L’affaire de détournement de fonds impliquant des notables de la Grande mosquée de Dakar connaîtra son verdict le 27 avril. Le Tribunal correctionnel de Dakar a ainsi procédé à un véritable marathon dans ce dossier. Le procès a débuté mardi à 10h, pour n’être interrompu qu’à 00h 30. Les débats ont ainsi repris hier à 12h pour finir à 17h.
Par Binta NDONG
C’est un dossier qui a mobilisé une vingtaine d’avocats, 15 témoins et a duré deux jours. Cette affaire a éclaté lorsque les deux notables de la Grande mosquée de Dakar El Hadj Omar Diéne, El hadj Oumar Guèye et Amadou Ly, le promoteur, ont été assignés en justice pour escroquerie, abus de confiance, faux et usage de faux en écritures privées et complicité de ces trois chefs d’inculpation. Ils sont aussi accusés d’avoir détourné 112 millions de francs Cfa, représentant les frais de location des magasins du centre commercial Maodo Sylla, en plus de 33 millions provenant de Thierno Dramé, un autre acquéreur.
Trois personnes sont les principaux mises en cause dans cette affaire. Il s’agit de l’ancien Secrétaire général de la Grande mosquée, Amadou Ly, promoteur du centre commercial Maodo Sylla, et enfin El Hadji Omar Guèye, qui est actuellement le directeur de l’Institut islamique.
La machine judiciaire a été déclenchée lorsque le promoteur immobilier, Thierno Dramé, a saisi le procureur d’une plainte contre les mis en cause, le 20 novembre 2007. En effet, le plaignant déclare avoir financé la construction de 33 magasins à hauteur de 33 millions francs Cfa, en 2003. 30 millions devaient être reversés à la Grande mosquée et le reliquat devait revenir à El Hadj Omar Diène à titre de commission.
Quant aux autres plaignants avec à leur tête Makhfouss Ly, qui déclarent avoir investi leur argent, au même titre que le promoteur immobilier Thierno Dramé, ils sont entrés dans la procédure entreprise contre les trois notables. Si les uns soutiennent avoir versé 1,1 million francs Cfa par mois pour chaque magasin construit, d’autres, en revanche, affirment avoir intégré le projet d’édification du centre commercial à travers le Gie Galoya, dont ils sont les propriétaires. Les principaux mis en cause, El hadj Omar Diène et Amadou Ly, ont par la suite été déférés au parquet de Dakar et placés sous mandat de dépôt, le 9 avril 2008, avant de bénéficier d’une liberté provisoire le 13 juin de la même année. Quant au directeur de l’Institut islamique, il a toujours été sous contrôle judiciaire, car étant âgé de 83 ans.
UN PROCES AUX ALLURES DE REGLEMENT DE COMPTES
Tout est parti de Thierno Dramé, opérateur économique qui, voulant acquérir des magasins, avait donné la somme de 33 millions à El Hadj Omar Diène, mandataire de Amadou Ly, le promoteur qui avait en charge ce projet. En 2007, l’ancien Sg El hadj Omar Diène réclame au sieur Dramé sa part des locations, car les commerçants lui versaient les frais de location. Ce qu’il a refusé, avant de s’en ouvrir à l’imam ratib qui, lui faisait remarquer son étonnement, car n’ayant jamais reçu d’argent de la part de El hadj Omar Diène. C’est ainsi que, selon les avocats de la défense, l’imam Moussa Samb a demandé à Thierno Dramé de porter plainte contre El hadj Omar Diène, «pour régler des querelles personnelles».
A la barre, l’imam Moussa Samb a affirmé n’être mêlé ni de près ni de loin à cette histoire. D’ailleurs, il a contesté le document qu’on lui a présenté concernant le projet du centre commercial car «ce n’est pas la signature de feu Maodo Sylla qui y figure», dit-il. L’Imam Samb a aussi contesté la suprématie de l’Institut islamique sur la Grande mosquée.
5,2 MILLIONS REÇUS PAR LA GRANDE MOSQUEE
Imam Moussa Samb, qui a pris fonction en 2002, n’a pas voulu s’impliquer dans ces problèmes car «ce ne sont pas (ses) affaires». Ainsi, à plusieurs reprises et au sujet de plusieurs questions des avocats, il disait tout simplement : Sama yone nekoussi. Toutefois, il a reconnu que la mosquée a reçu 5 versements de location qui s’élèvent à 5,250 millions de francs Cfa, par chèques, mais depuis lors, plus aucun versement n’a été déposé. Cependant, il persiste et signe que ce terrain n’appartient pas à l’Etat, et celui-ci n’est juste qu’un superviseur. D’ailleurs, il n’a cessé de marteler «nioun nioko mom, souniou soufou mame la (C’est pour nous. C’est la terre de nos ancêtres)».
Selon les principaux prévenus, il s’agit d’une confusion amenée par Thierno Dramé et Makhfous Ly, du fait qu’ils ne sont dans le procès que de simples acquéreurs de cantines. Amadou Ly soutient que dans cette histoire, il est le seul promoteur qui avait la tâche de réaliser 150 cantines. Une légitimité qu’il détiendrait de feu l’imam Ratib de la Grande mosquée, Maodo Sylla, qui lui avait signé un contrat.
Cependant, ayant démarré la première phase de 20 cantines, il s’est retrouvé à court d’argent et a été contraint de s’ouvrir à d’autres bailleurs, en l’occurrence les membres de la Sci Galoya, dont il est membre. Ces derniers vont ainsi «remettre» 112 millions à El Hadj Omar Diène. Toutefois, voulant travailler sur la base «de la confiance», ils n’ont pas jugé nécessaire de disposer d’un quelconque document, attestant de ce versement. C’est ainsi qu’à la barre du tribunal, M. Diène a qualifié cet argent de «virtuel». C’est à ce moment-là que surgissent les problèmes car les membres de la Sci Galoya et Thierno Dramé ne peuvent pas accepter que le promoteur initial, Amadou Ly, qui du reste n’a construit que 20 cantines, continue à leur réclamer la redevance locative et le paiement des impôts. Mais pour Amadou Ly et El hadj Omar Diène dont son agence immobilière, L’immobilier de l’Est perçoit les locations, les membres de la Sci Galoya ainsi que Thierno Dramé sont des locataires au même titre que les autres. Ils sont par conséquent assujettis au paiement de la redevance locative.
LES PLAIGNANTS EXIGENT LA RESTITUTION DES CANTINES
Interrogés par les avocats des prévenus, Makhfous Ly et ses collaborateurs n’ont pas apporté de précisions sur la destination finale des bénéfices perçus avec la location des cantines à des Chinois et autres particuliers.
A la question de savoir qui encaisse les redevances locatives, les membres de la Sci Galoya ont refusé systématiquement de répondre. Les avocats vont les charger en demandant au tribunal d’être éclairés pour savoir si lesdits membres de cette structure ont contracté es qualité avec son client Amadou Ly, le principal promoteur ou bien, ils l’ont fait en leur nom propre. Pour toute réponse, les plaignants lui ont dit qu’ils ne sont concernés que par une seule chose : qu’on leur restitue les cantines qu’ils ont construites à hauteur de 112 millions.
A propos de Thierno Dramé, la défense a brandi des preuves selon lesquelles, ayant investi 33 millions, il a gagné dans ce marché 300 millions, en vendant ses cantines à 1 million de francs l’unité. C’est pourquoi, ils ont estimé que sa demande doit être déboutée.
Après le rappel des faits, le procureur a expliqué que le directeur de l’Institut islamique n’était pas habilité à signer le protocole qui a autorisé la poursuite des travaux. Pour El hadj Omar Diène, il a cherché dès le départ à s’enrichir sur ce projet. Ainsi, il a reçu des sommes d’argent – 112 millions et 33 millions – qu’il n’aurait pas dû recevoir.
Selon le Parquet, Amadou Ly s’est comporté en promoteur allant jusqu’à dire qu’il a construit 20 cantines. Ainsi, le Parquet a requis 1 an dont 6 mois ferme pour El hadj Omar Diène et Amadou Ly. Mais à l’endroit de El hadj Omar Guèye, le directeur de l’Institut islamique, il a demandé une peine assortie de sursis, en tenant compte de son âge.
Le dossier sera vidé 27 avril.