des acteurs pour la défense des valeurs républicaines’. Je fais moi-même un appel pour la convergence de l’ensemble des mouvements citoyens du pays au lieu des sept mouvements citoyens, ce qui est limitatif.
Peut-on s’attendre à une unité d’action entre les mouvements citoyens et Bennoo ?
Les mouvements citoyens constituent une troisième force traduisant l’écho du peuple. En l’occurrence Car/Lenen s’est érigée en sentinelle pour la défense de l’intérêt du peuple sénégalais. Quand il s’agit de la défense de l’intérêt du peuple sénégalais, nous ne refusons aucune jonction. Mais nous tenons à rappeler que nous ne sommes ni dans l’attelage du pouvoir ni dans celui de l’opposition. Nous ne soutenons que le peuple.
Qu’en est-il de l’Alliance Sopi pour toujours ?
Je répète que nous ne sommes ni de l’attelage gouvernemental ni de l’opposition.
Que répondez-vous à ceux qui vous reprochent une politisation des mouvements citoyens ?
Actuellement, on observe une redistribution de la donne politique avec l’émergence de mouvements citoyens forts portés par des hommes et des femmes qui proviennent directement du vivier de la société civile et qui ont capitalisé l’expérience de plusieurs années au service des droits humains : défense des droits civils et politiques, des droits économiques, sociaux et culturels, des droits de la paix, à l’environnement. Cela s’est traduit également par l’exigence du respect du droit à l’éducation.
Justement à propos de l’éducation, quelle est votre analyse du système éducatif après qu’on vous a vu servir de médiateur dans plusieurs grèves des enseignants ?
On investit beaucoup d’argent dans le système éducatif sénégalais. Je trouve que c’est éminemment positif parce que cela montre l’importance que l’on donne à l’éducation dans notre pays. Malheureusement, les résultats escomptés ne sont pas au rendez-vous. Si je parle de l’enseignement supérieur en général, et de l’Ucad en particulier où j’enseigne depuis trente ans, nous vivons des difficultés majeures avec la massification qui fait que nous ne sommes pas à l’aise du point de vue matériel, de l’espace. Les amphis sont bondés de monde et constituent une insécurité pour les étudiants, les enseignants. C’est le lit de la violence. Et je sais que le système Lmd, qui est sans doute un bon système, est impraticable dans ces conditions.
Que faire alors ?
L’Ucad mériterait d’être délocalisée. Il faudrait peut-être une nouvelle université pour désengorger Ucad 1.
En direction de la prochaine rentrée, le responsable de ‘Sos éducation’ a-t-elle un appel à lancer à la communauté éducative ?
On ne peut plus faire l’économie d’une réflexion globale pour tous les acteurs sur le système éducatif. Je ne sais pas s’il faut l’appeler assises ou états généraux, mais une remise à plats de tout le système en présence de tous les acteurs s’impose. Car nous tenons à une éducation de qualité. Le droit à l’éducation ne signifie pas seulement aller à l’école, mais pour y subir une éducation de qualité. L’obligation scolaire est un droit. Elle permet en même temps de régler le problème de la mendicité.
Que pensez-vous de l’interdiction de la mendicité ?
La loi sénégalaise interdit la mendicité dans les lieux publics. C’est une loi et une loi, elle est faite pour être appliquée. Mais ce que je regrette vivement, c’est le moment où l’interdiction a été prise, c’est-à-dire le Ramadan, une période de solidarité et de générosité. Deuxièmement, il faut des mesures d’accompagnement en termes d’éducation, d’application des règles relatives aux handicapés. Et de façon plus approfondie, il faut une lutte acerbe contre la pauvreté, il ne faut pas que le Produit intérieur brut du Sénégal soit à 1,5. A l’heure actuelle, on est très loin des 7 à 8 % exigés par le Dsrp 2 pour arriver à éradiquer la pauvreté. Il n’est pas normal que le Sénégal soit en termes d’Indice de développement humain à la 166e place, loin derrière la Gambie. Il faut aussi lutter contre la disparité entre les villes et le monde rural pour freiner l’exode rural.
walf.sn