L’espace médiatique sénégalais est ‘’envahi ‘’ aujourd’hui par ce qu’on appelle de manière générale les sites web d’informations. Une floraison de supports qui s’identifient souvent à la presse en ligne et va crescendo. Certains se débattent, en tentant d’être professionnels pour émerger du lot, tandis que d’autres semblent opter pour la facilité, en ne s’appuyant que sur le ‘’copier-coller’’ d’articles de presse. Face à ce phénomène médiatique qui s’est véritablement imposé, les questions titillent l’opinion publique sur l’importance de tous ces sites, les raisons liées à leur création, leur impact dans l’environnement médiatique sénégalais. Mais aussi sur les dispositions en vue pour assainir ce milieu ?
Foisonnement des sites web d’informations au Sénégal
L’agora du laisser-aller
Les sites web d’informations semblent, par leur grand nombre et leur diversité, nager dans une mare de défaillances. Hormis une pratique accessible à tout le monde, un manque de production et une course au sensationnel, la presse en ligne peine à gagner la confiance du public. Pour diverses raisons, les interrogations se posent sur la pertinence de l’existence même de ces sites et le professionnalisme des acteurs.
Embarqués dans la quête au scoop les sites web d’informations qui sont de plus en plus nombreux peinent à se conformer à des règles. Si les uns ont décidé de verser dans l’information juste et à temps réel, d’autres ont décidé de se retrouver dans le décor, d’être tout juste un site et de publier des informations. Et comme ils le peuvent. ‘’Quand un site fait une dérive ou dérape, les lecteurs ne cherchent pas à comprendre. Il faut reconnaître que c’est dans son ensemble la presse qui est jetée en pâture’’, regrette Mme Ndour, chargée des relations presse dans une organisation privée de la place. Partant de sa propre expérience, elle raconte : ‘’Il est arrivé que je vois des noms de sites qui m’ont portée à la renverse. C’était hallucinant et pourtant, ils existent. Mais mon article n’est jamais sorti, ils ne font que reprendre les autres.’’
C’est un fait. Les sites dits d’informations pullulent de partout. Chacun, suivant sa sensibilité et sa motivation, crée son site. Du coup, hormis certains qui se démènent encore pour ne pas être associés à tout ce qui se fait d’informel, le potentiel apport futuriste que pourrait avoir la presse en ligne est parfois contesté. Un état des lieux qui se résume par le fait que, selon le chef de département Communication du Cesti, ‘’au Sénégal, il y a une confusion qui est faite entre journal en ligne, site web d’éditeur de presse (le soleil, enquête plus, le quotidien, sudonline, etc.), portails web et blogs. Ce qui rend difficile toute analyse sur ce qu’on appelle ici « presse en ligne’’. M. Mamadou Ndiaye explique qu’‘’il y a plus d’une centaine de sites web qui diffusent de l’information en ligne. Pour la plupart, ils sont gérés par des informaticiens ou par des gens qui n’ont fait aucune formation en journalisme. Généralement, le contenu est pauvre et uniforme parce que de nombreux sites ne disposant pas de rédaction ou de journalistes reporters, ils reprennent systématiquement les productions des autres groupes de presse’’.
La confirmation est faite par cette assistante de direction qui trouve quotidiennement le temps de parcourir les informations sur le web. ‘’Les sites sont trop nombreux et pourtant, je ne vois pas vraiment leur intérêt. Ils publient presque tous les mêmes informations et parfois, ils les tirent des quotidiens de la place’’, constate Ramatoulaye. Comme elle, nombreux sont aujourd’hui les Sénégalais qui s’interrogent sur la pertinence de tous ces sites web. Car, s’ils se sont tous attribués la vocation d’informer juste et vrai. Il est aujourd’hui regrettable de constater que ce qui se fait prête à confusion. ‘’Je ne vois aucune différence entre acheter un journal et parcourir un site.
Ce sont les mêmes articles dans les supports, peut être synthétisés sur le web’’, souligne Dame Sow, superviseur dans un centre d’appel. Ce dernier reconnaît tout de même que ‘’si on s’intéresse à la vie privée des célébrités, les sites web sont le lieu indiqué. Ils excellent vraiment dans ce domaine et je pense que c’est ce qui fait leur force. Le Sénégalais est friand de ces choses-là’’. Ainsi, à ses yeux, comme toute entreprise de presse, ‘’ces derniers devraient aujourd’hui mettre tous les atouts de leur côté pour se faire respecter, quand on sait que, de plus en plus, beaucoup de personnes sont plus aptes à lire les articles sur le net‘’. Un avis partagé par le Directeur de publication du site d’informations générales, actusen.com. Journaliste de formation et de profession, Daouda Thiam qui précise d’emblée que toutes ces créations de sites ne sont pas souvent animées à la base par la recherche d’information, avoue que « l’avenir de la presse écrite, c’est la presse en ligne ».
Des sites font du « banditisme journalistique »
Auparavant, sans prendre de gants, l’administrateur de actusen.com a fait savoir que « nombreux sont ceux qui ne sont pas intéressés par l’information et qui ne cherchent que de l’argent ». Pour lui, « lorsqu’on crée un site qu’on dit d’informations, comme tout bon journaliste, on doit être intéressé par la production d’articles. Cela doit être le réflexe ». Mais malheureusement, poursuit-il, « les gens créent des sites sans contenu, sans rédaction. Ils s’arrêtent à la revue de presse quotidienne ou prennent les mêmes contenus que d’autres sites ». Ce que Daouda Thiam qualifie « de banditisme journalistique ». Puisque, s’explique-t-il, « reprendre les informations d’autrui et y apposer sa signature sans gêne, et sans que l’auteur ne puisse rien y faire, c’est tout simplement du banditisme et c’est désolant ».
L’ancien journaliste de Libération informe que ces sites ne font pas des efforts dans la production et veulent se faire lire au même titre que les autres. En effet, « avec un certain nombre de clics, ils peuvent toucher une certaine somme d’argent auprès de Google ». Daouda Mine de seneweb.com embouche la même trompette. Il accuse : « N’ayant pas les ressources nécessaires, des sites ne font que piocher les bonnes informations chez les autres ».
Revenant sur l’aspect relatif à la posture de la presse en ligne dans le monde des médias, Daouda Thiam répète que « tous les observateurs avertis vous disent que l’avenir de la presse, c’est la presse en ligne. C’est la raison pour laquelle la plupart des quotidiens ont un journal en ligne ». Une appréciation qui s’explique quand on sait que les nombreux quotidiens sénégalais dépassent difficilement l’axe Dakar-Thiès. S’ils se retrouvent dans les régions, c’est avec un grand retard et ils ne dépassent pas plus de dix (10) journaux. L’autre point qui doit être pris en compte, selon M. Thiam, « c’est que la diaspora s’informe à travers le net. Un journal qui veut être lu à l’extérieur doit être en ligne ». Mais l’ancien Rédacteur en chef du journal l’Observateur, Daouda Mine, avertit : « La presse en ligne qui est considérée comme celle d’avenir n’est pas prête de l’être au Sénégal. A ce rythme, la presse classique a encore de beaux jours devant elle ».
Quand faire le buzz s’impose et devient maître
Le regard porté sur la presse en ligne n’est pas des plus tendres. Car certaines dérives font aujourd’hui que les lecteurs pensent pouvoir mettre toute la presse numérique dans la même corbeille. « Il faut que les promoteurs rendent attractifs leurs sites, leurs produits afin d’espérer faire payer des abonnements. Ceux qui comptent sur le nombre de visiteurs uniques pour s’attirer des marchés publicitaires doivent travailler à produire un contenu de qualité et ne pas seulement se contenter d’appâter les lecteurs avec des titres pompeux et un contenu pauvre au niveau de l’article », conseille le responsable du département Communication du Cesti, Mamadou Ndiaye.
Pour l’intérêt de tous, les différents acteurs appellent les autorités à leur apporter leur soutien en vue d’un assainissement du milieu. « Nous ne voulons pas faire les gendarmes mais, l’Etat doit nous aider à assainir. Nous posons des actes mais, nous n’avons pas d’accompagnement. Il est malheureux de constater que les autorités ne sévissent que quand ils sont directement impliqués », soutient le patron de actusen.com. Du coup, regrette ce collaborateur d’un célèbre homme d’affaires, « les choses tournent à des règlements de comptes personnels ou pis, certains sites et des célébrités entrent parfois dans une guerre sans fin ».
Si des journalistes ont investi le créneau de la presse en ligne, sous prétexte qu’il y avait encore de la matière et de la place, ils reconnaissent aujourd’hui que la course au sensationnel a pris le dessus sur leur volonté de produire une information riche et diversifiée. Faire le buzz a fini donc de dénaturer le rôle de la presse en ligne. Un fait que regrettent certains artistes qui ne veulent pas pour autant s’épancher sur la question. Mais pour Mamadou Ndiaye, « ces nombreux écarts par rapport aux principes éthiques et aux règles déontologiques sont consécutifs à un défaut de formation de nombreux acteurs de cette presse en ligne « .
L’enseignant précise qu’un journal en ligne ou un site d’informations digne de ce nom doit disposer, : « d’une rédaction dédiée (le nouveau code de la presse dit qu’il faut, au moins, 3 journalistes professionnels); d’un contenu qui lui appartient; faire une mise à jour permanente de son contenu et respecter les règles d’éthique et de déontologie qui régissent le métier de journaliste; proposer, en plus du texte, des éléments multimédias (son, image, vidéo); donner au lecteur la possibilité de réagir aux articles publiés; obéir à un style d’écriture propre au Web » . Malheureusement, faut-il le reconnaître, « peu de sites sénégalais obéissent à ces règles », au grand dam de la presse, surtout celle écrite.
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