Gagner dès le premier tour en 2019?
L’élection présidentielle du 24 février 2019 occupe le cœur de l’actualité (politique) sénégalaise. Du parrainage (et de la polémique qu’il a suscitée, notamment avec la quantité impressionnante de rejets de parrains) à la publication de la liste provisoire des candidats dont la candidature a été validée par le Conseil Constitutionnel, le paysage politique est gangréné de polémiques. Au milieu de ce « chaos » médiatique, une seule interrogation, à implications majeures, semble occuper (vaguement) l’esprit de bon nombre de citoyens : « Macky Sall et la coalition Benno BokkYakaar peuvent-ils gagner l’élection présidentielle dès le premier tour ? ». De surcroit, une réponse affirmative ou négative à cette interrogation ne saurait souffrir d’un procès d’inexactitude. Cependant, une réponse dichotomique (et simpliste) à une question aussi cruciale (et complexe) contribuerait à l’entretien d’un débat infécond. Cette première contribution se veut un premier jalon dans le lever des rideaux autour de ce débat qui, dans sa quintessence, offre des perspectives analytiques intéressantes.
De la majorité absolue
L’obtention, par un(e) candidat(e) à l’élection présidentielle, de plus de la moitié des suffrages valablement exprimés garantit une victoire au premier tour. Cette condition est souvent caractérisée par l’expression « 50% plus une voix ». En valeur absolue, cette condition dépend de deux paramètres : nombre d’inscrits et taux de participation réel (c’est-à-dire ajusté au pourcentage de bulletins nuls/blancs).Partant du nombre d’électeurs inscrits à la veille de l’élection législative 2017 (6.219.446) et considérant le taux de participation réel à ces mêmes élections (53,22%), la majorité absolue requiert l’obtention de 1.655.219 voix. En guise de référence, la coalition présidentielle Benno BokkYakaar (BBY) avait obtenu 1.637.761 voix, soit 49,47% des suffrages valablement exprimés. Il est tout de même important de préciser que la majorité absolue des voix n’a aucune valeur intrinsèque dans la dynamique d’une élection législative.
Notre interrogation peut être ainsi reformulée : « Macky Sall et la coalition BBY peuvent-ils obtenir la majorité absolue au premier tour de l’élection présidentielle 2019? ».
L’électorat de la coalition présidentielle BBY
Pour poser les jalons d’un début de réponse à notre interrogation, il convient de cerner l’électorat de la coalition BBY, c’est-à-dire l’ensemble de ses électeurs, ainsi que leur répartition géographique. Cet exercice sera principalement basé sur les résultats de l’élection législative 2017 pour deux raisons. La première est que c’est l’élection la plus récente ayant engagé une coalition consolidée de BBY, celle qui ira probablement à l’élection présidentielle 2019. La seconde, qui peut souffrir de subjectivité, est que l’élection législative au Sénégal ressemble à une dualité Pouvoir-Opposition; le vote est souvent – et indirectement- lié à l’opinion que les citoyens tiennent sur le Président de la République.
L’analyse des résultats des joutes électorales de 2012 à 2017 montre que la coalition BBY a toujours gagné, de façon convaincante (près ou plus de 60% des voix) cinq régions du Sénégal : Matam, Fatick, Kaolack, Kaffrine et Saint-Louis (voir Figure 1). Ces cinq régions, qui peuvent être considérées comme les bastions électoraux de la coalition présidentielle, concentrent plus d’un quart de l’électorat national (26% de l’électorat précisément).
Dans ces régions, où le taux de participation est de 60% en moyenne (voir Figure 2), la coalition présidentielle semble toujours être en mesure de faire voter massivement ses électeurs. Dans certaines de ces régions (Kaolack, Kaffrine), le parti du Président de la République, l’Alliance Pour la République, semble bénéficier du soutien encore solide de cadors de la politique sénégalaise comme l’actuel Président de l’Assemblée Nationale.
Cet avantage précieux permet à la coalition BBY de puiser le maximum de voix dans ses bastions naturels pour compenser un recul, assez inquiétant, de sa force politique à l’extrême Ouest du pays, qui concentre une bonne partie de l’électorat national. En effet, 38% de l’électorat de la coalition BBY est concentrée à Dakar, Thiès et Diourbel, qui représentent près de la moitié de l’électorat national (voir Figure 3). Depuis la présidentielle 2012, où cette coalition a été plébiscitée à Dakar et à Thiès, BBY a perdu ces deux régions, en plus de Diourbel , lors de l’élection législative 2017. Elle a obtenu son plus faible score à Dakar (36%), un « battleground » déterminant dans la conquête du pouvoir. Pire, le plus récent sondage[1] de InfoStat conduit en novembre 2018 montre une tendance similaire à celle de l’élection législative 2017 : l’axe Dakar-Thiès-Diourbel échappe définitivement à la coalition présidentielle. Cependant, avec la probable élimination de Karim Wade et Khalifa Sall, deux ténors de l’opposition à Dakar et Diourbel, ces dernières tendances devront être revisitées.
[1]https://www.dakaractu.com/Presidentielle-2019-Macky-devant-Khalifa-Sall-Karim-Wade-Idrissa-Seck-et-Ousmane-Sonko-au-coude-a-coude-SONDAGE_a161202.html
The path to « 50% plus one »
Deux facteurs seront déterminants dans l’obtention d’une majorité absolue dès le premier tour de l’élection présidentielle pour la coalition BBY : sa performance sur l’axe Dakar-Thiès-Diourbel (DTD) et le taux de participation.
La coalition BBY devra faire mieux sur l’axe DTD si elle veut éviter l’éventualité d’un second tour. De ces trois régions, Thiès semble être à la portée da coalition présidentielle qui y avait obtenu 47% des suffrages à l’élection législative 2017. Toute chose égale par ailleurs, un score de 50% à Thiès à l’élection législative 2017 aurait permis à la coalition BBY de franchir la barre des 50% au niveau national.
La région de Diourbel semble être une montagne difficile à surmonter puisque la coalition présidentielle l’a perdue lors de l’élection législative 2012, quelques mois après la présidentielle, ainsi que le référendum de 2016. Avec la probable élimination de la première force de l’opposition dans cette région (PDS), il serait intéressant d’observer la dynamique des coalitions ainsi que la réponse de leurs partisans qui peuvent soit boycotter le jour du vote (avantage de la coalition BBY) ou aller voter massivement le jour du scrutin (avantage de l’opposition).
La région de Dakar semble définitivement échapper à la coalition présidentielle. L’histoire des élections passées (2000, 2012) montre que Dakar conduit la vague des votes sanction, si jamais elle se dessine. La coalition présidentielle a froidement perdu Dakar lors de l’élection législative 2017. Cette tendance semble irréversible, surtout avec la montée en popularité de Ousmane SONKO qui, selon le dernier sondage mentionné plus haut, gagne du terrain dans la capitale. Cependant, un meilleur score de la coalition BBY à Dakar (40% par exemple, toutes choses égales par ailleurs), aurait propulsé la coalition présidentielle au-dessus de la barre des 50% des suffrages au niveau national lors de l’élection législative 2017.
Le second paramètre, plus déterminant, est le taux de participation. En effet, lors de l’élection législative 2017, l’opposition avait un avantage de plus de 14 points de pourcentage en termes de poids électoral dans les départements qu’elle a dominée (plus de 60% des voix). Cet avantage déterminant a été balayé de moitié par la coalition présidentielle, qui a bénéficié d’un avantage de plus de 13 points de pourcentage en termes de taux de participation dans les départements qu’elle a dominée (voir Figure 4).
Ainsi, un taux de participation moyen de 60% au niveau national ferait très mal à la coalition BBY, qui peine à faire le poids sur l’axe DTD. Par exemple, le taux de participation à Diourbel lors de l’élection législative 2017 était de 41% (en guise de comparaison, le taux de participation à Matam était de 62%). Toutes choses égales par ailleurs, un taux de participation à Diourbel similaire à celui de Matam aurait réduit le score de BBY de 0.4% au niveau national à l’élection législative 2017.
Les chances d’une majorité absolue de la coalition présidentielle BBY reposent donc sur un rebondissement à Dakar, Thiès et Diourbel couplé au maintien de son support électoral dans ses bastions électoraux, ou une performance similaire à celle de l’élection législative 2017 dans les régions qu’elle domine couplée à un faible taux de participation sur l’axe DTD.
Merci Youck trés bel article